Une valeureuse lignée. Avant qu’AlphaGo, l’intelligence artificielle de Google, ne fasse qu'une bouchée du champion d’Europe de jeu de go et mette la pâtée par deux fois déjà au champion du monde, en octobre dernier et en mars de cette année, d’autres ordinateurs s’étaient essayés à ce jeu millénaire.
La biologiste Christie Wilcox a raconté dans les colonnes de Discover comment son père, le programmeur Bruce Wilcox, a conçu la première intelligence artificielle en mesure de battre des joueurs de go débutant:
«À l’époque, mon père était chercheur à l'université du Michigan [...] En 1972, le professeur Reitman lui a demandé s’il voulait prendre en charge un nouveau projet: créer un programme capable de jouer au jeu de go. [...] À l'époque, deux autres logiciels de ce type existaient mais n'importe quel débutant pouvait les battre.»
Entre les dames, les échecs et Risk
Créer un programme de jeu de go véritablement performant était un défi technique. Pour Bruce Wilcox, qui n'y connaissait rien, la mission s’avère difficile, mais passionnante, à l’image de ce jeu de réflexion et stratégie. «Une minute pour comprendre le go, une vie pour le maîtriser», dit le dicton. Et si les règles sont relativement simples, les possibilités stratégiques sont, elles, innombrables.
Le but du jeu est de s’approprier le plus grand territoire du plateau. Les joueurs jouent chacun à leur tour. Lorsque des pions du joueur A sont encerclés par des pions du joueur B, les pions piégés sont alors retirés du plateau. En somme, un mélange de dames, d’échecs et de Risk, où l’on peut se faire dominer durant une bataille, mais tout de même gagner la guerre.
Premières victoires
De ce fait, impossible pour le programme de lire à l’avance la manière dont il va battre son adversaire, car il n’y a pas de «meilleur» mouvement. Un joueur réel peut mouvoir ses pions selon son intuition, son caractère. Mais le programme de Bruce Wilcox avait un avantage par rapports aux autres I.A.: la vision du jeu.
«Il était capable d’analyser la situation de jeu en globalité, et de proposer des mouvements à partir d’une base de données, explique Christie Wilcox. Il faisait quelques pauses pour “réfléchir” à comment se sortir d’une situation délicate, en prenant le temps d’analyser la taille des territoires contrôlés par l’adversaire, de déterminer les petits groupes de pions les plus vulnérables, et déplaçait les pions selon un ordre de solutions classées hiérarchiquement.»
Le programme a pu battre des joueurs novices. Une prouesse. Au milieu des années 1980, il a été commercialisé au Japon et aux États-Unis sous le nom de Nemesis, faisant de Bruce Wilcox une personnalité reconnue dans la communauté des joueurs de go. Pourtant, même vingt ans plus tard, il n’a jamais pu mettre en échec un professionnel. Depuis, le témoin a été confié à AlphaGo.