«S’étant lassé de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, il s’est consacré à l’infiniment moyen», écrivait le dramaturge et romancier italien Ennio Flaiano. Cet aphorisme semble être fait pour Adolphe Quételet. Cet astronome, mathématicien, naturaliste et statisticien belge est peu connu du grand public. Pourtant, il est à l’origine de plusieurs concepts qui régissent notre société.
Portrait d’Adolphe Quételet réalisé par Joseph-Arnold Demannez tiré de l’Annuaire de l’Académie royale de Belgique, 1875, vol. 41, p. 108. (Date inconnue) | via Wikimedia Commons (domaine public)
En Europe, le début du XIXe siècle marque le début d’une bureaucratie étoffée. Les pays commencent à compiler des registres: naissances, décès, criminalité, maladie. À l’époque, les scientifiques considèrent que ces données étaient «trop confuses pour être analysées», explique The Atlantic. Quételet veut comprendre si les phénomènes humains et sociaux représentent les mêmes irrégularités que les phénomènes naturels. Il décide donc d’appliquer les concepts astronomiques à la société.
En 1817, l’ouvrage Edinburgh Medical and Surgical Journal publie une liste de données concernant le tour de poitrine de 5.738 soldats écossais. L’astronome s’en empare et calcule la moyenne des valeurs: 100,9 centimètres. C’était l’une des premières fois qu’un scientifique établissait la moyenne d’une mesure du corps humain, soutient The Atlantic.
Monstruosité
De là, Quételet fait la moyenne de toutes les données disponibles. Sa définition de «l’homme moyen» diffère de celle que nous avons aujourd’hui. Pour le scientifique, il s’agissait d’un homme idéal, parfait et sans défauts.
L’un des croquis de Quételet sur l’homme moyen, tiré de Anthropométrie, ou mesure des différentes facultés de l’homme, page 220. (1870) | Mechanical Curator’s Cuttings via Flickr CC License by
Dans son œuvre Sur l’homme et le développement de ses facultés, essai d’une physique sociale, Quételet présente la moyenne comme une valeur de référence. Plus on s’écarte de la moyenne, plus on est «défectueux». Aux pages 266 et 267 du «Tome second» de son essai, édité en 1835, on lit:
«Si l’homme moyen était parfaitement déterminé, on pourrait, comme je l’ai fait observer déjà, le considérer comme le type du beau; et tout ce qui s’éloignerait le plus de ressembler à ses proportions ou à sa manière d’être constituerait les difformités et les maladies; ce qui serait dissemblable, non seulement sous le rapport des proportions et de la forme, mais ce qui sortirait encore des limites observées, serait monstruosité.»
Formatage
Le Belge n’est pas le premier à parler de moyenne. L’idée de juste milieu a été évoquée pour la première fois par Aristote. Dans Éthique à Nicomaque, il explique que «l’excès est une faute et le manque provoque le blâme; en revanche, la juste moyenne obtient des éloges et le succès, double résultat propre à la vertu». Horace reprendra ce concept dans Odes (II, 10), rendant célèbre l’Aurea mediocritas (auguste médiocrité), considérée comme l’apologie du juste milieu.
Toutefois, Quételet a appuyé ces théories avec des chiffres statistiques. Il a ainsi formaté le mode de pensée de notre société, selon lequel s’éloigner de la masse est considéré comme dangereux. L’exemple le plus concret de l’influence du scientifique belge est le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC), qu’il a mis au point.
L’un des croquis de Quételet sur l’homme moyen, tiré de Anthropométrie, ou mesure des différentes facultés de l’homme, page 268. (1870) | Mechanical Curator’s Cuttings via Flickr CC License by
Le calcul de l’IMC est simple: si le poids par notre taille au carré se situe au-dessus de 25, nous sommes en surpoids. Pourtant, plusieurs études en dénoncent l’inexactitude. La plus récente est celle de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), publiée début février 2016. Dans la revue International Journal of Obesity, les chercheurs soutiennent que la moitié des 34,4 millions d’Américains considérés comme étant en surpoids est en «parfaite santé». Jeffrey Hunger, l’un des chercheurs, espère que cette étude sera le «dernier clou dans le cercueil de l’IMC». Preuve que, plus de deux siècles après, l’homme continue d’être influencé par la magnificence de l’homme moyen.