Santé / France

Le système de santé français ne rembourse pas aussi bien qu'on le croit

Temps de lecture : 7 min

Malgré le système d'assurance santé français, censé rembourser les médicaments de tous les malades, les patients souffrant de certaines maladies doivent dépenser des sommes parfois importantes.

KENZO TRIBOUILLARD / AFP
KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Dans une France idéale tous les soins de santé seraient pris en charge par cette forme unique de solidarité nationale qu’est l’assurance maladie. Tous les soins et notamment ceux concernant la dentition, la vision et l’audition. Non seulement cet idéal n’a jamais existé mais, soixante dix ans après la création de la Sécurité sociale, nous ne cessons de nous en éloigner. «En dehors des hospitalisations et des affections de longue durée la part de l’assurance maladie dans le remboursement des soins ne dépasse pas, aujourd’hui, 50% des soins» observe Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé à Science Po Paris et auteur, aux éditions Odile Jacob de Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé.

Pour Didier Tabuteau, l’un des meilleurs connaisseurs de ces systèmes, l’heure est venue de redéfinir l'équilibre souhaitable et optimal entre ce que prend en charge l'assurance-maladie obligatoire et ce que prennent en charge les organismes complémentaires. «Les complémentaires doivent rester à leur place et ne pas être des financeurs principaux, comme c'est en train de le devenir sur les soins courants, explique-t-il. Et il faut redonner à l'assurance-maladie une part essentielle dans le financement de ces soins. Ce n’est pas une question d’argent, puisqu’ils sont déjà financés par la population à travers les ressources de l'assurance maladie et les primes des complémentaires. Reprenons cet ensemble et redéfinissions différemment la répartition des prélèvements. C'est économiquement faisable et c'est socialement juste. Concrètement, cela permettrait à l'assurance maladie de relever son taux de remboursement progressivement à 60 % voire 80 %.»

Dans l’attente, et sans méconnaître les garanties offertes par la «Couverture Maladie Universelle» (CMU), ou par l’Aide médicale de l’Etat (AME), chacun peut, directement ou non, prendre la mesure des failles dans un système de prise en charge des soins à un moment où l’État providence est confronté à une crise économique de grande ampleur s’installant dans la durée.

Trois exemples des failles pouvant exister dans trois domaines très différents:

1.L'endométriose

L’endométriose, maladie gynécologique fréquente (elle concerne une femme sur dix) due à la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine (endomètre) en dehors de l’utérus, n'a été médiatisée que très récemment et ne suscite pas l’intérêt que justifierait son importance en termes de santé publique. La maladie peut être asymptomatique, mais différents organes peuvent être touchés. Et dans certains cas, elle provoque des fortes douleurs, parfois fréquentes et intolérables, elle peut être la cause de difficultés à concevoir, et nécessiter des opérations chirurgicales.

La maladie n’est pas (encore) reconnue comme une maladie chronique, explique l'association ENDOmind:

«Les patientes ont un accès difficile à l’ALD [Affection Longue Durée] qui permettrait le remboursement de l’intégralité de leurs frais médicaux. La maladie est pourtant incurable et beaucoup de femmes atteintes vont subir des interventions et des traitements à répétition. Ces patientes ont beaucoup de soins non remboursés pour la prise en charge des douleurs chroniques, comme certains traitements hormonaux.»

Valérie*, 25 ans, a été opérée en 2013: c'est alors qu'elle a été formellement diagnostiquée comme atteinte de l'endométriose. Mais elle en souffrait depuis des années. Son gynécologue lui a prescrit le médicament Visanne ® des laboratoires Bayer

«Je prends Visanne ® des laboratoires Bayer, témoigne Valérie. La boîte de 28 comprimés de ce médicament progestatif officiellement indiqué dans l’endométriose coûte entre 70 et 85 euros en moyenne par mois. Le prix dépend des pharmacies. Mon gynéco m’affirme qu'il est possible de l'avoir en boite de 84 et que ça coûterait moins cher. Mais je suis allée dans une cinquantaine de pharmacies depuis que je prends ce traitement, depuis un an et demi environ. Toutes ne le proposent qu'en boîtes de 28, ce qui permet au fournisseur de se faire encore plus de marge. Je crois qu'il n'est pas remboursé parce qu'il s'agit d'un médicament assez récent – mon gynéco m'a dit qu'il était encore en test et que ses effets ne sont pas prouvés au delà de quinze mois

Il y a bien d’autres médicaments possibles, mais le gynécologue de Valérie est formel: il en a prescrit plusieurs, à plusieurs patientes et il estime que c'est le meilleur.

«Je mets de l'argent de côté chaque mois pour me le payer parce que si ce n'est pas le médicament parfait à 100% (j'ai quand même des douleurs qui persistent, et il a aussi des effets secondaires) il me permet néanmoins d'avoir vraiment, vraiment beaucoup moins mal. La sécu rembourse pas, ma mutuelle, Audiens, non plus: ils m'ont dit que Visanne® ne figurait simplement pas dans leur liste de médicaments remboursés.»

