Monde

Donald Trump, un dictateur 100% made in America

Temps de lecture : 4 min

Son autoritarisme n’est pas comparable aux dérives extrêmes européennes: c’est une idéologie purement américaine.

Donald Trump en meeting à Las Vegas, le 22 février 2016. Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.
Donald Trump en meeting à Las Vegas, le 22 février 2016. Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

En 1935, Sinclair Lewis publia Impossible ici, un roman aujourd’hui davantage cité que lu, qui imaginait le fascisme arrivant aux États-Unis. Le leader du mouvement, Buzz Windrip, y était un démagogue populiste promettant «de refaire de l’Amérique un pays fier et riche», qui punissait les nations qui le défiaient et augmentait démesurément les salaires tout en maintenant les prix au ras du plancher.

Impossible de lire le roman de Lewis aujourd’hui sans penser à Donald Trump. Windrip est un bonimenteur démagogue, un homme «inspiré qui sait deviner quelles doctrines politiques plairont au peuple», qui comprend comment manipuler les médias et considère la vérité comme n’ayant pas la moindre pertinence. Son électorat composé d’hommes blancs économiquement défavorisés bêle devant son nationalisme xénophobe et ses promesses absurdes. Après avoir remporté les élections de 1936, Windrip prend le contrôle de la presse, boucle ses opposants et place des hommes d’affaires compétents aux commandes du pays.

Ce roman n’est pas excellent en réalité, mais Lewis le développe autour d’une vision clé: si le fascisme arrivait aux États-Unis, il prendrait la forme de variations sur des thèmes américains et non européens. L’Américain à cheval ressemblerait davantage au Sudiste Huey Long qu'à Benito Mussolini, à un opportuniste folklorique plutôt qu’à un idéologue rougeaud. Lewis avait eu du nez en devinant qu’un leader américain fasciste se présenterait sûrement comme un opposant au fascisme européen.

Contexte américain moderne

C’est un point que comprennent mal certains de ceux qui accusent Donald Trump de fascisme –y compris de nombreuses personnes de droite. C’est vrai, à l’occasion Trump ne dédaigne pas de retweeter une citation du Duce tout en se demandant ce qu’on peut bien y trouver à redire. Certes, ses meetings flirtent avec les violences raciales. Encore une fois, début mars, des voyous suprémacistes blancs ont énergiquement éjecté des manifestants noirs d’un de ses événements. C’est vrai, les dirigeants mondiaux que M. Trump admire sont les dictateurs, pas les démocrates. Sans aucun doute, lui-même ressemble à un dictateur.

Mais Trump ne s’inspire pas des traditions de totalitarisme européen, ni ne semble même y connaître quoi que ce soit d’ailleurs. Il n’est pas rongé par des griefs historiques, il n’est pas antisémite, il n’a pas essayé de construire un parti pour les masses et il n’exige pas un retour à la tradition ou à un ancien ordre moral. D’ailleurs, en tant que star de la téléréalité et cyberharceleur de sa troisième épouse, il est lui-même une bonne illustration du délitement de tout ordre moral qui aurait éventuellement survécu.

Trump représente plutôt des tendances autocratiques inscrites dans un contexte américain moderne. Il est hostile envers le libre-échange, la liberté de la presse et la liberté de culte tout en faisant semblant d’en reconnaître les mérites. Il est xénophobe, entretient une vision du monde complotiste, il admire la violence et la torture, méprise les faibles et n’entend pas tolérer la critique ou la contestation pacifique –mais le tout au nom de la nécessité de corriger les excès de tolérance. Diverses comparaisons mondiales et historiques éclairent son style et son mode de réflexion: Perón, de Gaulle –sur certains aspects–, Silvio Berlusconi, Vladimir Poutine et d’autres. Mais Trump n’est pas en train d’importer le caudillismo latin ou le despotisme russe. Il tyrannise ceux qui lui résistent dans le dialecte contemporain de la culture américaine des célébrités.

L’autoritarisme de Trump est un amalgame, non pas de la droite et de la gauche, mais de la gauche cinglée et de la droite cinglée

C’est pour cela que ceux qui avancent que les politiques de Trump sont plus modérées que celles de ses rivaux sont à côté de la plaque. L’autoritarisme de Trump est un amalgame non pas de la droite et de la gauche mais de la gauche cinglée et de la droite cinglée: il pense que George W. Bush était responsable du 11-Septembre et que les musulmans devraient se voir interdire l’accès aux États-Unis. Croire ces deux choses ne fait pas de M. Trump un centriste –ça en fait un extrémiste éclectique. Quant aux politiques, en réalité, il n’en a aucune au sens conventionnel du terme.

Le conflit de la campagne de 2016 ne se résume plus à Trump contre les rivaux de son parti; c’est désormais Trump contre le système politique américain. Ce système est sur le point de rater une occasion en or de le mettre hors jeu. Depuis le Super Tuesday, la réaction du parti républicain face à Trump est un peu encourageante, avec la diffusion de spots anti-Trump à la télévision et des hommes politiques pleins de principes, tel Mitt Romney, qui le dénoncent au milieu de volées d’attaques personnelles. Félicitations au sénateur Lindsey Graham, qui a qualifié Trump de «taré» et affirmé que le parti républicain était devenu «complètement cinglé». D’autres Républicains ont entrepris de qualifier Chris Christie, qui a lâchement soutenu Trump au début du mois, de «républicain de Vichy.» Mais tout cela est probablement insuffisant et arrive trop tard.

Si les Républicains sensés échouent à faire dérailler Trump, la tâche en incombera à Hillary Clinton et aux électeurs de novembre. Selon un sondage YouGov, 55% d’entre eux affirment qu’ils ne voteraient jamais pour Trump. Il existe néanmoins un risque non négligeable qu’il remporte les élections. Les fondateurs des États-Unis ont conçu un ordre constitutionnel visant à éviter l’exercice d’un pouvoir tyrannique. Mais le pays n’a semble-t-il jamais eu à affronter un président dictateur (à ne pas confondre avec les actions dictatoriales d’un président). On peut croire en l’efficacité du système sans pour autant avoir envie de le voir mis à l’épreuve de cette manière.

Une Amérique où Trump peut représenter un des plus grands partis n’est pas du tout le pays dans lequel beaucoup d’entre nous pensions vivre jusqu’à présent. Comme beaucoup, j’ai été beaucoup trop complaisant. Cela pourrait très bien arriver ici, et ça nous pend au nez.

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