Comme on le fait dans une salle d'audience, ils ont prêté serment un à un avant de prendre la parole. Trois mois après les attentats du 13 novembre 2015, lors desquels 130 personnes ont perdu la vie, des victimes et des proches de victimes, dont plusieurs membres d'associations formées après les attaques, ont été invités à participer à une table ronde dans le cadre de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.
Les participants, qui ont vécu les attentats au plus près ou qui y ont perdu des proches, ont fait part de leurs interrogations, mais aussi de leurs critiques sur l'information fournie aux familles des victimes, l'identification des personnes décédées ou la recherche des disparus. Dans leurs propos liminaires ou lors des échanges avec les différents membres de la commission d'enquête, c'est la communication et la prise en charge maladroite voire défaillante des victimes et de leurs proches qui a occupé les débats et les discussions, mais aussi la réponse apportée par le gouvernement aux attaques djihadistes.
«Atroce impréparation»
Georges Salines, président de l'association 13-Novembre, a perdu sa fille Lola dans la salle de concert du Bataclan. Confronté à la chaotique circulation des informations dans les heures qui ont suivi les attaques terroristes, il évoque «l'atroce impréparation du dispositif d'information des personnes recherchant des disparus» et le manque de tact dans «la manière d'annoncer les nouvelles aux familles des victimes».
Caroline Langlade, rescapée du Bataclan et vice-présidente de l'association Life for Paris, évoque «une administration pesante, procédurière, déshumanisée, avec parfois un manque d'empathie flagrant pour les familles de victimes et les victimes». Pour elle aussi, le manque d'informations a été préjudiciable pour les proches «laissés dans l'attente, sans être informés ou mal informés, parfois pendant trois jours».
«C'est plutôt bon signe»
Sophie Dias, dont le père, Manuel, est décédé au Stade de France, a elle-même vécu cette attente. Elle insiste sur l'insuffisance du numéro d'urgence mis en place après les attentats. «Le numéro d'urgence était inaccessible depuis l'étranger. Je m'y trouvais, et il était impossible d'y accéder». C'est finalement sa mère qui a tenté d'appeler le numéro depuis la France.
«On lui a sans cesse répété: "Ne vous inquiétez pas, si vous n'avez pas de nouvelles, c'est plutôt bon signe". Pour le coup, ça ne l'était pas.»
La famille de Manuel Dias a finalement appris sa mort par le consulat du Portugal, le samedi 14 novembre, en début d'après-midi. Le Quai d'Orsay ne la rappellera que le dimanche soir.
«De nos jours, gérer un fichier Excel avec 130 victimes, c'est pas ce qu'il y a de plus compliqué», s'est-elle interrogée devant la commission d'enquête.
Les intervenants ont également insisté sur les manquements de l'Institut médico-légal. «Au-delà de ce que l'on peut imaginer comme ratage, a regretté Georges Salines. Des familles ont attendu trois jours avant l'identification, des familles ont veillé le corps d'un enfant qui n'était pas le leur.»
Manque de suivi
Mohammed Zenak est le père de Sonia, blessée au Comptoir Voltaire par une balle et la projection de boulons après qu'on des terroristes a actionné sa ceinture d'explosifs. Il raconte la sortie «pas du tout préparée» de sa fille après cinq opérations chirurgicales et trois semaines d'hospitalisation.
«Elle avait peur, elle ne pouvait pas sortir de la maison, elle ne pouvait pas prendre le métro, alors comment faire?»
La famille a dû se débrouiller par ses propres moyens et attendre près de dix jours avant qu'une cellule de soutien psychologique se déplace jusqu'à elle.
Alexis Lebrun, lui aussi présent dans la fosse du Bataclan, s'est adressé directement aux membres de la commission d'enquête avec une série de questions sur la sécurité du Bataclan, l'efficacité du plan Vigipirate et sa cohérence dans le choix des lieux à sécuriser. «Pourquoi des lieux sont surveillés 24/24h, même quand ils sont vides, alors que d'autres non alors qu'ils sont pleins?», s'est-il questionné.
«Comprendre ces mécanismes»
Grégory Reibenberg, le patron de La Belle Équipe où 20 personnes ont trouvé la mort, dont la mère de sa fille, a fustigé quant à lui la réponse politique aux attentats, et notamment la déchéance de nationalité.
«Je n'allume pas la télé ou la radio, le peu que j'entends c'est sur la déchéance de nationalité. Je me dis putain, depuis le 7 janvier, c'est ça? Un symbole qui, à mon sens, ne sert à rien? C'est ça? Vous avez un problème de moteur et vous vous occupez de la couleur de la banquette. Je ne comprends pas»
Georges Salines a lui clairement, sans prononcer son nom, répliqué aux propos de Manuel Valls, qui avait jugé début janvier qu'«expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser».
«Je suis le dernier qui penserait à excuser les personnes qui ont tué ma fille ou [les personnes] qui les ont manipulées. Mais il faut comprendre ces mécanismes pour pouvoir lutter.»