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En décembre 2013, Nicolas Chemla publiait sur Mediapart une tribune intitulée «Après les années bobos: 2013, année Boubour?» L’auteur, consultant dans le domaine du luxe, s’amusait –et s’inquiétait– de ce qui couvait sous le lynchage des fameux «bobos» conceptualisés par l’Américain David Brooks dans son célèbre livre Bobos in Paradise publié au début des années 2000. Car entre temps «les Bobos sont devenus bel et bien la caricature qu’on en faisait, le terme est une insulte dans une majorité de milieux (mais quand même surtout chez les politicards poujadistes) qui les voient comme l’incarnation d’une élite mondialisée, ethno-, eco- et gay-friendly, déconnectée de “la réalité du peuple”».
À la suite de ce personnage qui a fini par envahir les pages des magazines, les centre-villes gentrifiés et jusqu'aux discours politiques, vient (ou revient) son antithèse, celui qui défend le retour aux sources, le machisme et rejette l’intellectualisme et la sophistication. Chemla le baptisera le «boubour», ou bourgeois-bourrin.
Nicolas Chemla affine et prolonge l’analyse socio-culturelle de ce personnage dans un essai, Anthropologie du Boubour –Bienvenue dans le monde bourgeois-bourrin, qui paraît chez Lemieux Editeur.
Évidemment, le boubour à l'état pur n’existe pas plus que son frère ennemi bobo. C’est une sorte de socio-type auquel l’auteur associe des traits culturels, des opinions, des goûts et des manières de vivre. Observateur attentif des modes médiatiques et de la pop culture, Chemla accumule au fil des pages les indices et signaux de ce retour en grâce de tout ce qui est lourd, viril, clinquant et sans complexe. Citons sans exhaustivité le succès du parfum bling bling One Million de Paco Rabane, le couple tout aussi bourrin composé de Kanye West et Kim Kardashian, les comédies américaines au-dessous de la ceinture post-Apatow, la techno rentre-dedans de David Guetta, le retour du rock à guitares seventies et des grosses cylindrées...
Pire, et c'est la nouveauté, le boubour séduirait même au sein des milieux intellos et branchés, à en croire l’intronisation par la critique ciné «estampillé(e) Sundance et Télérama» d’un style bourrin avec Spring Breakers d’Harmony Korine, «une invitation au paradis boubour», Dheepan de Jacques Audiard, drame social «qui vire en remake de Rambo 3», ou encore les pubs et clips réalisés par Romain Gavras. Côté série, la mode est au «retour du masculin prédateur et déchaîné», comme dans Breaking Bad et Sons of Anarchy.
Du bobo au bonobo: le retour du darwinisme social
Si on imagine volontiers le «boubour» en bourgeois hétérosexuel d'âge mûr, la bourrinitude n'est l'apanage ni d'un sexe –il y a des «boubour femelles», de Rihanna à Amy Schumer–, ni d'un milieu social –Booba, établi dans la capitale boubour mondiale qu'est Miami, serait ainsi la quintessence du boubour de banlieue– ni d'une orientation sexuelle –il y a un retour à une esthétique viriliste dans une partie du milieu gay.
Au-delà de cette analyse critique des produits des industries culturelles, l’auteur remarque à juste titre ce que le triomphe médiatique de la psychologie évolutionniste, de la sociobiologie et des neuro-sciences, en tout cas de leur vulgarisation, dit de l’esprit «bourrin» du temps: ces sciences postulent –et tentent de démontrer– une «réduction de toute forme d’idéal à de simples mécanismes génétiques hérités de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs», légitimant et naturalisant ainsi les lois de la nature, «la violence des marchés et l’individualisme triomphant de l’ultra-libéralisme» tout en renforçant les stéréotypes populaires. En clair, «les bobos sont un accident de l'histoire, le bonobo est la vraie nature de l'homme, vive les boubours!».
Le boubour a fait des seventies son âge d’or –on peut voir dans l’adulation ironique de Chirac jeune, la marque Le Slip français ou les films de Jean Dujardin des indices de ce rétro-masculinisme désormais à la mode. Après tout cette décennie était celle «de l’éclate du mâle blanc à tous les étages, sans reproche et sans remords, avant que ne tombent les multiples couperets de la “bien-pensance” normative.» Description qui n’est pas sans rappeler les thèmes privilégiés des succès d’édition «boubours» des dernières années, à commencer par ceux d’Éric Zemmour, sur fond de retour à l’ordre familial et moral d’avant la révolution des mœurs. En cela, la légèreté apparente du livre se double d'une lecture politique par un authentique bobo (assumant aussi ses contradictions «bourrines») qui tente de sauver ce qui peut l'être d'une entrée dans le XXIe siècle qui n'a juré que par l'écologie, la nourriture bio, la bonne gouvernance et le libéralisme culturel.
Tremblez, lecteurs (ou réjouissez-vous) car le boubour, «qu’il ne s’agit plus d’emmerder avec les Bisounours –ou le quinoa», triomphe partout. De quoi nous faire regretter Louis Garrel et Michel et Augustin? Tout le monde n'ira pas jusqu'à ces extrémités. En attendant, nous reproduisons le test proposé par l’auteur en fin de livre, «Quel boubour êtes-vous?», qui vous aidera à vous positionner sur l’échelle de la révolution bourrine qui vient.