Mise à jour du 3 février: Pour lire le droit de réponse de Clevermate cité dans cet article, rendez-vous sur leur blog.
Le marché des cours particuliers en France c’est, tenez-vous bien, 40 millions d'heures de cours chaque année, 1,5 milliard d’euros (celui de l’Éducation nationale c’est 65 milliards) en moyenne 1.500 euros par famille, ainsi que nous l’apprenait l’ex Centre d’analyse stratégique (aujourd’hui France Stratégie) en 2013.
À ce sujet il faut absolument lire le très instructif ouvrage d’Arnaud Parienty School business: les chiffres détaillés par ce professeur d’économie sont franchement effrayants, et pas seulement pour les «petits cours». Qu’on soit scolarisé dans le privé ou le public, des cours particuliers aux prépas privées (il y en a pour préparer Science Po comme pour préparer le concours d’aide soignante… ou de professeur des écoles) la réussite scolaire peut revenir très cher.
On peut évidemment se désoler que ce marché soit si juteux: que l’école ne suffise pas et que les plus aisés puissent ajouter à l'avantage culturel, l'avantage économique. Mais ni l’Éducation nationale ni ses enseignants ne semblent être en mesure de réagir face à ces abus. Plus les enfants grandissent, plus l’angoisse scolaire monte et les dépenses avec. Dans une société où les diplômes initiaux jouent le rôle de sésame pour la réussite, l’école devient un univers concurrentiel. Tout comme le marché des cours particulier qui évolue à vitesse grand V.

Petites annonces sur Le Bon Coin pour des cours particuliers
Traditionnellement les familles qui cherchent des cours particuliers ont plusieurs solutions. Les petites annonces (de la boulangerie de votre quartier au Bon coin, site sur lequel on trouve pléthore de cours), avec une mise en relation gratuite. Les organismes comme Acadomia, le Cours Legendre ou Complétude… Ils ne donnent pas le choix du professeur, les tarifs sont plus élevés (jusqu’à 75 euros chez Acadomia).
Enfin, certains professeurs de l’Éducation nationale proposent aussi des cours, surtout dans les disciplines scientifiques. Notons que de nombreux collèges organisent un suivi des devoirs avec des assistants pédagogiques après les cours et même, parfois, le mercredi après-midi.
A partir du moment où ils sont donnés à domicile, les cours particuliers donnent droit à un crédit d’impôt, comme on peut le lire sur le site d'Acadomia:
«En tant que particulier, au titre de l'emploi d'une personne à domicile et dans les conditions posées par l'article 199 sexdécies du CGI (sous réserve de modifications de la législation), vous pouvez bénéficier: si vous êtes imposable: de 50% de réduction d'impôt, sur les heures de cours effectuées à votre domicile et sur les frais d'inscription. Si vous êtes non imposable: de 50% de crédit d'impôt, sur les heures de cours effectuées à votre domicile et sur les frais d'inscription. Ainsi une heure de cours à 34 € vous revient à 17 € après réduction ou crédit d'impôt.»
C’est une des conséquences de la loi Borloo (2005), véritable aubaine pour les entreprises de cours particuliers qui avancent toutes cet avantage fiscal comme un argument de vente.
L’aide scolaire est donc considérée comme un service de personne à personne, auquel on fait appel au gré de besoins momentanés. Comme pour les transports (Über, Blablacar) l’hôtel (Airb’nb) ou les sites de location de matériel de bricolage ou de femme de ménage, le secteur éducatif a aujourd’hui ses sites de mise en relation entre particuliers. Exemple: Studizen, qui propose d’échanger et de vendre, oui vendre, des notes de cours.
Meetic de l'éduc
J’ai pu échanger avec les représentants de deux entreprises de ce type: Superprof et Clevermate. Il s’agit de plateformes de mise en relation avec des professeurs. Le système est simple: les utilisateurs paient un droit d’entrée (c’est gratuit pour les professeurs putatifs) et peuvent consulter les profils de profs. Chez ces Meetic de l’éducation, on choisit les enseignants en fonction de leur discipline, de leurs prix, de leur(s) diplôme(s) et… éventuellement de leur bonne tête puisqu’on peut voir leur photo. Les élèves ou les familles peuvent aussi évaluer les professeurs/ répétiteurs et laisser des appréciations sur le réseau.
Interrogé il y a quelques semaine, Simon Azoulay en charge de la stratégie digitale de Superprof revendiquait déjà un certain succès:
«En septembre 2015, nous étions la plus grande communauté qualifiée de professeurs particuliers en France: 250 000 professeurs disponibles sur tout le territoire. Nous accueillons 400.000 visites mensuelles, et comptons 450.000 membres.»
Pour info Acadomia emploie 20.000 «professeurs particuliers». Mais, chez Superprof, on ne parle plus de famille, d’élève, de prof mais de «communauté». Cela convient mieux à l’ambiance 2.0 que la plateforme donne souhaite donner au vieux cours particulier.
Quant au slogan de Clevermate, je vous laisse juge: «on a tous besoin de soutien» et visiblement, surtout dans les matières scientifiques, 70% des cours donnés par les enseignants de la plateforme concerne ces disciplines.

Capture d'écran du rapport annuel de Superprof
Superprof nous donne aussi plein d’informations sur ce marché: en moyenne, toutes matières confondues, un cours coûte 21,50 euros. Les tarifs sont plus élevés en région parisienne, les hommes font payer en moyenne un euro de plus que les femmes et un quart des cours payants seraient donnés à des professeurs à leurs propres élèves. Pareil, je vous laisse juge.
Le prix c’est justement l’atout des plateforme. Elles se disent moins chers que les gros acteurs du secteurs. Pas de coûts fixes, une simple interface. Et un argument choc: la démocratisations des cours particuliers. C’est ce que m’a expliqué Jules Autelin, cadre chez Clevermate.
Externalisation
Le modèle de ces plateformes est simple. Chez Superprof comme chez Clevermate, les clients paient un droit d’entrée. Ensuite il n'y a plus de frais. Sauf si on passe en mode premium avec des services supplémentaires.
Concernant le recrutement des enseignants. Si vous êtes diplômés de quelque chose vous pouvez proposer vos services!
Jules Autelin m’a expliqué le processus de sélection de ses enseignants. La plateforme n’accepte que des étudiants de grandes écoles:
«On externalise la certification du niveau».
Ils ont été triés par l’Éducation nationale (et de ce fait admis en classe préparatoire) et obtenu un concours. Il n’y a pas d’étudiants d’université proposés sur le site, qui met sans complexe, au cas où vous n’auriez pas compris, une photo du fronton de l’ancien bâtiment de l’école Polytechnique sur son site afin que les visiteurs puissent lire ce nom prestigieux.
Derrière tout cela, un discours presque social: les étudiants, dont certains auraient peu de moyens, financent leurs études en donnant des cours.
Ironie
L’angoisse scolaire est-elle au cœur de la démarche? Certainement. Jules Autelin le confirme:
«Les mamans [sic] que j’ai au téléphone demande parfois des cours dans trop de disciplines, nous sommes obligé de les réfréner. Et, pour certains élèves, c’est davantage un luxe qu’une nécessité.»
Des étudiants brillants mais modestes, qui ont besoin d’argent pour financer leurs études, vont aider les élèves dont les parents, peu regardant à la dépense, font tout pour prendre un avantage scolaire grâce aux moyens financiers dont dispose leur famille. Triste ironie de notre «méritocratie scolaire», favorisée par l'ubérisation de l'économie.