Ce mercredi 9 mars marquait la première grande journée de contestation du projet de réforme du code du travail. Étudiants et lycéens avaient annoncé leur mobilisation par différents canaux, que ce soit les appels de leurs syndicats ou le hashtag #onvautmieuxqueça. Les plus jeunes ont battu le pavé donc, suivis de près par des journalistes éducation:
Les lycéens rue de Reuilly : "Qu'est ce qu'on veut ? Le retrait ! De quoi ? De la loi ! On négocie ? Nooonnn" pic.twitter.com/73AcUIdz7d
— Battaglia (@matteabattaglia) 9 Mars 2016
Les fumigènes sont de sortie ds la manif de lycéens qui chante "El Khomri t'es foutue, la jeunesse est dans la rue" pic.twitter.com/keEO59bT4t
— Marie-Estelle Pech (@MariestellPech) 9 Mars 2016
«--------- t’es foutu(e), la jeunesse est dans la rue!» Quel que soit le nom que l'on met devant le slogan –Devaquet, Jospin, Fillon et aujourd’hui, El Khomri–, c’est un énorme hit des manif lycéennes et étudiantes. Car ces mouvements présentent une forme de continuité qui confine à la tradition. Il suffisait d’aller sur place pour se rappeler celles de 1986, 1990, 1995, 2006 ou 2008… Ce qui change le plus, ce sont la forme des jeans et le genre de baskets portés par les jeunes qui défilent. Les chants et les slogans demeurent. Ce que nous confirme Marie-Estelle Pech qui suit l’éducation au Figaro et qui sans souhaiter y consacrer plus de quelques lignes dans son journal, s’est rendu à une AG lycéenne et à la manifestation où nous la croisons:
«Oui, il y a un air de déjà vu. Au départ, ce sont souvent les mêmes lycées qui se mobilisent: Montaigne et les établissements de l’est parisien avec éventuellement quelques lycées de banlieue. On trouve chez les lycéens mobilisés un mélange de jeunes politisés avec un discours structuré qui reprend celui des organisations syndicales (UNL, Unef, etc.) et d’autres qui sont sous l’effet “première manif”. Ils sont joyeux et enthousiastes à l’idée de sécher les cours, mais aussi de défiler en chantant des slogans. En leur parlant, on voit bien que leur conscience politique est encore embryonnaire par rapport aux étudiants. Je crois que c’est le principe d’une manif lycéenne.»
Une jeunesse intégrée et bientôt diplômée
Mais comme le rappellent de nombreux observateurs, cette population apparentée par certains médias à «la jeunesse» n’est pas en tout point représentative de sa génération. Ce que souligne le sociologue Olivier Galland, auteur de Sociologie de la jeunesse (Armand Colin):
«Il s’agit dans ces manifestation d’une jeunesse diplômée (ou futur diplômée) dont le destin en terme d’accès à l’emploi et d’intégration sociale est plutôt rassurant si l’on observe les données statistiques. En vérité, il y a en France davantage de différences intragénérationnelles qu’intergénérationnelles… Mais les médias ont intégré l’idée de “génération sacrifiée”, en particulier depuis la vulgarisation des travaux du sociologue Louis Chauvel, qui démontrait combien les baby boomers ont été une génération privilégiée par rapport à celles qui leur ont succédés.»
Luc Bronner, le directeur des rédactions du Monde, a aussi suivi l’éducation et la banlieue pour ce quotidien. Il souligne que la jeunesse qui manifeste a un profil particulier:
«Elle est sociologiquement proche des journalistes, qui peuvent parfois regarder “ses enfants” battre le pavé avec une forme de tendresse.»