Certaines patientes peuvent faire une demande spécifique pour être inscrite comme atteinte d'une ALD hors liste. Mais comme l'explique l’association Ensemble Contre l'Endométriose, «suivant les régions, voire même selon les caisses de sécurité sociale, les demandes d’ALD ne sont pas acceptées de la même manière. Quant aux médecines dites parallèles, elles ne sont que rarement remboursées, ou alors très mal alors qu’elles nous aident bien dans notre quotidien».

2.Les soins après traitements des cancers du sein

«C’est un sujet encore rarement abordé mais qui me semble pourtant essentiel confie un spécialiste de cancérologie souhaitant garder l’anonymat. Je veux parler de choses que nombre de mes confrères continuent à considérer comme futiles: les perruques en cas de calvities induites par les radiothérapies ou encore les vernis à ongles qui permettent de masquer certaines modifications de couleur dues aux traitements. Ce sont là des éléments qui peuvent être essentiels après l’administration du traitement [notamment sur le plan psychologique]. Or il existe ici des inégalités majeures et inacceptables.»

Selon l’Institut national du cancer les premiers prix des perruques «prêt-à-porter» en fibres synthétiques se situent «autour» du forfait remboursé par l'Assurance maladie (125 euros) et peuvent atteindre 600 euros (selon le type de montage: machine ou main). Le prix des perruques en cheveux naturels démarre quant à lui autour de 700 euros et peut atteindre plusieurs milliers d'euros pour une perruque faite à la main, sur mesure.

La perruque fait l'objet d'une prescription par le médecin (renouvelable si nécessaire) et est donc prise en charge à hauteur de 125 euros par l'Assurance maladie. Un complément pourra être remboursé par une assurance complémentaire, si on en a souscrit. Ce remboursement est toutefois extrêmement variable– et selon le type de contrat dont bénéficie la femme, il peut couvrir de une à six fois le forfait de l'Assurance maladie.

«Certains produits utilisés en chimiothérapie abîment les ongles, explique encore l’Institut national du cancer. On peut utiliser des moufles réfrigérantes le jour de la chimiothérapie pour tenter de préserver les ongles des mains. Ces moufles sont fournies par l'hôpital. De la même façon, on peut utiliser des chaussettes réfrigérantes pour se protéger les ongles des pieds. Ces chaussettes ne sont pas toujours fournies par l'hôpital. Il faut donc parfois apporter son pain de glace et une paire de chaussettes à enfiler lors de la séance de chimiothérapie. Enfin, dans l'optique de préserver les cils et les sourcils, on peut se mettre sur les yeux un pain de glace enveloppé dans une charlotte. Ce pain de glace n'étant pas fourni par l'hôpital, il faudra l'apporter de chez soi dans une glacière.»

3.Les médicaments contre le rejet d'une greffe de rein

«Je me permets de vous contacter à nouveau à propos du médicament "belatacept", nous écrit Yvanie Caillé, fondatrice de l’association Renaloo réunissant des malades en dialyse et d’autres greffés du rein. Depuis plus de deux ans, rien n’a bougé, les autorités françaises refusent toujours de le rembourser, au contraire de beaucoup de pays qui le prennent en charge (l’Allemagne, la Suède, la Norvège, la Suisse, l’Autriche, l’Irlande, la Finlande, le Danemark, ainsi que les USA). Or, voici quelques jours, de nouveaux résultats, avec un recul de sept ans, ont été publiés dans le New England Journal of Medicine. Ils montrent de manière claire la grande supériorité du belatacept sur la ciclosporine, médicament actuellement utilisé avec des écarts qui se creusent avec le temps.»

Pour la première fois depuis trente ans, un médicament anti-rejet permet de réduire fortement la mortalité et la perte des reins transplantés. Sept ans après la greffe, le belatacept, commercialisé à l’étranger sous le nom de Nulojix® est associé à une diminution du risque de décès ou de perte du greffon rénal de 43%; il améliore aussi de plus de 30% de la fonction des reins greffés.

«L’impossibilité d’accès à ce traitement est à la fois injuste et inacceptable, car les pertes de chances pour les patients sont majeures et clairement démontrées, explique Yvanie Caillé. Avec plusieurs professeurs de médecine experts en greffe rénale nous venons d’écrire à Marisol Touraine, ministre de la Santé. Nous voulons lui expliquer l’urgence de la situation et la confronter à ses devoirs.»

Le 23 janvier dernier, Marisol Touraine s’exprimait dans le cadre de la première «Journée nationale de l’innovation en santé»:

«L’horizon des possibles ne cesse d’être repoussé. Comment imaginer qu’un traitement nouveau puisse être réservé à une élite qui aurait, seule, les capacités financières à y accéder? La force du modèle français, c’est de solvabiliser l’innovation, en lui garantissant une diffusion rapide et massive.»

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