Nicolas Sarkozy est donc mis en examen dans une affaire, dénommée par le parquet «Bygmalion-compte de campagne», dans laquelle le parti qu’il dirige est... partie civile. Pour le dire autrement, il est en quelque sorte à la fois l’accusé et l’accusateur, la victime présumée et le bourreau supposé, comme l’écrivait joliment Charles Baudelaire dans «L’héautontimorouménos»:
«Je suis la plaie et le couteau!
Je suis le soufflet et la joue!
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau!»
Une drôle de situation qui suscite quelques questions, soulevées par une journaliste de Mediapart le matin de son audition: «Question théorique à ce stade: un parti qui est partie civile pourrait-il garder comme président un mis en examen?» Une situation qui ressemble fort à un conflit d’intérêt, même s’il n’est que partiel. En effet, le chef de l’État n’est pas mis en examen pour «faux, escroquerie, et abus de confiance», chefs d’accusation pour lesquels il a été placé sous le statut de témoin assisté, mais «seulement» pour financement illégal, au titre de l’article L.113-1 du code électoral, qui punit d’une amende de 3.750 euros et/ou d’un an de prison toute personne qui «aura dépassé le plafond des dépenses électorales». En clair, pour l’instant, ce ne sont «que» 1,7 million d’euros de dépenses électorales malencontreusement oubliées dans ses comptes de campagne qui sont explicitement visées par la procédure lancée contre lui, et pas les dépenses épinglées dans le cadre de l’affaire Bygmalion au sens strict, qui ont pu être estimées à dix fois plus.
Seul le parti Les Républicains est partie civile
«Si Sarkozy est élu à la tête du parti, il sera donc partie civile dans une affaire dont il est aussi le principal bénéficiaire», maugréait déjà dans Libération un avocat proche du dossier dès 2014.
Le paradoxe existait déjà, mais il n’en est que plus renforcé par cette mise en examen, une telle procédure n’étant lancée, rappelons-le, que lorsqu’il existe «des indices graves ou concordants» contre l’auteur présumé d’une infraction.
Il n’y a pas de lien direct, nous expliquait quelques heures avant cette mise en examen Mehdi Taboui, doctorant en droit public qui poursuit un travail de thèse sur les conflits d’intérêts et spécialiste de la déontologie publique: «Si Nicolas Sarkozy venait à être mis en examen dans l’affaire Bygmalion, il ne serait pas formellement partie civile et accusé, puisque seul Les Républicains est partie civile, et non pas la personne de son président.»
Les statuts de LR ont prévu un plan B
Il n’en reste pas moins qu’il existe un lien indirect fort. Nicolas Sarkozy est tout de même le chef d’un parti qui s’est porté victime dans une affaire qui débouche sur une action en justice contre lui. «En termes d’image, et dans l’opinion publique, ça revient un peu au même puisqu’en tant que président du parti, il a autorité sur l’ensemble des services et se trouve donc dans une position particulièrement ambiguë», avance Mehdi Taboui.
Une situation d’autant plus délicate que le président du parti Les Républicains représente habituellement le parti en cas d’action en justice, comme le précisent les statuts de l’organisation. Le secrétaire général dispose néanmoins des mêmes pouvoirs et ceux-ci peuvent être délégués par une procuration spéciale. «Ce genre de situation est assez peu courant bien que tout à fait possible, y compris pour des personnes privées. En matière politique, c’est encore plus rare», conclut Mehdi Taboui.
Jusqu’ici, ce paradoxe n’a pas empêché Nicolas Sarkozy de continuer à présider Les Républicains. Sa mise en examen, alors que s’amorce la primaire, va-t-elle changer quelque chose?