La nouvelle économie nous a habitués à des courbes d’adoption extrêmement rapides. Du moins dans le monde informatique. En effet, si une application gratuite est téléchargée 1 million de fois en un jour, il n’y a aucune raison qu’elle ne soit pas téléchargée 300 millions de fois en une semaine. La courbe devient toutefois moins impressionnante quand les choses adoptées sont des biens manufacturés payants à la durée de vie plus longue. Pourtant, même dans ce domaine, les chiffres peuvent être vertigineux: les ventes d’iPhone sont ainsi passées de nulles au début 2007 à près de 75 millions au premier trimestre 2015.
Quelque chose d’identique se produit aujourd’hui avec la toute dernière génération d’ampoules électriques, les diodes électroluminescentes, aussi appelées LED. En effet, General Electric, qui, il y a plus d’un siècle, a mis l’ampoule à incandescence sur le marché, vient d’annoncer que sa production de lampes fluocompactes (ou LFC) allait être interrompue. Car ces ampoules, qui ont fait leur apparition dans les années 1980, n’ont jamais vraiment séduit les consommateurs. Et en 2015, trente ans après leur mise sur le marché, elles «ne représentaient que 15% des ventes» américaines selon General Electric. L’entreprise stoppe donc la production de ces pâles remplaçantes de l’ampoule à incandescence pour se concentrer sur la toute dernière génération de lampes, les LED, dont les Américains ont déjà acheté quelques centaines de millions l’année dernière.
Jusqu’à présent, les consommateurs avaient résisté au remplacement de leurs vieilles ampoules à filament inventées il y a plus d’un siècle par Thomas Edison. Elles sont partout. Nous avons tous grandi avec le type de lumière qu’elles émettent. Et plus important encore, elles sont incroyablement bon marché, en grande partie grâce à la capacité acquise par les entreprises au cours de plusieurs décennies de les produire en masse. En effet, les premières ampoules fabriquées pour Edison par Corning dans les années 1880 étaient chères et faites une à une, à la main, généralement à la vitesse de deux par minute. Ce n’est qu’après l’invention de la machine à ruban en 1926, un outil remarquable permettant de fabriquer jusqu’à 1.000 unités par minute, qu’elles sont devenues des biens de consommation courants. (J’ai d’ailleurs co-écrit un livre à ce sujet.)
Rentabilité
Pourtant, c’est vrai: les ampoules à incandescence se cassent facilement et sont peu résistantes. Et elles sont relativement inefficaces dans la mesure où elles transforment la plus grande part d’énergie produite en chaleur plutôt qu’en lumière. C’est pourtant leur prix, leur inefficacité et leur obsolescence qui a limité l’émergence de produits concurrents. Dans les années 1980, on pensait que les LFC (qui durent plus longtemps et sont considérablement plus efficaces en matière énergétique) allaient parler à la rationalité des ménages. En effet, si les consommateurs devaient payer plus cher à l’achat, ils feraient des économies en matière de consommation électrique et de temps de remplacement. Les ventes LFC n’ont pourtant jamais décollé. Leur prix élevé dissuade les consommateurs. Il est difficile de constater la diminution de la facture énergétique puisque les fournisseurs d’électricité ne détaillent pas la consommation par équipement. Et leur luminosité n’est pas géniale.
En dépit de nouvelles législations favorisant leur généralisation, leur adoption est restée lente. En 2007, le président Bush a pourtant signé une loi définissant une norme d’efficacité plus stricte pour les ampoules. Objectif: arrêter la production des vieilles ampoules à incandescence d’ici à 2012.
Les Américains s’adaptent à une nouvelle technologie très efficace qui leur permettra d’économiser de l’argent, de réduire leur consommation énergétique et de diminuer les émissions de carbone
Mais, en parallèle de la promotion des LFC, les fabricants ont aussi commencé à commercialiser des LED. Leurs avantages: elles s’illuminent plus rapidement que les LFC et offrent une luminosité plus proche de celle des ampoules à incandescence, tout en utilisant 80% d’énergie de moins que ces dernières. Le problème, bien sûr, est que les fabricants de LED étaient jusqu’à présent de petites entreprises produisant un objet relativement nouveau en très petits volumes. La différence de prix était donc énorme. Comme General Electric le signale, pas plus tard qu’en 2012, ces lampes nouvelle génération coûtaient entre 40 et 50 dollars (entre 35 et 45 euros). Ces entreprises demandaient donc aux ménages de débourser des sommes importantes pour des produits inconnus, puis d’attendre sept ou huit ans pour profiter de leur économie.
Or, ceci est le défi auquel les équipements électroniques et informatiques innovants doivent toujours faire face. Les premiers mis sur le marché semblent toujours trop chers, élitistes et peu rentables par rapport aux produits déjà présents. Ils sont produits en faibles quantités et ne profitent donc ni des économies d’échelle créées par la production de masse, ni des plateformes, des processus et des machines développés il y a plusieurs décennies dont bénéficient les grands opérateurs. C’est pourquoi un PC d’IBM coûtait 1.565 dollars (1.400 euros) en 1981 (4.080 dollars en dollars actuels, soit 3.700 euros), les voitures construites par Henry Ford en 1903 plus que le salaire annuel d’un Américain moyen et le premier téléphone mobile commercialisé, le Motorola DynaTach 8000X, 3.995 dollars (3.590 euros) en 1984.
Popularisation
Mais le même schéma se répète quand les nouvelles technologies deviennent populaires. Quand les volumes augmentent, le coût de production par unité diminue, ce qui entraîne une baisse du prix et favorise la demande. La demande croissante attire de nouveaux concurrents sur le marché. Et quand ces nouveaux acteurs sacrifient leur marge pour gagner des parts de marché, les prix chutent à nouveau. Plus tard, quand les produits deviennent plus visibles et plus accessibles, ils deviennent leur propre publicité. Par exemple, votre arrière-grand-père qui n’avait pas de voiture a peut-être décidé de s’acheter une Ford Model T après avoir fait un tour dans celle de son voisin. La popularisation créé ainsi plus de demande, ce qui entraîne une nouvelle augmentation des volumes et amène encore plus de concurrents sur le marché.
C’est ce qui semble se produire, de façon très rapide, avec les LED. Comme le note General Electric, les LED représentent déjà près de 15% des parts de marché et leurs ventes ont plus que triplé, pour atteindre les 250 millions d’unités l’année dernière. Les prix ont par conséquent chuté brutalement. «Aujourd’hui, une lampe LED équivalente à 60 watts est vendue chez Sam’s Club à 3,33 dollars [3 euros]», remarque General Electric. L’entreprise prévoit donc que le cercle vertueux d’augmentation de la demande, d’élévation de la production et de baisse des prix a de longs jours devant lui. Et d’ici quatre ans General Electric projette que les LED représenteront 50% du marché des ampoules aux États-Unis.
En d’autres termes, tout semble marcher comme prévu. Les Américains s’adaptent ainsi à une nouvelle technologie très efficace qui leur permettra d’économiser de l’argent, de réduire leur consommation énergétique et de diminuer les émissions de carbone. Et dire qu’il y a quelques années à peine les membres du congrès qualifiaient les nouvelles normes énergétiques du gouvernement Bush d’actes de tyrannie portant atteinte aux droits de consommateurs.