Économie

Faut-il prendre le risque de se passer d'assurances?

Temps de lecture : 8 min

Au regard de la loi, il y a quelques assurances obligatoires à avoir. Pour le reste, c'est à chacun de sortir sa calculette et de savoir jusqu'où il est prêt à tout perdre.

Beaucoup à gagner ou à perdre | Leonid Mamchenkov via Flickr CC License by
Beaucoup à gagner ou à perdre | Leonid Mamchenkov via Flickr CC License by

Lorsqu’il m’arrive de vouloir resserrer mon budget après quelques mois de totale déchéance (à base de pintes de Guinness et de bouquins qui ne seront jamais ouverts), je m’empare de mon cahier de comptes et je liste les dépenses superflues avec mon stylo Bic rouge. C’est en tout cas ce que croit ma mère: en réalité, j’ai plutôt tendance à jouer les autruches et à espérer qu’une erreur de la banque en ma faveur me permette de devenir millionnaire dès le mois suivant. Régulièrement, j’utilise tout de même l’appli de ma banque afin de consulter mon solde et de constater l’ampleur des dégâts. C’est ma façon de faire mes comptes. De temps à autres, dans les moments de crise ou de reprise en main, je décide d’éplucher la liste des sommes débitées afin de comprendre où mon argent a bien pu passer.

Une fois écartées les dépenses culturelles ou alimentaires superflues, qui sont le coeur du problème mais qui me permettent d’échapper à la sinistrose, une fois mis de côté le loyer, la facture d’électricité et ce genre d’impératifs, il ne reste finalement plus grand chose. Ah si: les assurances. Sacrée plaie, les assurances, avec leurs contrats parfois plus épais que l’œuvre de Marcel Proust, que les plus irresponsables d’entre nous signent sans en avoir réellement lu le contenu. J’ai plus d’une fois contracté une assurance sans vraiment comprendre de quoi il retournait et sous quelles conditions j’allais pouvoir en bénéficier. Parce que les bonimenteurs sont parfois talentueux et parce que j’ai souvent l’âme d’un pur pigeon.

Trier l'obligatoire et le facultatif

Entendant d’ici arriver la bronca déclenchée par une horde d’assureurs honnêtes ou affirmant l’être, je préfère préciser immédiatement: non, toute assurance ne relève pas de la pure arnaque. Si certaines (comme l’assurance responsabilité civile en matière d’habitation ou d’automobile) sont purement et simplement obligatoires, c’est parce qu’elles permettent notamment de couvrir les dommages corporels et matériels causés à autrui. Les autres assurances sont généralement facultatives, même si tout le monde s’acharne à vous faire croire le contraire.

En matière d’assurance, toute la difficulté est là pour le consommateur lambda: il faut parvenir à évaluer le risque qu’un événement malheureux survienne (incendie de la maison familiale, vol à l’arraché de son smartphone) et opposer la probabilité obtenue au montant versé chaque année pour disposer d’une couverture. Le calcul est évidemment difficile, voire impossible à effectuer: s’il existait des formules mathématiques permettant d’évaluer la nécessité ou non de contracter telle ou telle assurance, cela se saurait –et les assureurs feraient probablement grise mine.

Le feu à la maison

Il n’y a pourtant pas dix mille façon de raisonner face à une proposition d’assurance: soit on joue la carte de l’absolue prudence en choisissant les contrats les plus complets (donc les plus onéreux) afin d’être certains de toucher une somme substantielle lorsque le ciel nous tombera sur la tête, soit on décide d’évaluer les risques et de déterminer si cela vaut le coup de payer ou pas. L’exemple de l’assurance incendie est assez parlant: personne n’a envie de voir sa maison dévorée par les flammes (coucou Captain Obvious), mais tout le monde semble persuadé que ça ne peut arriver qu’aux autres (sauf peut-être les habitants des régions propices aux incendies de forêt estivaux). Et il est bien délicat de décider s’il est vraiment judicieux de verser 19 «petits» euros par mois afin d’être couvert en cas de maison qui brûle, ou si le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle.

La probabilité que mon domicile termine en cendres est de 0,1% (et encore, on est très très large). Est-ce que cela vaut vraiment le coup de payer?

Dans l’idéal, il faudrait contracter la plus chère de toutes les assurances incendie, puis ranger le contrat dans une pochette, accompagné des photographies et des factures de tous les biens présents dans la maison. Dans la réalité, il faut faire des choix: parce que dépenser des centaines d’euros dans des assurances de toutes sortes et vivre dans l’obsession qu’un accident survienne sont deux excellentes façons de se gâcher l’existence.

En France, il y aurait chaque année près de 250.000 incendies par an, comme l’indique un article du Monde qui date de l’époque si lointaine où Cécile Duflot était ministre du Logement. Chaque année, ces incendies feraient environ 10.000 blessés, dont 3.000 graves, et entre 600 et 800 morts. En se basant sur ces chiffres, il semble raisonnable d’imaginer qu’annuellement, environ 30.000 foyers sont détruits par les flammes. Le nombre moyen de personnes par foyer étant actuellement d’environ 2,2, cela donne 66.000 personnes dont le domicile serait gravement incendié chaque année. Puisque nous sommes environ 66 millions en France, on obtient un ratio d’une personne sur 1.000.

«Êtes-vous certains que la somme soit juste?»