Les syndicats lycéens et étudiants permettent de faire émerger une parole. Une parole d'une jeunesse. Et cela ne se produit que pendant ces mouvements
Luc Bronner
«Bizutage social»
Une bienveillance que l’on retrouve chez les politiques de gauche, et ce même au gouvernement. Avec cette idée qu’il est sain que les jeunes se préoccupent de leur avenir. Ainsi, voici ce que déclarait la ministre de l'Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem sur France Info ce mercredi matin:
«Les organisations étudiantes comme les organisations lycéennes sont tout à fait légitimes à vouloir prendre part au débat. Je ne considère pas qu’il y aurait des sujets pour les jeunes, d'une part, et puis des sujets pour les grandes personnes. (…) Cette loi répond à la question de l’entrée dans le monde du travail. (…) Que les jeunes aient leur mot à dire sur le sujet, cela ne me choque pas.»
Ce que le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la recherche, Thierry Mandon, nous confirme. Se positionner par rapport à ces mouvements a valeur d’expérience politique forte sur le plan personnel:
«Il y a, en effet, un fond de “bizutage social” qui fait rite et, en même temps, c'est la première expérience, pour chaque jeune, où il doit se situer dans un collectif entre ceux qui animent, ceux qui y croient, ceux qui suivent et ceux qui refusent.»
Des mouvements imprévisibles
Mais pourquoi un tel écho médiatique à chaque fois? Car il semble que les mobilisations de la jeunesse sont parfois un peu surtraitées, surtout en comparaison avec les mouvements sociaux des salariés. Pour Luc Bronner, il y a plusieurs explications:
«D’abord, la jeunesse n’est pas un sujet suivi en tant que tel dans les médias qui s’attachent traditionnellement à des réalités définies institutionnellement: l’école par exemple. Alors, même si les syndicats lycéens et étudiants ne représentent pas une énorme partie de la jeunesse, ils permettent de faire émerger une parole. Une parole d'une jeunesse. Et cela ne se produit que pendant ces mouvements. Ensuite, il y a la crainte de passer à coté d'un phénomène important car le succès des mouvements de jeunes est difficilement prévisible et ils peuvent devenir plus massifs que prévus. Bref, on a peur de rater quelque chose.»
Autre analyse du coté de Thierry Mandon, qui revient sur la proximité avec les journalistes et les problèmes des adultes:
«Les médias et la société, au moins dans un premier temps, valorisent d’autant plus les mouvements jeunes qu’eux même ont, en ce moment particulièrement, ce fond d’inquiétude. Ils vivent donc ces protestations par procuration.»
Les médias et la société valorisent d’autant plus les mouvements jeunes qu’eux même ont ce fond d’inquiétude
Thierry Mandon
Il est vrai que la précarité et la baisse du niveau de rémunération et d’accès au CDI sont des sujets que l’on connaît mieux dans les rédactions que dans les ministères.
Hollande face à ses contradictions
Enfin, ce qui justifie autant d’attention journalistique, hé bien, c’est simple, c’est que chacun a en tête l’efficacité du jeune qui manifeste. Celle-ci est sans égal, ainsi que le souligne Marie-Estelle Pech:
«Je trouve que les manifs de jeunes sont très intéressantes politiquement. Parce qu'on sait historiquement qu'elles peuvent peser lourd politiquement. Et ce, même si elles ne sont pas massives.»
La réforme Darcos en 2008 a dû être retouchée après des mouvements de lycéens. Et beaucoup se souviennent, en 2006, des larges manifestations dénonçant le projet de contrat première embauche forçant Dominique de Villepin à reculer. De manière plus anecdotique et beaucoup moins politique, quoique, les rumeurs de raccourcissement des vacances scolaires mettent régulièrement des lycéens dans la rue.
Mais finalement la grande inconnue reste la réaction de ce gouvernement, de gauche, qui par tradition et sensibilité soutient les mouvements de jeune de gauche et se trouve pris dans un sacré paquet de contradictions. Surtout lorsque les syndicats lycéens et étudiants renvoient François Hollande à sa priorité… à la jeunesse. Une contradiction trop belle pour ne pas tendre nos micros aux jeunes.