«L'archer est un modèle pour le Sage. Quand il a manqué le milieu de la cible, il en cherche la cause en lui-même.»
On peut tomber sur cette pensée de Confucius au détour d'un blog de développement personnel new age, en introduction d’une conférence TED ou en épigraphe du dernier livre de Nicolas Sarkozy, La France pour la vie. L’ancien président de la République vient de publier une sorte de bilan de compétence de son mandat, et Le Figaro, qui en présente les bonnes feuilles, a décompté pas moins de «27 reconnaissances d'erreurs, 27 aveux de fautes commises». C’est donc en partie un mea culpa sur la forme et, parfois, sur la conduite de certaines politiques entreprises entre 2007 et 2012, et la citation de Confucius résume la tonalité du livre et l’intention de son auteur.
En fouillant dans la riche bibliothèque de Slate, rayon Livre de politiques que personne ne lit mais qui font l'événement médiatique, on se rend compte que l’art de l’épigraphe, cette courte citation placée en amont de la prose de l'auteur, est très prisé de nos dirigeants, ou de ceux qui aspirent à le (re-)devenir.
Churchill, Gambetta, Jaurès: l'épigraphe est un truc de grands hommes
Avec les maximes philosophiques passe-partout, un des genres privilégiés des responsables politiques reste la parole de Grand Homme d’Etat, de préférence confronté à des situations historiques exceptionnelles. Dans ses Carnets secrets d’une présidentielle de tous les dangers, qui raconte les coulisses de la campagne de 2012, Roselyne Bachelot choisit Churchill pour sa phrase:
«Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat.»
Quand elle publie en 2013 Cette belle idée du courage, Ségolène Royal entre dans un moment de sa vie politique où sa plus grande opportunité semble derrière elle. Un peu comme Nicolas Sarkozy aujourd’hui, finalement. D’où un choix là aussi combatif, avec un court texte de Paulo Coelho sur la capacité du «guerrier» d'accepter sa défaite pour repartir vers d’autres batailles... Le texte y côtoie le célèbre poème de Rudyard Kipling, «Tu seras un Homme, mon fils.»
Toujours soucieux d’inscrire son action dans la grande histoire de la gauche, Jean-Luc Mélenchon choisissait dans Qu’ils s’en aillent tous!, livre de pré-programme présidentiel publié en 2010, une citation d’un discours de Jean Jaurès prononcé à Buenos Aires en 1911:
«La nature et l’histoire malgré leur brutalité et leur férocité sont un cri d’espoir.»
En optant pour une citation de Léon Gambetta au moment de sa démission du gouvernement en 1871, Cécile Duflot remporte la palme de l'épigraphe politique la plus littérale dans De l'intérieur: Voyage au pays de la désillusion, où elle raconte son expérience gouvernementale entre 2012 et 2014:
«Ma conscience me fait un devoir de résigner mes fonctions de membre du gouvernement avec lequel je ne suis plus en communion d'idées ni d'espérance.»
Le livre, annoncé alors comme une critique de l'intérieur de la politique menée par François Hollande, obtiendra d'ailleurs un succès très honorable (37.000 exemplaires selon des chiffres publiés par le magazine GQ).
La poésie va inspirer aussi Marine Le Pen dans son autobiographie parue en 2011, A contre flots. Elle choisit en épigraphe le poème d’Emile Verhaeren qui donne son titre au livre:
«Le passeur d’eau, les mains aux rames,
A contre flots, depuis longtemps,
Luttait, un roseau vert entre les dents.»
Certains ont plus d'ambition littéraire que d'autres. Bruno Le Maire, par ailleurs romancier, reprend dans son livre politique Jours de pouvoir (95.000 exemplaires selon QG) une citation énigmatique de Toni Morrison:
«Vous pouvez continuer à écrire, mais je crois que vous devriez savoir ce qui est vrai.»
On attend toujours de savoir si l'ancien secrétaire d'Etat Thomas Thévenoud, qui s'apprête à publier Phobie française à propos de la triste affaire de ses impôts non déclarés, optera pour Sigmund Freud, Franz Kafka ou un article du code fiscal.