Il se vend en Russie de curieuses cartes postales. On y voit l'actuel premier ministre et ancien président de la Fédération russe Vladimir Poutine, que les médias occidentaux ont plutôt coutume de présenter comme un kgb-iste glacial, photographié en tenue de judo, ou bien en train de tourner un vase de céramique dans un moule de potier. Plus singulier encore: certaines jeunes filles russes s'envoient entre elles ce type de cartes, sans ironie, rêvant avec sincérité de rencontrer un homme comme Poutine.
Propagande réussie? Culte du chef? Classique effet aphrodisiaque du pouvoir? La grâce du premier ministre russe ne tient pas seulement à ces ingrédients-là. Beaucoup de Russes, hommes ou femmes, lui sont d'abord reconnaissants d'avoir redonné à leur pays une place respectable sur le plan international. La Russie est de nouveau prise en compte, lorsqu'elle n'est pas crainte. Deuxièmement, il est indéniable que Vladimir Poutine a rétabli un certain ordre, politique, social et économique, que l'époque de Boris Eltsine avait totalement fait oublié. Les électeurs de «Russie Unie», le parti rassembleur de Poutine, lui en sont reconnaissants, même si de nombreux citoyens restent par ailleurs conscients de ce que le pays souffre encore de problèmes flagrants, de la pauvreté endémique à l'alcoolisme, en passant par la corruption persistante et l'instabilité financière.
Au-delà, c'est la personnalité-même de Vladimir Poutine qui lui confère son charme. En 2002, pendant son premier mandat présidentiel, un clip intitulé «Un homme comme Poutine», interprété par le groupe Pojuschie vmeste (Chantons ensemble), produit par l'attaché de presse de la Cour suprême, Nikolaï Gastello, et diffusé sur toutes les télévisions russes, avait rencontré un certain succès. On y voyait un sosie de Poutine, accompagné d'un énorme garde du corps à la Fifty cents, apprécier à la télévision une chanson fredonnée à sa gloire par trois séduisantes chanteuses. «Mon mec a encore bu des saletés, il s'est de nouveau battu. J'en ai eu assez, je l'ai quitté, et maintenant, je veux un homme comme Poutine! Un homme plein de forces, qui ne boive pas, qui ne me blesse pas, qui ne s'enfuie pas!»
Ce morceau de propagande, repris pour le plus grand plaisir du public lors d'un show du type Nouvelle Star, en 2008, par des danseuses costumées en ouvrières soviétiques, réunies autour du lavabo de l'usine pour déplorer les derniers méfaits de leurs compagnons buveurs et bagarreurs, reflète l'aspiration réelle de nombreuses femmes russes, confrontées à l'alcoolisme de leurs hommes, et aux pères fuyards qui les abandonnent avec enfants en bas âge.
Selon les chiffres officiels, en 2003, un tiers des naissances en Russie concernaient des mères célibataires, un taux qui avait doublé entre l'effondrement de l'Union soviétique et le début des années 2000, lorsque l'éclatement de la cellule familiale accompagnait l'anarchie économique. Dans ce contexte, les primes à la naissance accordées sous les mandats de Poutine et Medvedev, couplée à l'augmentation des revenus réels, se sont révélées efficaces pour lutter contre une démographie décroissante: depuis 1999, la natalité est en hausse régulière, de 6 à 8% par an.
Reste la boisson. Les statistiques officielles russes recensent un tiers des hommes comme alcooliques - contre une femme sur sept. L'alcool serait responsable de 30% des morts chez les hommes, d'une espérance de vie faible (59 ans contre 73 ans pour les femmes) et d'un ralentissement permanent de l'économie. Il faut dire que l'on fait feu de tout breuvage dans les campagnes russes, lorsque la vodka fait défaut: liquide anti-gel, eau de cologne et lotions médicamenteuses alcoolisées font environ 40 000 morts par an. Et le président Medvedev lui-même reconnaît que les choses ne sont pas près de changer... Il était le premier à déplorer, en août, l'inefficacité des multiples initiatives prises par l'Etat pour lutter contre ce problème: «En toute sincérité, je pense qu'il n'y a aucun changement. Le résultat est nul», déclarait-il.
Vladimir Poutine, lui, est réputé pour sa sobriété, pour sa fidélité à sa femme Lioudmila, et pour l'attention qu'il porte à l'éducation de ses deux filles. Ajoutons à cela qu'il ne s'énerve pas en public, qu'il reçoit régulièrement et avec patience, en bon père, les doléances des villages les plus reculés de la province, qu'il pratique plusieurs sports et qu'il sait à l'occasion plaisanter avec les citoyens qui le croisent, ou sourire à une caméra sans affectation - quoiqu'il sourie rarement. «C'est un gentleman», apprécie Tatiana Fedorovna, nourrice à Saint-Petersbourg.
Certains citoyens Russes posent pourtant un regard nuancé ou critique sur ce type de chansons, surtout dans l'intelligentsia. «Quand j'ai entendu ça à la radio, j'ai cru m'évanouir», se rappelle Irina, traductrice, jeune mère (divorcée) dans une grande ville. D'autres expliquent l'attrait qu'exerce le sérieux de Poutine par des caractéristiques nationales: «Les femmes russes sont très sentimentales», réfléchit Alexandre, chef du développement dans une holding internationale. «La Russie est romantique, les mariages sont d'amour et non de raison... » Du coup, les couples se séparent souvent très vite, et le personnage de Poutine incarne une désirable stabilité, en plus d'être perçu comme un esprit sain dans un corps sain.
Macha Fogel
Image de Une: Vladimir Poutine RIA Novosti / Reuters
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