Voilà donc le dilemme: la probabilité que mon domicile termine en cendres est de 0,1% (et encore, on est très très large). Dans ces conditions, et sachant que je ne fume pas et que je ne laisse jamais le gaz allumé en partant de chez moi (ahem), est-ce que cela vaut vraiment le coup que je ponctionne mon budget de plusieurs centaines d’euros par an? La réponse absolue n’existe pas, sauf a posteriori. Si la maison finit par brûler, on sera fier d’avoir été prévoyant ou on s’arrachera les cheveux en se souvenant qu’on a été assez pingre pour refuser de verser une vingtaine d’euros par mois dans le cadre d’une assurance incendie. Et si elle ne brûle jamais, ce qui est tout de même assez souhaitable, on se rappellera sur son lit de mort avoir dépensé au cours de sa vie plusieurs milliers d’euros afin de prévoir un évémenent dont on savait pourtant qu’il avait peu de chances de survenir.

Pure coïncidence: le matin-même de la rédaction de cet article, à l’occasion d’un coup de fil passé à ma compagnie d’assurance à propos d’un récent sinistre, mon interlocutrice a souhaité mettre à jour mon dossier. «Il est indiqué que vous possédez moins de 6.800 euros de biens à votre domicile. Dans une maison avec deux adultes et trois enfants, êtes vous bien certain que cette somme soit juste?» Silence de ma part. Euh, non, effectivement, rien qu’en DVD et en bouquins, on ne doit pas être si loin de cette somme. Mais comment évaluer la valeur totale de nos possessions? Existe-t-il vraiment des êtres humains qui notent chaque achat dans un petit carnet afin de pouvoir répondre de façon adéquate aux questions des assureurs?

Résultat, j’ai mollement accepté de passer dans la catégorie supérieure, celle qui pourrait permettre d’être remboursé d’une somme à cinq chiffres en cas d’incendie ou d’inondation. La vérité, c’est que j’ai bien du mal à imaginer la valeur de tout ce que nous possédons. Allez, à la louche, disons 12.000 euros. Soit l’équivalent de cinquante années à payer 20 euros par mois. Vu comme ça, je serais presque tenté de prendre mon téléphone et de souscrire une assurance incendie, là, tout de suite. Difficile de savoir sur quel pied danser…

Gare aux conditions de dédommagement

Même pour des montants bien moins impressionnants, il y a de quoi se poser des questions. Je continue par exemple à ne pas payer d’assurance pour mon smartphone, considérant que je ne suis pas la cible numéro 1 des voleurs: je ne suis pas une femme de moins de 30 ans, je ne prends pas les transports en commun au quotidien, et mon iPhone 4 rayé et vieillissant a assez peu de chances d’intéresser un quelconque voleur. Et puis j’ai suffisamment d’amis qui ont continué à payer des années pour l’assurance d’un mobile pour ne pas avoir envie de tomber dans ce traquenard. Oui mais voilà: entre 600.000 et 850.000 téléphones mobiles sont volés chaque année. Vu les coûts prohibitifs de certains smartphones (ceux de la firme à la pomme n’étant pas les moins onéreux), est-ce que ça ne vaudrait tout de même pas le coup de payer 5 ou 10 euros par mois dans le cas où je ferais partie des 1,2% de Français qui sont victimes chaque année d’un vol de mobile?

Le problème de l’assurance mobile, et plus généralement celui de toutes les assurances, c’est que les conditions de dédommagement sont très strictes. Ce tableau proposé dans un article du site d’UFC Que Choisir montre que les assurances sont loin de prendre en charge tous les types de vols. Dans ces conditions, et à moins de pouvoir s’arranger avec son voleur afin qu’il dérobe votre mobile dans des conditions acceptables, contracter une assurance mobile me semble être une idée assez peu attirante.

Je n’ai qu’une chance sur 83 d’être victime de vol (divisez 100 par 1,2 et vous verrez). Sachant que mon smartphone n’est déjà plus très sexy (c’est quand même fou l'obsolescence de ces trucs), un calcul complètement approximatif m’amène à la conclusion suivante: je n’ai qu’une chance sur 150 de me faire chouraver mon bon vieil iPhone. Dans ces conditions, autant économiser 10 euros par mois afin de pouvoir m’en racheter un au bout de trois ans environ…

Je ne sais même pas à quelle somme ma chère femme et mes chers enfants auraient droit dans le cas où je viendrais à passer subitement l’arme à gauche

Le calcul impossible

De la même manière, on pourrait se pencher sur les assurances concernant le risque de décès ou de maladie. Mais là, les calculs sont encore plus approximatifs que les précédents. Par superstition, je me vois mal calculer ma probabilité de décéder dans les quinze jours à venir (même s’il serait peut-être responsable de le faire étant donné que j’ai trois gosses à charge) ou celle de tomber gravement malade. Et il serait de toute façon bien difficile d’évaluer le coût de telle ou telle maladie.

J’ai donc choisi une assurance-vie auprès de ma banque de toujours, parce qu’elle n’est pas chère du tout et parce que ma banquière est sympa. En revanche, je ne sais absolument pas à quelle somme ma chère femme et mes chers enfants auraient droit dans le cas où je viendrais à passer subitement l’arme à gauche. Et du côté de la santé, je fais confiance à ma mutuelle. Oui, aveuglément. On verra bien quand je tomberai malade. Laissez-moi me prendre pour le héros du film Incassable, jamais enrhumé, jamais blessé, absolument insubmersible. Laissez-moi aussi imaginer que jamais ma maison ne brûlera, que jamais mon smartphone ne tombera dans les toilettes, que jamais personne n’essaiera de faire de mal à ma famille. Permettez-moi de me tenir aussi loin que possible des calculatrices des assureurs, qui semblent pouvoir évaluer la date de ma mort par un simple algorithme. La vie est un jeu de hasard, mais je ne suis franchement pas pressé d’en connaître le résultat.

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