France

Combattre la souffrance au travail par Jean-François Copé

Temps de lecture : 6 min

Les entreprises doivent réapprendre et vite à motiver les salariés autrement que par le stress.

Le travail est au cœur des problèmes essentiels de notre pays: compétitivité, croissance, retraites, financement de la protection sociale, exclusion... Sur tous ces grands enjeux, c'est par le travail que la France s'en sortira. Or, il y a aujourd'hui un vrai malaise dans beaucoup d'entreprises où le travail est trop souvent synonyme d'angoisse ou de malheur.

On l'a encore vu très récemment avec plusieurs suicides dans des grandes entreprises comme Renault ou France Télécom. Bien sûr, un suicide reste toujours un acte mystérieux, qui ne se résume pas à une seule explication. Mais il ne faut pas se voiler la face: plusieurs cas traduisent quand même clairement ce malaise. Dans l'émotion, certains ont voulu la démission des dirigeants concernés. C'est un réflexe très français, dès qu'on est face à un problème, on rejoue 1793. Il faut trouver un bouc émissaire, sortir les piques et couper des têtes. Une fois les têtes tombées et la colère satisfaite, on oublie de s'interroger sur les causes du problème. C'est tout l'inverse qu'il faut faire, ne pas stigmatiser une personne mais proposer des solutions structurelles.

Le mode de management de beaucoup de nos entreprises doit évoluer de fond en comble. Certaines pratiques posent question: par exemple, la mobilité obligatoire au bout de trois ans, chez France Télécom. Lorsque j'ai découvert cette obligation pour les cadres, j'ai été sidéré! La mobilité professionnelle est positive lorsqu'elle est choisie, mais il n'est pas juste d'obliger un salarié à changer de cadre de vie tous les trois ans, sans lui demander son avis. Quid de son équilibre de vie? Quid du conjoint qui a un travail par ailleurs, des enfants qui doivent changer d'école et quitter leurs amis?

Les entreprises doivent réapprendre à motiver leurs salariés, autrement que par le stress. C'est une aberration humaine et économique. Plusieurs études montrent que le stress au travail coûterait chaque année 3 à 5% du PIB (Produit intérieur brut) (arrêt maladie, perte de productivité, départ anticipé, turn over...) Or, un salarié qui a peur de l'avenir, c'est un salarié frileux. Un salarié heureux dans son travail, c'est un salarié motivé, qui s'absente moins, qui innove plus, qui est plus productif... Celui qui, à force de se pencher sur des tableaux de chiffres, oublie que l'entreprise est d'abord une communauté d'hommes et de femmes qui partagent des objectifs communs, fait fausse route. La crise financière l'a montrée.

En ce moment, on parle beaucoup de la responsabilité écologique des entreprises. C'est bien. Il ne faudrait pas oublier de mettre l'accent sur la responsabilité sociale, qui est un des trois piliers du développement durable: progrès économique, progrès social, respect de l'environnement. Je voudrais que les responsables politiques soient vigilants pour que cette responsabilité soit réellement assumée. Pas en se substituant aux dirigeants d'entreprise, mais en soutenant ceux qui s'engagent sur cette voie d'avenir, en valorisant les bonnes pratiques et en sanctionnant les abus.

La politique d'une nation ne se limite pas à son taux de croissance et à son taux de prélèvement obligatoire! Je ne me suis pas engagé en politique pour me laisser enfermer dans un rôle de gestionnaire. Dans un monde où la dimension économique et financière prend une dimension écrasante, les politiques doivent avoir le recul suffisant pour remettre les choses en perspective. Le sens de notre mission, c'est le service de l'homme; c'est l'attention au respect de la dignité de chacun.

Certains diront: «est-ce bien aux hommes et aux femmes politiques de donner des leçons de management au monde de l'entreprise alors qu'ils n'y connaissent rien?». Il ne s'agit pas de donner des leçons mais de réaffirmer la responsabilité du politique dans l'économie. Cela s'est avéré nécessaire pour lutter contre la crise, c'est indispensable pour lutter contre la souffrance au travail. Et puis c'est aussi l'Etat actionnaire qui doit s'impliquer aujourd'hui: il possède plus de 26% de France Télécom et près de 70% des agents sont fonctionnaires. C'est pour cela que j'ai reçu hier l'intersyndicale de France Télécom avec Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines, auteur d'un rapport sur la pénibilité au travail. Nous avons pu écouter la perception de l'impact social des mutations économiques de France Telecom.

