Si vous possédez un ordinateur (et comme vous lisez cet article je suppose que c'est le cas), il y a de fortes chances pour que vous ayez utilisé Microsoft Office au moins une fois. Et si ça a duré plus d'une heure, il est fort probable que vous vous soyez à un moment ou à un autre franchement enervé dessus. Quand vous avez essayé d'insérer une image dans un document Word par exemple, ou pire, quand vous avez cherché un moyen plus simple de naviguer à l'intérieur des chapitres de votre roman ou votre thèse. Votre frustration a sans doute été telle que vous avez cherché une alternative - en vain. Pourquoi? Tout simplement parce qu'il n'y en a pas.
La raison à cela, et vous la connaissez déjà, c'est que Microsoft est très doué pour écarter toute compétition. A mesure que ses adversaires potentiels tombaient, Office asseyait le monopole de Microsoft. Et bien que la suprématie de Microsoft soit suffisante pour décourager d'office n'importe quel concurrent hypothétique, il y a une raison beaucoup moins évidente qui explique pourquoi personne n'a jamais réussi à voler la vedette à Office: la concurrence propose des alternatives gratuites.
N'importe qui s'intéressant un peu aux nouvelles technologies sait que pour chacune des tâches que l'on souhaite accomplir sur son ordinateur, il existe une solution gratuite; plus besoin de remplir les poches de Microsoft ou de qui que ce soit d'autre. Le logiciel gratuit le plus connu et le plus utilisé est bien sûr le navigateur Firefox édité par la Mozilla Foundation, une organisation à but non-lucratif qui propose aussi un client mail, Thunderbird, et un puissant logiciel de retouche d'images, GIMP. Et pour échapper aux griffes de Word et Excel, il y a Zoho et OpenOffice.org (oui, le .org fait partie de leur nom).
Open source
Tous ces programmes, comme la plupart des logiciels gratuits, sont «open-source», c'est-à-dire que leur code-source est accessible librement, offrant ainsi la possibilité aux développeurs du monde entier de le modifier et créer eux-mêmes de nouvelles versions - bien que parmi ces logiciels libres, les plus importants sont régulièrement vérifiés, mis à jour et améliorés par des dizaines de développeurs qui travaillent dessus depuis des années. Le mouvement open-source remonte au milieu des années 80, lorsqu'un programmeur et chercheur du nom de Richard Stallman a suggéré aux développeurs de partager leur code-source, affirmant que le modèle propriétaire «closed-source» les faisait perdre leur temps sur des problèmes déjà résolus par d'autres. Selon Stallman, donner libre accès au code-source d'un programme faciliterait grandement le développement de l'industrie logicielle.
Sans oublier cet argument imparable: les développeurs participant à ce genre de projet ne seraient évalués non plus seulement par leur patron selon le nombre de lignes de code écrites en une journée, mais aussi par leurs pairs qui pourraient ainsi jauger leur contribution à faire avancer la technologie. Même si le travail de Stallman lui-même pour développer un système d'exploitation open-source n'a pas réellement abouti, ses idées ont été entendues et adoptées par nombre de programmeurs.
Leurs efforts - souvent motivés par le désir de créer un logiciel révolutionnaire et obtenir la reconnaissance qui va de pair - ont donné des résultats incroyables. Certains logiciels open-source sont devenus des classiques; si vous utilisez encore Internet Explorer de Microsoft, il est temps de passer à Firefox. Il y a des tas d'autres programmes «libres» absolument géniaux et moins connus, comme par exemple le logiciel de montage audio Audacity. Et tout comme il existe un paquet de programmes payants médiocres, il y a beaucoup de logiciels open-source pas terrible-terrible.
Gratuit contre payant
Les logiciels libres les plus populaires sont généralement stables et constituent une bonne alternative à des programmes payants. Mais si ce qui est gratuit n'est pas forcément mauvais, ce n'est pas forcément génial non plus; et bien souvent c'est juste «pas mal». Ce qui nous ramène à la question de pourquoi il est si difficile de rivaliser avec Microsoft Office.
La suite bureautique OpenOffice.org est l'exemple parfait du logiciel libre «pas mal». On peut certes s'en servir pour plein de choses, et certains vous feront même remarquer que des fonctionnalités très spécifiques comme l'éditeur d'équations est meilleur sur OpenOffice que sur Microsoft Office. Mais globalement, OpenOffice est un clone tout juste passable des versions de Microsoft Office antérieures à 2007. Ses fonctionnalités les plus utilisées, comme le traitement de texte, souffrent des mêmes défauts insupportables qu'Office; tout ce que vous avez du mal à faire sous Word, vous aurez du mal à le faire avec OpenOffice. Le reste non plus n'est pas génial, il suffit d'essayer de créer un tableau ou un graphique avec le tableur d'OpenOffice pour s'en rendre compte.
