Il y a six ans, personne, ou presque, ne connaissait Philippe Lucas, apparu dans nos postes de télévision en août 2004 quand, en quasi inconnue, Laure Manaudou devint championne olympique de natation sur 400m à Athènes. A 17 ans, la nouvelle icône des bassins n'avait pas vraiment les mots pour expliquer et disséquer son exploit. Elle passa donc le bébé, et l'eau du bain médiatique qui va avec, à son entraîneur qui, depuis, n'a plus quitté nos écrans.
A la télévision, Philippe Lucas est devenu, en effet, un personnage incontournable dont la parole est d'or ou d'argent comme toute la quincaillerie qu'il aime porter au bout de ses oreilles ou sur son poitrail dénudé. Son look de déménageur aux cheveux longs et aux muscles largement exhibés? Il l'assumait bien avant d'être connu et ne l'a pas travaillé ou modifié la célébrité venue. Sa réputation de «tortionnaire» de l'entraînement relayée ces temps-ci à par une publicité pour un fournisseur d'électricité? Elle n'est pas usurpée et est assumée depuis toujours.
«Il faut être le patron, expliquait-il dans les colonnes de L'Equipe en 2006. Et quand je dis vingt fois 200 m, c'est vingt fois 200 m. Avec moi, c'est impossible de tricher, même de 50 mètres.» Dans le même article, Philippe Lucas évoquait son cousinage avec Johnny Hallyday, l'idole de tout un peuple, la sienne en particulier. Johnny «à la fois si dur et si humain, un peu comme moi». Il y étalait également sa culture foot et son amour du PSG: «Je peux vous donner tous les vainqueurs de la Coupe du monde de foot depuis la création mais pas le record de titres aux Championnats d'Europe de natation. Pour entraîner, je m'appuie sur l'esprit des sports collectifs. Entraîneur de foot? Je suis souvent au Parc et, le jour de PSG-Chelsea (0-3), des gens criaient: «Lucas, prends l'équipe!» Ça m'a fait chier. Halilhodzic est un mec que je respecte et que j'aime beaucoup. Et puis, je n'ai pas les compétences. Je ne vais pas refaire le football à mon âge! Préparateur physique, ça m'aurait plu à un moment mais ça me casse les couilles d'ouvrir un livre. Si j'avais du temps, j'irais dans tous les grands clubs européens, regarder comment ils travaillent.»
Philippe Lucas n'est pas devenu entraîneur de foot, mais il donne son avis à plus soif sur le ballon rond dans les médias qui se sont offert, on imagine à bon prix, ce personnage haut en couleurs qui a sa marionnette aux Guignols. Après un passage sur France 2, le mentor de l'ex-nageuse nationale distille désormais ses commentaires rugueux sur l'antenne de M6 dans l'émission 100% foot. Celui qui avouait «L'école, j'en avais rien à branler» - au point d'avoir demandé à Laure Manaudou d'arrêter ses études à 14 ans pour se consacrer à sa nage - est ainsi écouté de la France entière, enfin de celle que le foot intéresse et qui veille tard le dimanche soir.
Philippe Lucas aurait l'apparence du beauf cher à Cabu s'il n'était pas un entraîneur très intelligent et s'il n'avait pas assimilé qu'il était médiatiquement dans l'air du temps footballistique où un certain franc-parler, pour rester poli, est devenu la norme.
Un autre personnage l'a compris et exploite le filon ou la ficelle - on peut même dire qu'il tire dessus. Il s'agit de Pierre Ménès, que les amateurs de football ne peuvent pas ne pas (re)connaître tant il est partout. Ancien journaliste de L'Equipe - pendant 21 ans - après quelques saisons passées au Club Med en tant que GO, ce journaliste qui assume ses rondeurs avec bonhomie est devenu l'alpha et l'oméga de la pensée footeuse. Il en a fait un business à multiples casquettes entre ses collaborations à Canal Plus, RTL, Direct Sport, Yahoo!, Unibet, le site de paris en ligne, et on en oublie certainement. «Je suis plutôt le mec qui balance des vannes, se définissait-il en 2008 sur le site toutelatele.com. Souvent, je lance une mauvaise vanne, mais c'est simplement pour rigoler! Lorsque je dis «Lloris est meilleur avec une main que Landreau avec les deux», ça reste une vanne, même si je conçois très bien que cela n'ait pas fait rire Landreau.» «Tailleur» en chef, qui a ses têtes de turc (Florent Malouda) et en fait des tonnes, Pierre Ménès, comme Philippe Lucas, est plus subtil que sa caricature. Il a une connaissance extrêmement fine du football et dispose d'un carnet d'adresses très fourni dans lequel Thierry Henry, qu'il appelle familièrement Titi, figure en très bonne place. Mais il a intégré aussi, comme ceux qui l'emploient, que les plateaux de télévision ou les studios de radio étaient devenus les nouveaux cafés du commerce et qu'il fallait donc adopter le style direct, pas toujours léger, des conversations de comptoir.
Cela ne vole souvent toujours pas très haut, mais c'est terriblement efficace en termes d'audience, comme l'a notamment démontré RMC, la station de radio qui a pris de vitesse ses concurrentes grâce à ses talk-shows sur le sport qui, le soir, mobilisent son antenne et la placent en tête sur ce créneau porteur. Rolland Courbis, autre personnage détonant et sulfureux de ce nouveau monde des commentateurs, est la tête de gondole de RMC. Enfin était: il y a quelques semaines, des policiers sont venus le cueillir à la sortie d'un match au Stade Vélodrome de Marseille pour l'emmener aux Baumettes afin d'y purger une peine consécutive à son implication dans des transferts suspects de l'OM entre 1997 et 1999 et dans l'affaire de la «caisse noire» du SC Toulon. Jean-Michel Larqué et l'ancien rugbyman Vincent Moscato sont les autres figures aboyeuses de RMC qui a su, avant ses rivales, multiplier ces concepts très en vogue depuis longtemps dans d'autres pays, et notamment aux Etats-Unis où des journalistes venus la plupart du temps de la presse écrite et estampillés «spécialistes» s'écharpent régulièrement lors d'émissions dédiées aux sports les plus prisés du public.
En France, ces standards populaires et populistes, qui font passer les débordements, naguère, de Thierry Roland pour de petites fautes de goût, se sont déclinés en (sur)abondance et trouvent leur relais sur les blogs de ces émissions en question où les internautes peuvent à leur tour débattre crûment et s'insulter à loisir en dépit de la présence de modérateurs plus que discrets. Reste à savoir si cette mode n'a pas déjà vécu si l'on en juge par l'arrêt, à la télévision, de l'émission «On refait le match» du journaliste Eugene Saccomano, qui a été pionnière dans son domaine sur LCI.
A quelques heures de France-Iles Féroé et à quelques jours de France-Autriche, décisifs pour la qualification des Bleus pour la prochaine Coupe du Monde en Afrique du Sud, Philippe Lucas, Pierre Ménès et quelques autres affûtent, en attendant, leur micro, prêts à découper du Raymond Domenech en rondelles si ses troupes n'étaient pas du voyage. Car il est vital pour tous ces commentateurs, et tous les réseaux qui les rémunèrent, que la France soit au rendez-vous, en juin prochain, sous peine de s'ennuyer ferme dans les mois qui viennent et, qui sait, de tuer la poule aux œufs d'or.
Yannick Cochennec
Image de Une: L'équipe de France de football à l'entraînement Stephane Mahe / Reuters