Déclarer la guerre aux publicités sexistes est un sport de combat devenu tendance chez les marques, et même institutionnel. Non contentes de produire des publicités qui ne transforment pas les femmes en objet, de plus en plus d’entreprises surfent sur la vague féministe qui a déferlé aux Etats-Unis (et dans une moindre mesure en France) ces dernières années. L’objectif inavoué est de récupérer toute cette nouvelle génération de jeunes femmes, prêtes à voter Hillary Clinton ou Bernie Sanders, séduites par un discours punchy et politique, pour les inviter… à consommer.
Et, c’est un fait semble-t-il nouveau, certaines de ces marques n’hésitent plus désormais à tirer à boulets rouges sur leurs concurrents au nom de la lutte contre le sexisme. Ainsi de la marque Thirdlove, une start-up peu connue fondée par une ex-responsable de chez Google, qui a décidé de se faire un beau coup de publicité en s’en prenant au géant Calvin Klein.
Un plan de com’ en trois actes
Tout est parti d’une affiche (bien sexiste il faut le dire, voir au sommet de l'article) du célèbre fabricant, mettant en regard une femme dans une pose lascive avec un homme à l’attitude ferme et décidée. «Je séduis dans #moncalvin» clame la première. «Je fais de l’argent grâce à mon #calvin», affirme le second. Évidemment, personne ne se dira qu’il peut séduire quelqu’un juste en achetant une culotte, ou devenir riche avec un slip (à moins de baisser son pantalon pendant les négociations?), ce qui rend d’emblée la publicité assez ridicule. Mais ce qui choque ici, vous l’aurez remarqué, est surtout la rencontre plus que malencontreuse entre ces deux messages: d’un côté, la femme objet sexuel, de l’autre, l’homme viril, avec un gros porte-monnaie. La passive et l’actif:
Il y a de quoi s’insurger, et Heidi Zak, fondatrice de Thirdlove, n’a pas traîné: elle a répliqué avec une vidéo dans laquelle elle se dit «personnellement blessée par cette publicité qui réactive un vieux cliché». Elle a envoyé une petite équipe interviewer des passantes dans la rue, qui se disent tous «choqués», bien sûr, par cette publicité, et promettent - hourra - de ne plus donner leur argent à Calvin Klein. Dans la foulée de cette opération de com’ bien huilée, un hashtag est lancé (#MoreThanMyUnderwear) ainsi qu’une pétition.
Éthique «poule aux oeufs d’or»
Et paf, comme souvent, le piège à médias a fonctionné. Le Huffington Post a fait un article racontant «comment une femme s’est dressée contre le sexisme d’une affiche de Calvin Klein», en faisant l’héroïne du jour. Cosmopolitan, Le Daily Mail et bien d’autres ont bondi dessus. Si bien que la publicité a été enlevée quelques jours plus tard. Victoire! Merci Thirdlove, désormais je n’achèterai plus que toi.
Oui mais voilà, il y a un hic. Ce que le philosophe Gilles Lipovetsky appelait il y a quelques années «l’éthique indolore» est devenu «l’éthique poule aux oeufs d’or». De cette morale à peu de frais qui ne coûte pas grand chose et permet de se tailler une bonne image, que le philosophe observait poindre en 1992 dans Le Crépuscule du devoir, nous sommes passés à une logique encore plus cynique: se faire connaître grâce à l’antisexisme, utiliser les gentils médias pour s’assurer une gloire qui permettra de vendre ses produits.
Des photos classiques
Des marques connues, comme Always, ont par le passé essayé de redorer leur blason avec cet antisexisme. Des magasins comme Système U ont fait parler d’eux pour leur catalogue garanti sans stéréotypes. Et d’autres, comme GoldieBlox, se sont bâtis entièrement sur cette idée de produire des jouets différents: alors que les écoles d'ingénieurs peinent toujours à attirer des filles, la firme les incite à se tourner vers les sciences, luttant ainsi contre les produits figurant une cuisinière, une machine à laver ou un aspirateur pour les transformer en parfaites femmes au foyer.
Mais contrairement à GoldieBlox, dont tout le marketing et les produits font système autour d'une idée antisexiste, Thirdlove n’a rien de tel dans son concept. Rien dans la page sur sa «philosophie» ne clame le désir de s’en prendre aux stéréotypes diffusés par l’industrie de la lingerie, aucune de ses photos ne montre des femmes aux formes volumineuses par exemple, même si, on peut le reconnaître, les clichés postés sur son site sont sobres. Et pas très différents des photos que l’on pouvait voir dans le catalogue des 3 Suisses que possédait toute bonne grand-mère.
Les hommes aussi sexualisés
Qui plus est, Thirdlove s’en prend à une campagne de publicité qui avait été saluée par la presse pour sa diversité. D’autres images de cette même campagne diffusent d’ailleurs des idées beaucoup moins sexistes que l’affiche montrée plus haut. Comme celles-ci, qui mettent l’accent sur l’excellence ou la volonté de s’élever:
i excel in #mycalvins. here's a first look at the new spring 2016 @calvinklein campaign, shot by tyrone lebon pic.twitter.com/d1QhG1aFIY
— FKA twigs (@FKAtwigs) 26 janvier 2016
Rise up in #mycalvins, via Saskia de Brauw. Photographed by Tyrone Lebon. See more at https://t.co/ZElG4LsRnb. pic.twitter.com/r4qCLWqpXN
— Calvin Klein (@CalvinKlein) 27 janvier 2016
On peut aussi objecter que d’autres clichés de Calvin Klein sexualisent également les hommes, ce qui, peut-être, ne plaira pas à certains, mais éloigne l’accusation de sexisme, fondée sur une différence de traitement.
En mettant côté à côté un homme qui gagne de l’argent et une femme qui veut séduire, l’affiche de New York est d’une maladresse affligeante, et ce montage est effectivement sexiste. Mais il y avait certainement d’autres campagnes de pub bien plus offensantes auxquelles Heidi Zak pouvait s’en prendre, d’autant que le bad buzz s’est lui aussi bien démocratisé. Elles ne lui convenaient pas, sans doute parce qu’il ne s’agissait pas de concurrents directs?