La plupart des gens n'utilisent qu'une petite partie des fonctionnalités de Microsoft Office, et une majorité pourra se contenter d'OpenOffice.org. Mais à les comparer fonctionnalité par fonctionnalité, on a du mal à appréhender la plus grande faiblesse d'OpenOffice en tant que concurrent de Microsoft Office: son manque d'innovation. Il y a des milliers de façons d'améliorer une suite bureautique, non pas en y ajoutant des fonctionnalités mais en la rendant plus intuitive et plus simple à utiliser (allez donc voir à quoi ressemble Buzzword, le traitement de texte online d'Adobe). Même en essayant d'être un peu charitable envers OpenOffice, on ne peut que lui reprocher de copier l'offre Microsoft sans chercher à innover.
Sun MicrosystemsIl y a des raisons à cela, entre autre qu'à l'origine OpenOffice était StarOffice, un clone payant de Microsoft Office qui fut racheté par le constructeur informatique Sun Microsystems (JAVA), et qui devint par la suite open source pour jouir d'une diffusion la plus large possible, Sun ayant toujours été un féroce concurrent de Microsoft. Bien que le code-source soit librement accessible, la plupart des grosses modifications d'OpenOffice sont réalisées par des développeurs employés par Sun. Mais la majorité des meilleurs développeurs préfère travailler sur des applications audio ou vidéo, plus sexy qu'une suite bureautique, ou sur Firefox, qui ne cesse d'évoluer à une vitesse spectaculaire.
Malgré tout, à l'exception du moribond WordPerfect, OpenOffice est à peu près la seule alternative à Microsoft Office. Son point fort - et peut-être est-ce là son seul avantage - c'est sa gratuité. Mais pour n'importe quel autre concurrent potentiel souhaitant investir de l'argent dans une toute nouvelle alternative à Office, la gratuité est un cauchemar. La technologie évolue quand des gens développent des produits de plus en plus satisfaisants, mais le meilleur moyen de pousser le consommateur à essayer ces produits c'est encore de les vendre moins chers que le leader du secteur. Mais avec OpenOffice sur le marché, impossible.
De façon ironique, si l'on observe le marché des suites bureautiques, le mouvement du logiciel libre a plutôt aidé à étendre le quasi monopole de Microsoft. Richard Stallman avait raison de penser qu'une large communauté de programmeurs travaillant à développer le logiciel open-source pouvait faire avancer la technologie de manière plus efficace, mais il n'avait pas anticipé qu'un jour, les logiciels gratuits resteraient, tout comme les logiciels payants, bloqués au niveau «pas mal».
Postbox
Cela vaudra-t-il un jour le coup de tenter de développer une meilleure suite bureautique? Au début du mois, une petite startup de San Francisco appelée Postbox a lancé un nouveau client mail et décidé de façon totalement radicale de faire payer 40 dollars son logiciel. C'est beaucoup moins que le leader du marché, Microsoft Outlook, mais beaucoup plus que sa principale alternative, Mozilla Thunderbird, totalement gratuite et open-source. Postbox a en fait été développé avec une partie du code-source de Thunderbird, mais ses créateurs y ont ajouté des fonctionnalités qu'ils espèrent assez attrayantes pour que les gens aient envie de payer.
On peut considérer Postbox comme une sorte de galop d'essai pour une éventuelle alternative à Microsoft Office. Si ça marche, ce serait la preuve qu'avec un bon logiciel, il est tout-à-fait possible de concurrencer à la fois le quasi monopole de Microsoft et la popularité des logiciels gratuits. Si un meilleur client mail réussit à se vendre, pourquoi pas un meilleur tableur (oh oui s'il vous plaît!) ou un meilleur traitement de texte. N'espérons pas trop fort non plus; il y a peut-être une chance pour que des logiciels encore meilleurs et plus novateurs réussissent à se faire une place malgré la domination de Microsoft et le prix imbattable des logiciels gratuits, mais c'est loin d'être gagné.
Mark Gimein
Traduit par Nora Bouazzouni
Image de Une: Un bonbon dans un emballage Microsoft Office, Sunfox, Flickr, CC