François Hollande et Angela Merkel devraient proposer d’ici à la fin 2016 des réformes européennes de la Zone euro. Ce n’est pas la première fois que cette promesse est faite, elle a toujours été repoussée parce, que, au fond, l’euroscepticisme a gagné les opinions publiques et que leur demander un vote sur «plus d’Europe» a toutes les chances d’obtenir une réponse négative. En outre, les partis de gouvernement sont divisés, pour ne pas dire déchirés, sur la question. L’Europe est politiquement «casse-gueule».
Mais l’urgence se fait sentir. D’abord parce que la crise grecque a démontré que la construction était fondamentalement mal faite. «L’union monétaire a été conçue sans souveraineté. C’était un arrangement entre les gouvernements sous condition qu’ils n’abusent pas par laxisme budgétaire. Clairement, cet arrangement a échoué», écrit Agnès Bénassy-Quéré, présidente du CAE (Conseil d’analyse économique). «En pratique, poursuit-elle, la politique budgétaire dans la Zone euro (et ailleurs) accentue plus souvent qu’elle ne lisse le cycle économique, [un] résultat fâcheux».
Beaucoup a été fait depuis 2010. L’Europe comme toujours a dû avancer dans la crise. Elle a créé l’union bancaire pour que les banques ne soient plus sauvées par les contribuables, le Mécanisme européen de stabilité, qui apporte des fonds de secours à un pays en cas de choc. La politique monétaire est devenue «américaine» avec les facilités quantitatives, et enfin les politiques budgétaires des États ont été mises sous un contrôle renforcé.
Mais toute cette construction ne parvient toujours pas à convaincre, elle fait bricolage. «Le navire euro est touché», comme le notent joliment Richard Baldwin et Francesco Giavazzi. Il ne résisterait pas à une prochaine crise d’ampleur. En plus, il manque sérieusement de fondement démocratique. Comme le décrit Jean Pisani-Ferry, directeur général de France Stratégie, la surveillance budgétaire est trop complexe (le traité de stabilité, le Six Pack, le Two Pack, le Semestre européen), et «la légitimité de cet empilement est faible tout comme la crédibilité des sanctions». La déclaration de François Hollande sur le pacte de sécurité qui dépasse le pacte de stabilité en est la preuve.
Mise en commun
C’est toute la difficulté de l’exercice: il faut économiquement plus de fédéralisme mais qui, politiquement, n’apparaisse pas comme tel
L’urgence à relancer l’intégration se fait sentir aussi sur la conjoncture. La stagnante croissance européenne a besoin de trois forces pour accélérer: un environnement extérieur favorable; des réformes structurelles au niveau national, conduites pour l’instant avec lenteur; et, troisième force, une plus grande intégration du fonctionnement de l’Union économique et monétaire. Les cinq présidents (Parlement, Conseil, Banque centrale, Commission, Eurogroupe) l’ont dit en juin 2015, les économistes publient étude sur étude pour le prouver, et, vaillamment, le gouverneur de la Banque de France et le président de la Bundesbank avancent des propositions pour construire le socle indispensable: le rapprochement franco-allemand.
Que peuvent faire Hollande et Merkel? Ce qui est neuf dans le débat est le changement du point d’arrivée. Les pro-européens avaient jusqu’ici comme conviction qu’il fallait poursuivre le chemin de Jean Monnet: aller vers une Europe «toujours plus» intégrée qui aboutirait un jour aux États-Unis d’Europe (EUE). Les crises n’ont pour origine que le retard d’intégration fédérale. Si ce fédéralisme n’était pas possible à 28, alors il devait l’être au niveau de la Zone euro. Désormais, cette stratégie est considérée, du moins jusqu’à nouvel ordre, comme impossible à cause des opinions publiques, y compris dans la Zone euro. Il faut un chemin de mise en commun mais qui n’exige pas d’aller vers une Union fédérale complète. C’est toute la difficulté de l’exercice: il faut économiquement plus de fédéralisme mais qui, politiquement, n’apparaisse pas comme tel.
Pour beaucoup d’économistes cet exercice est vain. Mais les autres avancent des propositions pragmatiques pour «compléter» l’Union économique et monétaire: finir l’Union bancaire, s’occuper des dettes, mieux coordonner les compétitivités, avancer vers une Union budgétaire. La coordination des compétitivités, c’est-à-dire surveiller non seulement les politiques budgétaires nationales mais aussi les salaires et le marché du travail, est l’une des demandes centrales des cinq présidents. Ils savent que ce qui a raté dans l’euro est la divergence des compétitivités des pays qui, l’euro en poche, se sont laissés aller à des glissades budgétaires et à des hausses salariales. Ils proposent de créer des comités nationaux indépendants des gouvernements comme des syndicats qui arbitrent les rémunérations. La légitimité démocratique de ces comités n’est pas un mince problème.
L’Union budgétaire est un projet ancien, l’idée remonte à 1977, constamment relancée, couplée à la création d’un ministre des Finances européen. Mais pour faire quoi? Pour donner à la Zone euro une capacité de sauvetage d’un pays en crise et une autorité d’intervention dans les politiques économiques des États. Pour financer une assurance-chômage européenne, propose Agnès Bénassy-Quéré. Pour financer les dépenses militaires, ou celles des douaniers de Schengen. On peut ajouter les industries du futur ou un Erasmus élargi.
Il faut laisser passer la crise des migrants et le vote du Brexit, mais ensuite il faut «reprendre l’offensive», souhaite Michel Barnier, ancien commissaire. Les idées ne manquent pas. À condition, insiste Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, de convaincre les citoyens que l’Europe est faite pour eux et pas seulement pour ceux qui gagnent dans la mondialisation.
Cet article a été initialement publié dans Les Échos.