Manger, avaler de la nourriture, est un des gestes élémentaires de la vie comme respirer, marcher, dormir. Mais parfois ce geste si simple peut se transformer en enfer. Avaler quelque chose devient une torture, le mécanisme se bloque, la volonté se braque, le plaisir de manger disparaît. C’est ce qui est arrivé à Samantha Anderson, une jeune femme de 39 ans qui tenait une bijouterie en Australie, interviewée par le magazine Mosaic.
Tout a commencé un matin, alors qu’elle prenait son petit-déjeuner. Rien de spécial au menu ce jour-là: du thé et des toasts au beurre de cacahuète. Elle prend sa première bouchée mais n’arrive pas à avaler. Un peu interloquée, reprenant son souffle, elle réessaie de faire passer la bouchée par le conduit, rien n’y fait. Elle manque quasiment de s’étouffer. Elle réessaie mais sans y parvenir, son cœur battant maintenant la chamade et la peur montant en elle, avec l’intuition que quelque chose de totalement anormal lui arrive. Pendant six mois, Samantha Anderson va progressivement perdre énormément de poids, jusqu’à être intubée. Les premiers médecins qu’elle voit diagnostiquent du stress, lui prescrivant du valium.
«J’ai peur qu’il se glisse dans la trachée»
De fait, avaler peut être une épreuve psychologique pour de nombreuses personnes, à certains moments de leur vie ou avec certains types d’aliments. Philippe (son prénom a été modifié) se souvient d’avoir eu très peur étant petit d’ingurgiter de la viande à la cantine, raconte-t-il à Slate.fr:
«On m’avait dit que parfois la nourriture “passe par le mauvais tuyau” et, depuis, j’avais peur de ce mauvais tuyau. Ma grande frayeur, c’était que le bout soit trop gros et que je n’arrive pas à l’avaler. Je faisais des boules dans la bouche que je gardais très longtemps, parfois en les recrachant et en planquant la viande pour qu’on ne remarque pas que je l’avais jetée. D’autres fois, je finissais par manger quand même.»
J’ai peur que cela passe d’un conduit à l’autre, il me faut plus d’une minute pour avaler la moitié d’un comprimé
Édouard
Parfois, ce sont les médicaments qui coincent. Édouard avait une peur bleue pendant l’enfance des pilules, gélules et autres comprimés «durs» qu’il devait ingérer, et qui continuent de poser problème encore aujourd’hui, la trentaine passée:
«J’ai peur que cela passe d’un conduit à l’autre, il me faut plus d’une minute pour avaler la moitié d’un comprimé. La nourriture, on peut la mâcher et se l’approprier, alors que cet objet me semble étranger, je ne le contrôle pas, je ne sais pas où il est quand il se balade dans ma bouche et j’ai peur qu’il se glisse dans la trachée.»
Un adulte sur huit
Mais les problèmes pour avaler peuvent avoir des causes médicales mécaniques. Certains patients sont atteints de dysphagie, le nom scientifique de ce trouble, à cause de la maladie d’Alzheimer, de Parkinson ou d’autres maladies neurologiques, qui affectent l’un des sept nerfs crâniens qui entrent en action dans la déglutition. Les ennuis peuvent survenir après un cancer de la gorge ou des opérations conduisant à endommager la langue ou les muscles (il y en a vingt-deux au total) de la zone. Les troubles liés à la déglutition toucheraient près d’un adulte sur huit, selon une étude menée aux Pays-Bas.
Pour les praticiens, lorsqu’ils ont affaire à des patients jeunes et en pleine santé, le réflexe est cependant souvent de se dire que ces problèmes sont d’ordre psychologique. Les premiers médecins ont affirmé à Samantha Anderson que «tout était dans sa tête». Un autre lui a même dit, quand elle était à l’hôpital, qu’elle avait «tout simplement oublié comment on avale».
Exercices de rééducation
Ce n’est qu’après des mois de recherche, ballottée entre divers spécialistes, que la jeune femme a finalement trouvé l’origine de son mal. Croyant avoir eu des boutons de fièvre à l’oreille, elle avait en fait contracté un zona, une maladie virale banale, mais qui peut avoir des conséquences graves si elle n’est pas traitée. Dans le cas de Samantha Anderson, elle avait atteint quatre de ses nerfs crâniens, la privant d’une partie de ses sensations au niveau de la langue, celles qui sont justement nécessaires pour correctement effectuer le geste d’avaler.
Une fois le diagnostic posé, elle s’est vu prescrire des doses de donepezil, pour aider ses nerfs endommagés, et des exercices de rééducation. Trois ans et demi après les premiers symptômes, elle peut manger à nouveau des flocons d’avoine, des framboises et du lait à son petit-déjeuner, dissous dans un peu d’eau, en appliquant la méthode qu’on lui a prescrite et toujours en présence de son mari. Mais la méconnaissance de la maladie, aussi bien du corps médical que du grand public, a causé un énorme retard de diagnostic. Comme le dit Rebecca German, neurobiologiste à l’université médicale de Northeast Ohio, «si quelqu’un est atteint de la maladie de Parkinson, et qu’il se promène dans la rue, cela se voit. Mais pour la dysphagie, rien n’est visible».