La plupart des gens ne se posent pas de questions sur ce qu’ils ont le droit de manger ou non. Mais les vegans sont profondément touchés par le sort des animaux. Ce sont de véritables coureurs de fond des questions éthiques: il est difficile de passer à côté d’un débat lorsque vous invitez un vegan à votre table. L’essor de la science et de nouveaux aliments pourraient cependant donner du fil à retordre à leurs conversations philosophiques. Accepteront-ils demain de manger des burgers de cellules souches d’animaux? ou des méduses, dès lors que la recherche a démontré qu’elles ne sont pas capables de ressentir? s’interroge le neuroscientifique Dean Burnett dans le Guardian.
Disons-le d’emblée: toutes les personnes qui ont cessé de manger de la viande ne le font pas toutes pour des raisons éthiques, ou purement éthiques. Souvent, d’autres raisons sont associées, ou priment. On peut cesser de manger de la viande simplement parce qu’on n’en apprécie pas le goût, ou parce qu’on considère que c’est mauvais pour la santé. D’autres le font pour protéger l’environnement. Mais, à mesure que les moyens de se passer de viande évoluent et que nos sociétés se pacifient, de plus en plus de voix s’élèvent pour refuser de tuer des animaux. Ces voix assimilent l’industrie alimentaire à une gigantesque entreprise de meurtres de masse, rendue plus acceptable simplement parce qu’elle nous est présentée sous forme de cellophanes et de barquettes colorées.
On peut se demander cependant si les vegans pourront tenir le même discours lorsque la planète se sera mise à manger des insectes par millions. Des organismes comme la FAO estiment qu’ils représentent une solution face à l’augmentation de la population sur terre. Sur les forums spécialisés dans le végétarisme, les débats ont commencé. Certains arguent que les insectes sont «intéressants d’un point de vue nutritionnel et écologique». D’autres estiment qu’ils «font partie de la catégorie des animaux» et qu’il ne faut donc pas les manger. Le sujet divise et les vegans sont loin d’être aussi unanimes que les plus fervents adeptes du jaïnisme, qui portent des masques pour éviter de gober par mégarde des insectes et balaient leur chaise avant de s’asseoir pour éviter d’écraser une mouche égarée.
«Cela revient à peu près à manger une carotte»
Où placer la limite de ce qu’il est possible de manger ou pas? Il y avait jusque-là plusieurs écoles et les choses semblaient claires. Les végétariens ne mangent pas de viande, mais certains peuvent manger du poisson (on appelle alors cela du pescétarisme, ou pesco-végétarisme). Un jour, pour expliquer pourquoi elle faisait cette distinction, une amie végétarienne m’avait donné cette explication: les poissons n’ont pas de visage. Pour elle, les poissons et crustacés, avec leur face immobile, ne rentraient pas en ligne de compte. Les végétaliens excluent de leur consommation alimentaire non seulement les animaux marins mais aussi les œufs et le lait, estimant que vaches et poules sont exploitées pour cela et qu’elles souffrent. Les vegans vont encore plus loin: ils refusent tout produit issu des animaux (cuir, fourrure, laine, soie, cire d’abeille) ou testés sur eux (certains cosmétiques et médicaments).
Mais mangeraient-ils des méduses, en admettant qu’on ait envie d’en manger et qu’elles deviennent un jour commercialisable? D’un point de vue environnemental, elles pullulent et il serait bon pour la planète de diminuer leur stock. Certes, les méduses sont classées comme des animaux, fait remarquer Dean Burnett dans le Guardian. Mais elles n’ont aucun cerveau ni aucun système nerveux:
«Toutes les données accumulées en neuroscience suggèrent qu’elles seraient parfaitement incapables d’éprouver une quelconque forme de souffrance ou d’inconfort, écrit-il. Cela revient à peu près à manger une carotte. Alors pourquoi accepter de manger l’un et refuser l’autre?»
Et que penser d’un burger fait avec un steak de cellules souches? Aucun animal n’a été tué pour le fabriquer. Et si un animal a dû être tué pour cela mais que ce meurtre empêche ensuite d’en abattre des milliers d’autres, est-ce toujours éthique? Que feront les vegans? «Ces questions ne sont pas faciles, mais il est intéressant de noter que dès lors qu’on procède à une analyse scientifique détaillée, la frontière entre végétarisme et non-végétarisme est beaucoup plus floue que ce à quoi on s’attendait», conclut Dean Burnett. Les développements scientifiques promettent de longs débats chez les vegans.
Mardi 19 janvier à 15h19: nous avons ajouté une précision sur le pesco-végétarisme.