Sports

Foot gay contre foot hallal

Temps de lecture : 3 min

L'urgence d'une vraie politique de communautés.

Cette année, les candidats à l'agrégation et au CAPES d'histoire planchent sur les affrontements religieux au XVIème siècle. Heureuse coïncidence! En effet, ceux-là mêmes qui auront la responsabilité d'enseigner l'éducation civique et les rudiments de la tradition républicaine à nos enfants connaîtront bientôt sur le bout des doigts une période de l'histoire de France où la société se trouvait face au défi vital du morcellement identitaire. Comme aujourd'hui, mutatis mutandis. Nos futurs maîtres es citoyenneté se seront donc frottés, espérons-le, aux hommes du temps jadis qui, tels le chancelier Michel de l'Hospital, injustement oublié, ont poursuivi la finalité essentielle de l'art politique : la tolérance civile.

La tolérance civile, sans laquelle il n'est ni société civilisée, ni nation unie: voilà bien l'enjeu politique par excellence, actuellement renvoyé à l'avant-scène par l'affaire du match annulé dimanche 4 octobre entre le Paris Foot Gay et le Créteil Bebel. Le contentieux est simple. D'un côté, une équipe, certes ouverte aux hétérosexuels, mais qui n'en est pas moins un produit de la gay culture telle qu'on peut l'observer, par exemple, dans le quartier du Marais à Paris. De l'autre, une équipe, certes respectueuse des lois de notre république laïque, mais qui n'en affiche pas moins son identité religieuse, musulmane en l'occurrence. Ces deux entités émanent de deux groupes de personnes qu'on ne peut, sauf à verser dans la malhonnêteté intellectuelle la plus grotesque, désigner que par le mot communauté. Et, de surcroît, dans son acception la plus lourde, puisque les deux critères sur lesquels elles se fondent relèvent de ce qu'il y a de plus intime en l'homme : le sexe et la religion.

Quoiqu'on pense des uns et des autres, c'est sociologiquement, psychologiquement, philosophiquement imparable: ils suivent tous, à tort ou à raison, ce qu'on pourrait appeler leurs «instincts métaphysiques» les plus profonds. Si l'on demandait à un gay du PFC quel événement a changé sa vie dans les dix dernières années, il répondrait sans doute: «M'accepter en tant que gay»; et si l'on posait la même question à un musulman du CB, la réponse serait du style: «Ma (re)découverte de l'Islam». Et pour le responsable politique, dont le souci - au sens de la cura civitatis, le souci de la cité, comme il existe la cura animarum, le souci des âmes - est d'assurer l'ordre public, ce qui compte est la manière dont ces «instincts métaphysiques» impactent la vie sociale, et non leur conformité à la droite raison. Bref, la République n'a pas à faire le tri entre les critères d'appartenance.

Cela dit, deux devoirs s'imposent. Le premier consiste à démasquer les fausses pleureuses. L'événement connu, chacun y est allé de son couplet anti-communautariste, à l'image de la secrétaire d'Etat aux sports, Rama Yade: «Le communautarisme n'a pas sa place dans le sport.» Certes. Mais, dans le même temps, on apprend que ledit match de foot aurait dû se dérouler sous la houlette de la Commission Football Loisirs, une ligue subventionnée par les pouvoirs publics et qui regroupe des clubs amateurs franciliens dont un certain nombre sont à caractère explicitement communautaire : les musulmans du Bebel Créteil, les Turcs du Turkiye FC, les Portugais de l'AF Portugais Paris, les hindous du club Mishra, les Malgaches du Paris Jamaat Foot Club ou du AJMJTO, les gays du Paris Arc en Ciel, etc... Et d'ailleurs, en temps normal, tout se passe bien. Autrement dit, s'agissant des communautés qui composent la réalité nationale, on ne peut en prendre et en laisser au gré de ses émotions ou de ses obligations idéologiques. Le fait communautaire est un tout.

Une telle prise de conscience est cruciale car elle conditionne l'exécution de la deuxième tâche impérative: gérer le fait communautaire, et le gérer comme un tout. Autrement dit, imaginer une authentique politique des communautés, comme il existe une politique extérieure ou une politique industrielle. Dans ce domaine, aucune idée n'est à exclure a priori - pas même celle d'un Parlement des communautés, par exemple, sur le modèle du Comité d'éthique, pour reconnaître institutionnellement les communautés et encourager le dialogue - pour autant qu'on respecte l'un des principes fondateurs de notre tradition républicaine, laquelle s'enracine autant dans les expériences très singulières de la Résistance et de la Révolution que, comme nous le suggérions plus haut, dans la tragédie des Guerres de religions: s'appuyer sur la loi, objective, et non sur les valeurs, subjectives.

Michel de l'Hospital, encore lui, a parfaitement résumé ce que doit être l'attitude de la république arbitrale que nous appelons de nos vœux: «J'ai toujours suivi le grand chemin royal sans me détourner ni à droite ni à gauche, sans me soumettre à aucune faction privée.» Ce «grand chemin royal», aujourd'hui, c'est celui de la loi. La loi, qui n'est ni gay ni musulmane, mais qui ne juge pas le fait d'être gay ou musulman - et d'en être fier, le cas échéant.

En tout cas, il faut aller vite et faire preuve de pragmatisme. Car l'affaire du match de foot impossible entre gays et musulmans ne laisse pas d'inquiéter: elle révèle, non la perspective d'un affrontement, mais le refus de coexister, et dans un domaine, le sport, où devrait régner à la fois la tolérance et la vénération des règles admises par tous. Une autre manière de désigner la République.

Matthieu Grimpret

Image de Une: Des supporters du Paris Saint-Germain Benoit Tessier / Reuters

 

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