Comme j'écoute beaucoup de musique, sur CD, vinyles et MP3, j'ai fini par me demander lequel de ces trois supports était le plus doux pour l'environnement. Un album en MP3 dispense d'emballage, mais que coûte-t-il en termes énergétiques ?
Quelques chercheurs de bonne volonté se sont penchés sur la question ou, tout du moins, sur le comparatif CD contre MP3. Il ressort qu'à presque tous les niveaux, un téléchargement est moins nuisible qu'un CD. Mais cela ne veut pas dire que les mélomanes éclairés doivent définitivement et exclusivement se tourner vers la musique achetée sur ordinateur.
Cet été, des chercheurs de l'université Carnegie Mellon et du Lawrence Berkeley National Laboratory ont donc comptabilisé, à la demande de Microsoft et d'Intel, les émissions de gaz à effet de serre et les dépenses d'énergie correspondant d'une part, au téléchargement, d'autre part aux CD achetés en magasin. En 2003, déjà, une équipe européenne associée au label EMI avait comparé MP3 et CD du point de vue de leur "intensité matérielle", c'est-à-dire de la quantité de matière et de ressources (métal, carburant, etc.) nécessaire à leur production.
L'impact environnemental d'un CD est assez évident : il faut fabriquer le disque, le livret et le boîtier, puis expédier le tout, à travers une chaîne d'approvisionnement plus au moins longue, jusqu'au consommateur final. Le coût écologique d'un fichier musical numérique découle pour sa part de l'énergie déployée dans les centres de traitement de données, ces immenses salles remplies de serveurs et de matériel réseau qui constituent la colonne vertébrale d'Internet. À cela, il convient d'ajouter l'électricité dépensée par l'ordinateur qui télécharge, ainsi que les (infimes) ressources affectées à sa fabrication.
Dans les deux études scientifiques, l'album téléchargé réalise un meilleur score que le CD acheté en magasin : un MP3 dégage 13 % du dioxyde de carbone dégagé par un CD et nécessite 13 % de l'énergie consommée par ce dernier, pour une intensité matérielle de 37 %. De même, les deux études concluent qu'acheter un CD en magasin est plus néfaste à l'environnement que le commander en ligne. En effet, cette solution fait l'économie de l'électricité utilisée en magasin, et un produit expédié par camion dans le cadre d'une livraison groupée nécessite, au détail, moins d'énergie que celui que l'on va spécialement chercher en voiture. (Mais comme Slate.com l'a déjà souligné, le commerce électronique n'est pas toujours la panacée verte : tout dépend de la bonne planification de l'itinéraire et de la façon dont le chargement voyage, par air, route ou rail.)
Deux autres facteurs entrent en ligne de compte : ce que l'on fait des albums téléchargés, et la façon dont on se rend chez son disquaire. D'après les chercheurs américains, le téléchargement d'un album de 60 à 100 mégaoctets nécessite en moyenne 7 mégajoules, pour une production de 400 grammes de dioxyde de carbone. Gravé sur un CD, ce même album fait monter les chiffres à environ 12 mégajoules pour 700 grammes de CO2 ; et avec un boîtier, on atteint 23 mégajoules pour 1 100 grammes de CO2.
D'autre part, l'étude américaine a constaté que la moitié de l'empreinte écologique d'un CD acheté en magasin provient du trajet effectué en voiture pour s'y rendre. Si l'on va chez son disquaire en vélo ou à pied, notre disque aura dégagé en moyenne quelque 1 330 grammes de CO2, soit presque autant que le CD en boîtier fait maison à partir d'un téléchargement.
Une connexion Internet haut débit permet de réduire l'impact du téléchargement, puisque plus celui-ci est rapide, moins il demande d'électricité. À l'inverse, plus les fichiers téléchargés sont volumineux et de bonne qualité audio, plus ils requièrent d'énergie au centre de données, et plus ils prennent de temps à télécharger. Ainsi, l'équipe américaine a estimé qu'un album de 260 Mo équivalait à environ 800 grammes de CO2 en plus. Cependant, ni l'étude européenne ni l'étude américaine n'ont considéré l'énergie mise en œuvre pour lire un album virtuel ou physique, pas plus qu'elles n'ont recensé les ressources, les émissions et les déchets considérables engendrés par la fabrication des chaînes stéréo, des iPods, des ordinateurs portables et autres systèmes d'écoute.
Pour affiner les données, il faudrait également analyser la corrélation entre l'évolution des supports et les comportements d'achat : la facilité, la rapidité et le faible coût d'acquisition de la musique en ligne encourage à s'en procurer beaucoup plus qu'à l'ère pré-numérique. Les musicothèques d'aujourd'hui pourraient de ce fait avoir une empreinte écologique supérieure à celles d'autrefois.
Quid des vinyles ? Je n'ai trouvé aucune analyse de la chaîne depuis la fabrication jusqu'à la vente, mais l'on dispose toutefois de quelques paramètres. Tout d'abord, les minces pochettes en carton des disques vinyles sont moins nocives en termes d'emballage que les épais boîtiers en polystyrène dérivés du pétrole des CD. (Selon une récente étude de Julie's Bicycle, ONG britannique qui œuvre à réduire le bilan carbone de l'industrie musicale du Royaume-Uni, les pochettes en cartons émettent seulement 1 % des gaz à effet de serre libérés par un boîtier CD de taille identique.) Toutefois, un 33 tours étant deux fois plus lourd qu'un CD conditionné, il nécessite davantage de carburant pour son transport.
Un autre point faible des disques à l'ancienne est qu'ils sont fabriqués à base de polychlorure de vinyle (PVC). Comme nous l'avons rappelé à l'occasion d'articles sur le similicuir et les faux sapins de Noël, le PVC est fort mal vu des écologistes, car il est à l'origine d'émission toxiques lors de sa fabrication et, quand il est brûlé, de sa destruction. (L'un des fabricants de vinyle que j'ai interrogé a évoqué des expériences en cours sur le bioplastique, mais l'avènement des albums végétaux n'est pas pour demain.)
Cela dit, les vinyles représentent une minuscule portion du marché PVC. Dans un article récent, le magazine de rock Crawdaddy estimait ainsi à 0,02 % la part de l'industrie du disque dans la production de PVC aux États-Unis. Pour une musicothèque la plus écologique possible, le mieux est encore de faire tourner ses vieux disques, pour éviter toute nouvelle fabrication de plastique. (Idem pour les CD : acheter des albums d'occasion signifie moins de disques en polycarbonate et aluminium, et moins de boîtiers en polystyrène.)
Pour diminuer l'empreinte de sa musicothèque, il faut enfin se débarrasser de ses vieux disques proprement, en les vendant à des magasins spécialisés ou en les donnant à des écoles ou à des médiathèques.
Nina Shen Rastogi est écrivain et éditeur à Brooklyn, New York.
Traduit par Chloé Leleu
Image de une: Ecoute le musique par bébétoujours via Flickr