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Cet homme veut vaincre Kim Jong-un avec des ballons

Temps de lecture : 6 min

Après avoir fui la dictature, Park Sang-hak s'est juré de lutter contre la Corée du nord. Sa meilleure arme? Des ballons de baudruche.

Ulyces/Flickr
Ulyces/Flickr


Park Sang-hak est au volant d’un minivan sur l’autoroute et passe à toute vitesse sous le panneau indiquant Pyongyang. «Là-bas, c’est la Corée du Nord», dit-il, pointant du doigt les pâturages qui s’étendent derrière une clôture de barbelés, au-delà de l’estuaire de l’Imjin.

Le van se gare sur une aire de stationnement, où Park salue le reste des «Combattants pour une Corée du Nord Libre» (Fighters for a Free North Korea). Ce sont tous des transfuges du Nord. Il y a là sa mère, sa belle-sœur et sa femme, qui porte un anorak violet ainsi qu’une visière en plastique. Elle recouvre tout son visage et la protège du soleil. Adossé près de la roue d’un petit camion d’approvisionnement bleu se tient son petit frère. Et sur l’asphalte attendent les membres d’un autre groupe proche de leurs idées, le «Front de Libération du Peuple» (People’s Liberation Front): une troupe de choc composée de six hommes et trois femmes venus spécialement pour l’opération du jour. Anciens officiers de l’armée de Corée du Nord, vêtus de bérets et de treillis gris, ils auraient presque l’air intimidants si les bottes de combats des femmes n’étaient pas des talons hauts.

Park a passé les dix dernières années à tenter de mettre un terme aux décennies de totalitarisme qu’a connues la Corée du Nord. Quelle est son arme principale dans sa lutte contre la dynastie Kim et ses sbires de Pyongyang? Des ballons gonflables.

Park supervise les préparatifs du lancement, alors qu’un vent froid souffle sur l’aire de stationnement. Un camion transportant des bouteilles d’hydrogène s’arrête près de nous. Les membres du Front de Libération aident à décharger des cartons de baudruches et vingt pochettes plastiques remplies de DVD, de dollars américains et de brochures. Chaque sac pèse moins de dix kilos: la charge maximale que peut supporter un ballon. En tout, il y a 200.000 pages recto verso de tracts imprimés sur du polyvinyle, une matière aussi légère que les mouchoirs en papiers, mais résistante à l’eau.

Sur une des brochures, on peut lire les dix premiers articles de la version américaine de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Un autre pamphlet critique la dynastie Kim. Les poches sont également dotées d’un tube qui contient un produit chimique faisant office de minuteur: une fois le ballon lâché, après un certain temps, sous l’action du produit, les poches vont s’ouvrir et chuter jusqu’au sol, répandant au Nord les messages de Park, venus du Sud par le ciel.

«La Corée du Nord est infranchissable. Elles est encerclée par un véritable rideau de fer et l’information ne peut pas l’atteindre, explique Park. Mais avec ces ballons, en survolant le rideau, rien ne peut l’arrêter.» En contrant la censure instaurée dans le Nord, Park espère encourager ses anciens compatriotes à renverser leurs souverains. «Nous pouvons leur faire prendre conscience de la situation et ainsi leur laisser le choix, en toute connaissance de cause, de se battre ou non.»

La mère et la belle-sœur de Park attachent deux paquets de tracts à chaque ballon, puis les remplissent tour à tour d’hydrogène, produisant à chaque fois le sifflement strident propre au gaz mis sous haute pression. Les ballons, longs de 10 mètres et larges de 2, ballottent lentement dans l’air, certains arborant des slogans écrits en caractères coréens multicolores. Les membres du Front de Libération du Peuple commencent à s’énerver, le vent giflant puissamment leurs dos alors qu’ils attendent le signal pour lâcher les ballons. Park lutte pour accrocher une bannière –un dessin représentant Kim Jong-un se cramponnant à un missile nucléaire comme un gamin étreindrait un doudou– à la queue du dernier ballon. Puis il donne ses dernières instructions.

«Restez concentrés! crie-t-il. Tous ensemble! Un, deux!» Cinq ballons s’envolent comme des fusées, les rayons du zénith traversant leur enveloppes en plastique, des farandoles de feuilles tournoyant avec leurs fils. Ils s’élèvent rapidement, portés par le vent, et se font de plus en plus petits, jusqu’à être engloutis par l’éclat blanc du soleil. Si tout se passe comme prévu, ils flotteront au-dessus de Pyongyang dans quatre heures.