Les parlementaires de la majorité vont travailler main dans la main avec les partenaires sociaux sur un nouveau pacte sur le travail dans notre pays: il ne s'agit pas seulement de travailler plus pour gagner plus, il faut travailler mieux pour gagner ensemble. Avec Pierre Méhaignerie, président de la Commission des Affaires sociales, je vais présider un groupe de travail de députés UMP et du Nouveau Centre qui va travailler sur ce défi. Le chantier ouvert est très vaste puisqu'il traite des sujets suivants: la santé au travail et les conditions de travail; l'impact des nouvelles technologies (travail sous pression, vie privée/vie professionnelle); l'impact des nouvelles organisations du travail (sous-traitance, flux tendu, délocalisation); les relations sociales au sein de l'entreprise (association des salariés, solidarités professionnelles); l'appréhension par le management de ces mutations (formation des managers, notamment au niveau intermédiaire). La mission du groupe débutera le 15 octobre prochain en présence des partenaires sociaux, signataires de l'Accord national interprofessionnel de 2008 sur le stress au travail. Dans la foulée, des ateliers réunissant des députés, des partenaires sociaux, des praticiens en ressources humaines se réuniront.

A ce stade, je voudrais ouvrir quelques pistes de réflexion qui méritent peut-être d'être abordées dans ces ateliers :

  • De même que le rapport Stiglitz a montré qu'on ne pouvait pas se baser sur le seul PIB pour mesurer le bien être dans un pays, pourquoi ne pas publier des indicateurs sur le bien-être des salariés dans les grandes entreprises? En complément des indicateurs économiques et financiers, ces indicateurs pourraient être publiés dans les rapports annuels, présentés systématiquement aux candidats dans le processus d'embauche... Le bien-être des salariés deviendrait ainsi un outil d'attractivité pour le recrutement!
  • Pourquoi ne pas mettre en place un système de bonus-malus sur les charges sociales pour les entreprises qui misent sur le capital humain, en développant la formation tout au long de la vie, l'employabilité, l'évolution des carrières...? On le fait bien pour protéger l'environnement. Pourquoi pas pour promouvoir le «capital humain»?
  • N'est-il pas enfin temps de renforcer la syndicalisation? Avec des syndicats plus forts, on aurait des centrales plus disposées au dialogue et des salariés plus impliqués et plus informés sur la stratégie de l'entreprise. Certaines entreprises, comme Axa, donnent un «chèque syndical» à leurs salariés: chaque salarié reçoit ainsi un chèque destiné à financer l'organisation de son choix, libre à lui de s'en servir ou non. Dans certains pays, on ne bénéficie des accords négociés par les syndicats que si l'on cotise à une association représentant les personnels. Pourquoi ne pas y réfléchir en France?
  • La révolution du travail n'aura lieu que si les entreprises jouent le jeu de la rémunération. Quand les résultats sont là, il est normal que tous les salariés en profitent, pas seulement les hauts dirigeants!
  • Enfin, il faudrait oser étudier le lien entre les 35 heures et la dégradation des conditions de travail. La diminution du temps de travail s'est souvent traduite par une hausse du stress au travail: il faut faire presque autant en moins de temps. Les 35 heures ont contribué à une perte de la convivialité dans l'entreprise en assimilant le travail à une aliénation, seule la vie privée offrant un espace d'épanouissement.

Si nous arrivons transformer le rapport des Français au travail, nous gagnerons sur toute la ligne. Pour les salariés, en bien-être et en pouvoir d'achat. Pour la société toute entière, cela permettra notamment d'assurer la survie de notre protection sociale et notre prospérité. C'est dans cet esprit déterminé et positif que la majorité parlementaire s'engage sur ce chantier difficile. Voilà pour le Parlement une façon d'utiliser à bon escient le pouvoir d'initiative renforcé dont nous disposons grâce à la réforme constitutionnelle de 2008!

Jean-François Copé

Image de Une: Lors d'une manifestation de salariés de France Télécom Robert Pratta / Reuters

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