Culture

«House of Cards» revient, plus sombre et effrayante que jamais

Temps de lecture : 5 min

La série ne fait plus de chichis et devient fièrement le soap qu'elle a toujours été.

Kevin Spacey dans la saison 4 de «House of Cards» (Netflix).
Kevin Spacey dans la saison 4 de «House of Cards» (Netflix).

Avertissement: cet article dévoile quelques éléments des quatre premiers épisodes de la saison 4 de House of Cards.

C'est la première règle de la politique, du moins telle que la pratiquent certains virtuoses du secteur: donnez au peuple ce qu'il veut. House of Cards, qui vient de lancer sa quatrième saison comme une hyène raclerait la carcasse de Jed Bartlet et de son Amérique, a toujours été un thriller kitsch se donnant des grands airs. La série a connu son meilleur en nous faisant oublier nos prétentions, cette chimère voulant que notre engouement s'explique par sa complexité morale ou même la grandiloquence toute shakespearienne de sa structure narrative –avec des ambitieux passant du Capitole à la Roche tarpéienne en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. A l'heure où s'ouvre son quatrième mandat, House of Cards ne fait plus de chichis et devient fièrement le soap qu'elle a toujours été –peut-être rassérénée par le succès irréel de Donald Trump. De fait, la vénalité extrême de leurs dirigeants ne dérange plus les Américains –elle les ébahit et les électrise. Comme dirait le milliardaire, c'est énorme!

Ce n'est pas la première fois que la série change de style, et ces nouveaux chapitres resserrés corrigent le tir de la saison 3, que ma consœur Willa Paskin qualifiait de sentimentalo-soporifique. Lorsque l'histoire reprend, Frank Underwood alterne magnifiquement entre trois modes: la rage fulminante, l'assurance glaçante qui-s'y-frotte-s'y-pique et le charme redneck débonnaire. Il se dévoue corps et âme à sa campagne présidentielle, affrontant les attaques d'Heather Dunbar (Elizabeth Marvel), la sur-intègre candidate débarquée du Département de la Justice, et les sobres rebuffades de Jackie Sharp (Molly Parker), ici davantage bonniche que tigresse quand elle se plie aux exigences d'Underwood, malgré tout le mépris qu'il lui inspire.

Le rival le plus dangereux de Frank, c'est Claire

Reste que le rival le plus dangereux de Frank est, évidemment, Claire, qui aura fait exploser leur alliance à la Macbeth dans le dernier épisode de la saison 3. Son rôle de faiseuse de roi ne lui suffit plus, elle veut devenir roi. Dans ses rares premières scènes de la saison 4, Claire descend lentement des escaliers ou avance à pas comptés dans des chambres sombres, la caméra caressant son visage austère et éloquent. Comme si la série se demandait: n'est-elle pas fascinante? Oui, elle l'est. Les spectateurs connaissent Frank, même s'il nous est difficile d'anticiper ses ingénieuses et ignobles machinations gouvernées par son absence d'âme. Claire est un mystère. Non seulement pour le public, mais pour elle-même. Avec son mari sorti du cadre (littéralement: ce n'est qu'à la fin du premier épisode qu'on les verra partager un plan), qui est-elle? Que veut-elle?

Il ne faut pas attendre longtemps avant que l'énigmatique et très onirique transition se brise et que commence la chorégraphie. Ce que veut Claire, en premier lieu, c'est un siège à la Chambre des représentants, projet qui requerra la coopération d'un réseau de femmes aussi fermement déterminées que diversement motivées. Neve Campbell, de Scream, est fantastique dans le rôle de Leann Harvey, «fixeuse» opiniâtre et mercenaire qui cache un pistolet dans le tiroir de son bureau. Cicely Tyson joue une députée texane qui ne voit pas d'un très bon œil l'arrivée de Claire, la carpetbagger, sur son territoire à majorité noire (L'histoire de la photo du père de Frank semblant fricoter avec un chef du Ku Klux Klan montre combien, pour la série, le suprémacisme blanc relève de la kryptonite politique. Si seulement). Ellen Burstyn offre ses sortilèges à la mère de Claire, personnage trempant à moitié dans le Southern Gothic«Mère tue un lézard», précise Claire à une invitée lorsque un tambourinement lugubre se fait entendre dans la maison–, à moitié dans la porcelaine fine, le petit doigt en l'air. Ses avis sur Frank: «C'est un barbare sans classe, sans grâce et sans vergogne» et «J'espère qu'il va mourir».