«Je suis passé à la télé 500 fois en trois ans»

Park a 46 ans. C’est un petit homme, maigre et nerveux. Il vit dans la banlieue sud de Séoul et lorsqu’il n’est pas chez lui, il est souvent accompagné d’un ou deux policiers en civil, qui le conduisent où il le souhaite dans une modeste Hyundai citadine. Park reçoit régulièrement des lettres de menace: par mail, par téléphone, et même –c’est sûrement dû au charme suranné de la Corée du Nord– par fax. «L’indicatif vient toujours de Chine», indique Park. Mais il n’est pas naïf et sait très bien d’où proviennent vraiment ces messages. Depuis qu’il a commencé à envoyer des ballons, en 2004, il est devenu une telle source d’irritation pour le régime de Pyongyang que la télévision d’état nord-coréenne a fait de lui, il y a cinq ans, sa Cible Zéro. Une place à part, au-dessus du numéro 1, qui fait de lui le plus grand ennemi de l’État.

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L'intégralité de cet article écrit par Adam Higginbotham est disponible chez notre partenaire Ulyces, magazine qui publie des enquêtes, des grands reportages et des interviews exclusives (vous pouvez les acheter à l’unité ou vous abonner). Cet article a été traduit de l'anglais par Guillaume Dejonghe d'après l'article «The No-Tech Tactics of North Korea’s Most Wanted Defector », paru dans

​Bloomberg. Retrouvez d'autres articles d'Adam Higginbotham sur Ulyces.​

«Je suis passé à la télé 500 fois en trois ans», raconte-t-il. Les gens le reconnaissent dans les restaurants, et il doit se déguiser quand il part en randonnée. Il s’amuse à dire qu’il est aussi connu en Corée du Sud qu’en Corée du Nord.

Je lui demande donc s’il reçoit des aides du gouvernement. Il rigole. Chaque ballon lancé coûte environ 500 dollars, mais contrairement aux autres groupes transfuges, les Combattants pour une Corée du Nord Libre ne reçoivent pas d’argent de l’État. «Non, on a quelques centaines de personnes qui nous donnent 5 ou 10 dollars par mois. Et aucune de ces personnes n’est particulièrement fortunée.»

Il y a trois ans, un autre transfuge l’a contacté, évoquant une possible négociation avec une personne qui pourrait fournir des financements pour son action. Les services de renseignements de Corée du Sud l’ont informé qu’il s’agissait d’un piège, et ils ont fini par arrêter quatre hommes à la station du métro de Séoul qui devait servir de lieu de rendez-vous. L’un d’entre eux, un transfuge connu seulement sous le nom de Ahn, avait servi dans les forces spéciales nord-coréenne et transportait avec lui tout un attirail de gadgets meurtriers dignes d’un film d’espionnage –parmi lesquels une lampe torche miniature qui tirait des balles, un stylo qui lançait des fléchettes en métal et un autre qui contenait une aiguille capable d’injecter à sa victime une toxine mortelle. Ahn a admis plus tard avoir été payé 12.000 dollars par les Nord-Coréens pour assassiner Park. S’il avait refusé, ils auraient fait du mal sa famille.

Park reste de marbre lorsqu’on lui dit qu’il pourrait très bien mourir pour son combat. Il sait qu’il fait du bon travail. La preuve: de temps en temps, le nombre d’agents en civil qui assurent sa protection vient à doubler. Si les hommes de Pyongyang arrivaient à l’attraper, dit-il, quelqu’un d’autre s’occuperait des ballons. «Même si Park Sang-hak est assassiné, déclare-t-il, il restera toujours son numéro deux, et même son numéro trois.»

Le jour où il a traversé la rivière gelée

En Corée du Nord, le père de Park, Park Gun-hee, était membre du Parti travailliste au pouvoir. Il est devenu haut fonctionnaire du Bureau des sciences et des technologies du régime, puis plus tard général du 35e bureau, celui des services de renseignements de la Corée du Nord. Sang-hak était l’aîné de ses trois enfants. Il est né dans la ville montagneuse de Hyesan, tout près du fleuve Yalou, qui borde la frontière chinoise. Les rives du Yalou n’étaient qu’à une vingtaine de mètres de chez lui. Il était donc aisé pour Park de s’y rendre durant son adolescence, et de parler avec les Chinois de Changbai situés sur l’autre rive.

Au début des années 1980, il a remarqué certains changements de l’autre côté du fleuve: les petites huttes étaient progressivement remplacées par des maisons en ciment. Quand Park a demandé à ses voisins ce qu’il se passait, ils lui ont parlé des réformes économiques de Deng Xiaoping. Durant l’hiver 1985, à l’âge de 17 ans, Park a traversé la rivière gelée pour se balader dans les rues de Changbai. Et quelle n’a pas été sa surprise de voir des gens porter des vêtements américains et de les entendre parler avec admiration des États-Unis!

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