Après cinq mois d’engagement militaire intensif dans le conflit syrien, Vladimir Poutine estime avoir créé les conditions d’une négociation favorables à Moscou et à ses alliés. C’est le sens de la décision, annoncée par surprise, d’un retrait partiel des forces russes de Syrie. Le chef du Kremlin avait choisi le 14 mars pour annoncer cette décision qui devait prendre effet le lendemain, soit cinq ans jour pour jour après le début du mouvement de contestation contre le régime de Damas qui devait conduire à l’engrenage de la guerre civile. Celle-ci a fait près de 300.000 morts et plus de 10 millions de personnes déplacées, dont 4 millions de réfugiés en dehors des frontières du pays.
L’annonce de Vladimir Poutine a coïncidé aussi avec la reprise des négociations indirectes entre les représentants de Bachar el-Assad et de ceux de l’opposition, qui se tiennent à Genève sous la direction de Stefan de Mistura, l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies. Ces négociations ont pour but de mettre en œuvre la «feuille de route» décidée par la résolution 2254 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité. Elle prévoit la création dans les six mois d’un gouvernement de transition et des élections législatives et présidentielle dans les dix-huit mois.
Elle ne dit rien du sort de Bachar el-Assad, qui reste une pierre d’achoppement entre la Russie et l’Iran, d’une part, et les Occidentaux. Depuis le début du conflit, ces derniers n’ont cessé de répéter que «Assad doit partir», bien qu’ils soient contraints de tenir compte des réalités, à savoir que cinq ans plus tard, le dictateur de Damas est toujours en place.
«Que Bachar el-Assad en tienne compte»
Sa position a même été renforcée par l’intervention militaire russe à partir du 30 septembre 2015. L’engagement de l’aviation russe contre les «terroristes» en Syrie avait créé le même type de surprise que l’annonce du retrait cinq mois plus tard. Moscou a dépêché sur place une cinquante de chasseurs bombardiers, des hélicoptères et des missiles sol-air S-400, servis par quelque 4000 hommes. Selon le ministère russe de la Défense, ces avions ont effectué 9.000 sorties et permis aux forces gouvernementales de reprendre le contrôle de 400 localités tombées aux mains des groupes rebelles. Les observateurs occidentaux ont noté que plus de 80% des frappes russes ont visé l’opposition syrienne et non l’Etat islamique, prétexte de l’intervention.
Ayant empêché l’effondrement total de l’Etat syrien et par là même conforté Bachar el-Assad, Vladimir Poutine estime que l’engagement militaire russe en Syrie a atteint ses objectifs. En annonçant un retrait partiel de ses troupes, réversible à tout moment au cas où la trêve entrée en vigueur à la fin de février serait violée, il se présente comme un faiseur de paix, opposé à une politique jusqu’auboutiste. Il souligne qui est le maître du jeu, notamment vis-à-vis du président syrien auquel il n’a pas demandé son avis.
À Bachar el-Assad qui proclamait vouloir se battre jusqu’à la victoire finale et la reconquête de tout le territoire syrien, le représentant de la Russie à l’ONU, Vitali Tchourkine, avait d’ailleurs clairement expliqué la hiérarchie: «La Russie s’est investie sérieusement dans cette crise du point de vue politique, diplomatique et maintenant militaire. C’est pourquoi nous voudrions bien sûr que Bachar el-Assad en tienne compte», avait-il déclaré lors de la proclamation de la trêve. Avant d’ajouter: «Si les autorités syriennes acceptent le rôle directeur de la Russie dans la résolution de cette crise, elles auront alors une chance d’en sortir dignement. Si elles s’éloignent de ce chemin, cela peut aboutir à une situation très difficile, y compris pour elles-mêmes.»
Leçons de la guerre d'Afghanistan
Dans une mauvaise passe économique à cause des sanctions occidentales qui s’ajoutent à la baisse des prix du pétrole, la Russie a tout intérêt à ne pas s’enliser dans le bourbier syrien. Elle a tiré la leçon de l’intervention en Afghanistan dans les années 1980. Pour un coût limité –estimé à 3 millions de dollars par jour–, sans pertes humaines significatives, elle a signé son retour au Moyen-Orient. Vladimir Poutine a montré qu’il était un interlocuteur incontournable, pas seulement un trublion qui empêche la résolution des conflits, mais un partenaire à part entière. La Russie, selon lui, a retrouvé un rôle de puissance globale que lui avaient dénié les Occidentaux après la dissolution de l’URSS –Barack Obama ne parlait-il pas encore récemment de la Russie comme d’une «puissance régionale»?
Poutine sort de l’isolement dans lequel les Américains et les Européens voulaient le cantonner à la suite de l’annexion de la Crimée et de la guerre dans l’est de l’Ukraine. En jouant l’apaisement en Syrie, il augmente la pression en faveur d’une levée des sanctions que l’Union européenne doit examiner avant la fin du semestre. Il a montré aussi aux pays tiers que la Russie était une partenaire fiable qui ne laissait pas tomber ses alliés, au contraire des Etats-Unis qui, à l’occasion des printemps arabes, ont accepté voir accéléré la chute de leurs anciens protégés. Poutine a souffert des changements de régime dans la périphérie russe. Il a toléré l’intervention occidentale en Libye. En Syrie, il signifie que ce temps est révolu et qu’il est décidé à prévenir l’effondrement des Etats et à empêcher le regime change.
Par la même occasion, il a testé en grandeur nature et montré au monde de nouvelles armes, comme les missiles de croisière qui ont été tirés depuis les bords de la Caspienne sur des cibles en Syrie. Mais il tenait surtout à montrer que seules deux superpuissances, les Etats-Unis et la Russie, sont en mesure de mettre fin à des conflits régionaux quand elles acceptent de se parler. Comme au temps de la Guerre froide.