«En réduisant fortement l’incertitude attachée à la rupture des contrats de travail, [le projet de loi El Khomri] incite les entreprises à revenir vers des embauches en CDI. C’est un moyen de lutter efficacement contre les inégalités et la précarité.» Signé d'une trentaine d'économistes dans Le Monde, dont Jean Tirole, prix Nobel d'économie 2014, le texte constitue la partie émergente d'une série d'appels d'économistes qui se sont multipliés, ces derniers jours, en faveur de la loi El Khomri, plus ou moins contestée par ailleurs par l'ensemble des syndicats ainsi que par une pétition en ligne qui vient de dépasser le million de signatures, et ce alors que de premières mobilisations sont prévues le 9 mars.
Augustin Landier, l'un des cosignataires du texte de soutien à la loi de réforme du Code du travail, a livré le service après-vente sur France Info en estimant que la réforme du gouvernement est «nécessaire et n’a rien d’extrême ou d’expérimental». Comme le note sur Twitter l'économiste Alexandre Delaigue, cette tribune rallie nombre d'économistes qui se sont prononcés, dans des rapports publiés ces quinze dernières années, pour une libéralisation du marché du travail en France.
Comme nous le mentionnions au moment de son Nobel, Jean Tirole a prôné de rendre le licenciement à la fois plus facile et plus coûteux, sur le modèle du principe «pollueur-payeur», dans un rapport remis en 2003 au Conseil d'analyse économique avec son confrère Olivier Blanchard, autre signataire de la tribune. Pierre Cahuc et Francis Kramarz, dont on trouve également les noms en bas de la tribune, proposaient eux en 2004 un contrat de travail unique (avec donc une suppression du CDD), assorti là encore d'un assouplissement et d'une taxation des licenciements. Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen et Jean Pisani-Ferry avaient eux remis en 2007 au CAE un rapport examinant notamment diverses options de réforme du droit du travail, dont «une piste consistant à étendre le champ du droit dérogatoire conventionnel par accord collectif majoritaire. Cela consisterait à donner aux partenaires sociaux la possibilité de déroger, via des accords collectifs majoritaires et dans certaines limites, à diverses dispositions du Code du travail».
Signalons par ailleurs que plusieurs des économistes en question se sont également mobilisés, ces derniers jours, à titre individuel ou au sein de plus petits collectifs. Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et André Zylberberg ont ainsi appelé, dans Les Échos, les syndicats à «bouger» face à «un système reposant sur l'immobilisme et la défense des "insiders", c'est-à-dire de ceux qui possèdent déjà un CDI». Chez notre partenaire Telos, Elie Cohen définit lui la loi comme «le Jobs Act de Manuel Valls», texte qui «ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité» et constitue «un pas dans la bonne direction puisqu’il lève deux tabous sur le licenciement économique et les accords dérogatoires d’entreprise». Une douzaine de signataires de la tribune ont par ailleurs réclamé récemment un bonus-malus sur les cotisations patronales.
Face à ces prises de position, les principales oppositions à la loi El Khomri, du côté des économistes, se sont notamment exprimées autour des institutions keynésiennes (le mensuel Alternatives économiques, via Guillaume Duval ou Philippe Frémeaux, qui estiment que la relance de l'emploi passe par une réorientation des politiques européennes, ou l'OFCE, dont un des membres, Eric Heyer, appelle à réfléchir avant tout à la qualité de l'emploi) ou de Attac (Jean-Marie Harribey déplore notamment l'affaiblissement de la primauté de la loi en matière de droit du travail). Philippe Askenazy (CNRS) a lui jugé que les chercheurs qui s'attendent à un impact positif de cette loi sur l'emploi «ne sont pas dans le bon sens de l’histoire, ils ont des analyses théoriques des années 1980».
À noter aussi que l'économiste Daniel Cohen, soutien de Martine Aubry (il a cosigné sa récente tribune au canon contre le gouvernement), a publié un texte déplorant l'aspect partiel de la réforme El Khomri, notamment l'absence de bonus-malus patronal et de chèque syndical. Le Monde publie par ailleurs sur une seule page un récapitulatif utile de diverses contributions sur le projet de loi.