Peut-on raisonnablement vouloir «en finir avec la monarchie présidentielle» en empruntant une démarche politique éminemment personnelle? La candidature autoproclamée de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle, annoncée sur le plateau de TF1 mercredi 10 février, devra d'abord surmonter cette redoutable contradiction.
Une phrase de la démarche exposée par Mélenchon sur son site de campagne résume la difficulté de l'exercice: «Je lance un mouvement citoyen pour nous permettre d’agir collectivement, sans affiliation obligée à un parti politique.» Un candidat qui se situe «hors cadre de parti» en appelle à ceux qui ne sont affiliés à aucune organisation politique. Ce schéma entre en résonance avec le mythe de la «rencontre entre un homme et le peuple» qui est au cœur de l'élection du président au suffrage universel sous la Ve République... mais aussi de la monarchie élective par ailleurs décriée. Le souverain mépris des partis politiques affiché par Mélenchon a des accents gaulliens qui jurent terriblement avec la culture politique de gauche.
Le retour de la démocratie participative?
Le Parti de gauche, dont il est cofondateur, soutient tellement discrètement Mélenchon que son site tarde à réagir à sa candidature. Le PCF s'offusque de n'avoir pas même été prévenu de l'initiative du candidat qu'il avait soutenu à la présidentielle de 2012. Mélenchon enterre ainsi ce qui restait du «Front de gauche» sans la garantie de pouvoir le remplacer par une construction politique plus solide.
L'idée de créer un mouvement politique nouveau à partir d'un site internet et de la mobilisation de supporters dans des groupes locaux rappelle la méthode de «démocratie participative» empruntée par Ségolène Royal lors de sa campagne présidentielle de 2007. Le site «Désirs d'avenir» promettait aux internautes d'élaborer eux-mêmes le programme de la candidate socialiste. De la montagne de contributions ainsi récoltées, Royal n'a toutefois retenu que ce qui lui convenait. Il est à craindre que la parole populaire que Mélenchon appelle de ses vœux sur son site soit soumise à la même sorte de tamis.
Une candidature du haut
La manière dont Mélenchon a, sur le fond, justifié sa nouvelle candidature présidentielle suggère un autre type de difficulté. Son propos part significativement de la perspective d'adoption sans référendum du futur traité transatlantique ainsi que du changement climatique. Les deux sujets sont certes d'importance capitale mais ils ne sont pas précisément ceux que le commun des mortels a spontanément en tête. Mélenchon prend ainsi le risque de porter un discours fort abstrait dans une période où les électeurs sont submergés par des préoccupations très concrètes.
Le nouveau candidat de gauche dit s'inspirer de l'exemple de Bernie Sanders, le candidat à l'investiture démocrate qui menace actuellement Hillary Clinton aux Etats-Unis. Mais Sanders, quant à lui, s'emploie résolument à partir des problèmes rencontrés par les Américains. «Nobody who works 40 hours a week should be living in poverty», lit-on ainsi quand on arrive sur son site de campagne [«Quiconque travaille 40 heures par semaine ne devrait pas vivre dans la pauvreté», ndlr].
Sanders s'est d'ailleurs construit patiemment dans l'action locale. Il a été maire de Burlington (Vermont) alors que Mélenchon n'a jamais dirigé une collectivité locale. Le «socialiste» américain est porté par une dynamique de terrain, une grassroots campaign comme on dit là-bas. L'ancien socialiste français tente, pour sa part, de susciter une mobilisation par le haut.
Sa démarche diffère également fortement de celle de Podemos en Espagne. Mélenchon en appelle aux «indignés» de l'Hexagone mais il ne peut s'appuyer sur un fort mouvement de mobilisations populaires contre la crise et ses effets. Le nouveau parti de gauche espagnol est le produit de ces multiples politisations en actes de la société. Rien de tel en France, où les luttes sociales ou les mobilisations écologistes ne se fédèrent pas.
Un souverainisme de gauche
L'orientation politique choisie par Mélenchon pour mener à nouveau bataille suggère un troisième problème. Il entend mettre en mouvement une «France insoumise» refusant les traités européens qui la corsètent aujourd'hui. Son projet est bien de promettre un «pays indépendant» en faisant vibrer la fierté nationale. «Notre pays peut marcher en tête de l'humanité», n'a pas craint d'affirmer Mélenchon dans sa vidéo de lancement de candidature.
Ce souverainisme de gauche, qui rappelle cette fois-ci l'entreprise de Jean-Pierre Chevènement lors de la campagne présidentielle de 2002, ne manquera pas de faire débat. On sait qu'il ne fait nullement consensus dans la «gauche de la gauche». D'aucuns ne manqueront pas de faire valoir leur désaccord à ce sujet pour justifier l'émergence d'une autre candidature.
Cette tonalité patriotique correspond néanmoins à des convictions profondes chez Mélenchon même s'il a pu, dans le passé, s'illusionner sur le projet d'une Europe fédérale. Il espère aussi que ce souverainisme lui permettra d'être mieux entendu des classes populaires et ainsi de concurrencer efficacement Marine Le Pen.
Et pourtant il n'a pas tort
Tous ces obstacles sur la route que s'est choisi le solitaire Mélenchon ne l'empêchent pas d'avoir de solides raison pour agir ainsi. L'ancien et futur candidat à l'élection présidentielle n'a pas tort de vouloir forcer son chemin sans attendre que se dissipe le brouillard créé par d'hypothétiques «primaires».
La «primaire de toute la gauche» est une chimère et une primaire de la «gauche de la gauche» n'est guère plus facile à réaliser tant ses contours prêtent à débat. Mélenchon est fondé à ne pas vouloir s'enfermer dans des discussions avec des partis et des groupes d'influence fort modeste et de représentativité très contestable.
Son pari de prouver le mouvement en marchant peut être gagné dès lors que l'opposition de gauche à François Hollande, sauf dissidence socialiste d'envergure, ne dispose pas de beaucoup de candidats crédibles. Avec ses qualités et ses défauts, Mélenchon est finalement le mieux placé pour occuper aujourd'hui ce créneau.
Il est enfin difficile de lui reprocher de ne pas incarner un mouvement social qui n'existe pas. Comme souvent en France, l'initiative politique tend à prendre le pas sur la vitalité de la société. Cela ne va toutefois pas sans risque, surtout de la part d'un homme qui n'a jamais masqué son admiration pour Hugo Chavez.