France

Le stress au travail mal du siècle

Temps de lecture : 4 min

Oui... mais comment le mesurer? Comment mesurer la fatigue, le moral, la frustration ou le mal-être?

A partir du mois de novembre, les entreprises de plus de 2 000 salariés seront invitées à ouvrir des négociations sur le stress au travail. Notion qui relève davantage du «ressenti» que d'une norme accessible à la mesure. Voilà bien une première dans un monde qui manifeste depuis toujours un sérieux penchant pour le quantitatif. En matière de conditions de travail, les horaires, le bruit, la chaleur connaissent des unités de mesure... on se dispensera de les rappeler, mais le stress? Qu'est qui mesure le stress? Comment le mesurer sinon par les multiples manifestations qui témoignent de ses turpitudes? Il n'est pas plus facile de mesurer la fatigue, le moral ou l'insatisfaction. On se souvient de ces enquêtes de climat qui relèvent que 32% du personnel se sent démotivé... que faire d'un tel résultat? La notion se caractérise d'abord par une multitude d'effets aussi variés que les personnes et les situations.

Aussi la prise en compte de la notion de stress comme thème de  négociation s'affirme t-il d'abord comme la reconnaissance de la «subjectivité» (autrement dit de ce qu'éprouve une personne) au pays des tableaux de bord et des ratios de toutes espèces. Après une série d'évènements tragiques, l'alerte a été perçue. Chacun en conviendra, il y  avait urgence... Le problème c'est que le stress, «ça» existe depuis longtemps et que «ça» risque encore de durer un bon moment. D'autant qu'avant d'être lui-même une cause, le stress est un effet dû à de multiples causes. Et que la première cause est d'être en vie...car le stress est inséparable de notre présence au monde. «Chienne de vie» diront certains. Et pourtant...

Le stress est partout. Il se trouve dans tous les actes de l'existence, dans tous les métiers, dans de multiples situations. Il est celui d'une sage-femme conduisant un accouchement difficile, de l'alpiniste quand la roche joue aux mille-feuilles, il est celui du gardien de but à l'heure d'un fatidique pénalty, d'un parent en attente du retour d'un enfant, d'un collégien surpris par une interrogation, il est celui d'un malade à l'annonce d'un diagnostic ou du joueur de poker quand les cartes se montrent. Pire encore, le stress peut être causé par un échec ou par une réussite. On n'a pas oublié la mise en abîme du sauteur en longueur Bob Beamon après ses 8m90 aux Jeux de Mexico. Placé dans une même circonstance inattendue, l'un se dira stimulé quand l'autre s'avouera totalement démuni. La variété des syndromes d'adaptation est encore un mystère. De même cette magnifique «opportunité stratégique» annoncée par un dirigeant, pourra t-elle se transformer en chemin de croix pour ses troupes.

Dans le monde de l'entreprise «la recherche du temps perdu» s'appelle le «toujours plus avec moins». C'est la première cause. Ici l'efficacité des résultats prime la vérité des hommes. D'autres causes sont à rechercher dans la peur et dans l'impuissance. Peur ou manque de courage de protester contre ces ratios aberrants reconduits annuellement d'un simple clic sur le numérateur. Peur ou manque de courage des conseils d'administration (ici on dira «avoir les jetons») de faire chuter la «confiance» de l'actionnaire. Impuissance de la ligne managériale à récuser des objectifs inacceptables pour leurs équipes. Impuissance de ce salarié contraint d'arbitrer entre une mobilité ou un licenciement. Scenario pessimiste? Peut-être, mais qui acceptera de désarmer?  De réduire les délais promis à «l'exigence» des clients? De conserver les effectifs indispensables? De prendre le temps de la prise de fonction ou de la formation? Quel actionnaire acceptera une diminution de ses dividendes? Qui veut bien commencer à lever le pied? Ni mon voisin de bureau qui fait des heures sup' à n'en plus finir pour payer les traites de sa maison, ni moi lorsque je refuse toute augmentation de prix à mon marchand de fruits et légumes.

Si le stress est une expression de la vie, les évènements de ces derniers temps nous ont appris que sa surdose pouvait être toxique, voire mortelle. Il devient alarmant quand s'absente toute forme de compensation ou de récupération. Balade en forêt, plaques de chocolat, bouteille entre amis, sourires des enfants, rien n'y fait. Le sujet est comme ce rat de laboratoire du professeur Laborit. Plus d'issue. Impossible de s'adapter, de réagir, de fuir ou de se battre. Tapi dans un angle mort l'individu se trouve vaincu. La fameuse «gestion du stress» agite son drapeau blanc.

Ces accords libéreront la parole et donneront lieu à de multiples recommandations. Des groupes de travail se formeront pour faire remonter les problèmes et suggestions. Ce sera leur premier mérite.  Leur priorité sera de travailler sur le thème du temps. Il en faut un peu pour bien faire son travail et pour le faire de façon «durable» comme on dit aujourd'hui. On formera le vœu que ces négociations n'oublient pas la question des comportements. A l'exemple de la fonction RH (Ressources humaines) qui regardera à deux fois avant de confier à des personnalités caractérielles pratiquant à voix haute «le management par le stress», toute forme de gouvernement des hommes. Tant pis si ces personnalités à la narcissique vitalité sont «efficaces».

Au risque de paraître vieux jeu, la notion de vertu (courage, honnêteté, générosité, capacité à se remettre en cause, ouverture d'esprit) pourra prendre toute sa place au-dessus des capacités d'adaptation ou de réactivité réclamés dans les petites annonces. Au quotidien, les managers, sur la ligne de crête entre la nécessité de faire «pression» et de rendre la pression admissible prendront le temps d'être à l'écoute de leurs équipes. L'un des hiatus du management repose sur le fait que les managers souhaitent que leurs équipes leur rendent des comptes quand ces mêmes équipes souhaiteraient qu'ils se «rendent compte». Nuance.

L'écoute n'exclut pas l'exigence. Mais à la différence de la dureté l'exigence se fonde sur l'estime de l'autre, sur le sens de l'action demandée et sur la reconnaissance qui en achève la contribution. Le stress? En tout état de cause, à consommer avec modération. De mon côté, promis, je vais faire un effort. Et si mon chef se rend compte du mal que je me donne, il se peut même que je sois prêt à le suivre et à  souscrire à cet accord.

Gilles Alexandre

Lire également: Combattre la souffrance au travail

Image de Une: Nicolas Sarkozy  Reuters

 


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