La vieille cavalerie est aussi de retour, parce qu'un terrain aussi bourré de renversements, de déceptions et d'alliances improbables a besoin d'un tas d'histoires. (Vers le quatrième épisode, un énorme coup de théâtre redistribue les cartes, certains personnages viennent combler un vide, tandis que d'autres boxent des fantômes du passé). Lars Mikkelsen recommence ses poutineries de président russe lubrique et incontrôlable; Meechum, Catherine et quelques autres réapparitions surprises font mijoter la sauce. Doug Stamper tourne le dos à ses cas de conscience et assume son côté obscur, endossant sa destinée d'homme de main ténébreux enclin aux coups de sang d'une rare violence. Il se voit suppléé dans la neurasthénie par Lucas Goodwin, qui sort de prison avec le statut de témoin protégé pour se retrouver nettoyeur de voitures de location dans l'Ohio, obligé d'accepter le chantage sexuel d'un collègue, avec pour tout point de chute un appartement sinistre et coupé d'Internet. Soit la version House of Cards du chiot abandonné, claudiquant dans une rue recouverte de tessons de verre.

L'humain absorbé dans le politique

Ces nouveaux épisodes –autant de vilains shoots de dopamine, aussi réjouissants et malsains qu'un financement occulte– jouissent d'une écriture délicieuse, où se succèdent bons mots et apartés tranchants. (Les dialogues de House of Cards m'ont toujours fait penser à un roman de Kurt Vonnegut, bourré d'aphorismes percutants comme «le président n'est rien d'autre que ceux qui bossent pour lui»). Reste que les répliques les plus marquantes ne sont pas des invectives, mais des moments d'honnêteté: dans l'océan des mensonges, que quelqu'un se décide à dire la vérité a tout d'une épiphanie, idem pour ces situations étranges où les universaux humains ne peuvent que faire surface. (On pourrait crier au cliché télévisuel quand un personnage traumatisé regarde dans le vide et dit «Je ne ressens rien», mais lorsque ces mots sont prononcés dans House of Cards après un événement essentiel, ils sont époustouflants).

«Tes empreintes sont partout sur ce fric», prévient un stratège à une autre. Elle lui répond que ses empreintes à lui sont partout sur une députée. Un peu plus tard, c'est la main d'un personnage qui est dessinée sur un mur de la Maison Blanche, où elle remplace un tableau représentant le drapeau des Confédérés frappé par la foudre. Ce symbolisme n'a rien de subtil et, pourtant, il montre bien comment, dans House of Cards, le personnel –l'humain, l'intime, les corps– peut être absorbé dans le politique. Et combien la politique peut corrompre des notions comme la famille, l'amitié, l'amour, surtout chez les Underwood.

Dans cet esprit (et sans trop en révéler), la saison 4 semble gagner en noirceur psychologique à mesure que s'effondrent les murs compartimentant les vies des personnages. Si Frank continue à interpeller les spectateurs, ses adresses à la Richard III se voient progressivement remplacées par un nouveau trope des plus surréalistes: les hallucinations. Ceux qu'il a assassinés ou trahis reviennent le hanter, ce qui n'est pas, d'ailleurs, sans rappeler Macbeth. D'aucuns ont pu critiquer House of Cards pour ne pas avoir su donner à Frank d'adversaire à sa mesure. Et s'il était lui-même son plus grand ennemi?

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