L’affaire de l’essai clinique mortel de Rennes soulève plusieurs questions quant aux raisons qui ont pu conduire de nombreux médias à évoquer le cannabis quand ce dernier n’était en rien impliqué. Il faut ici, pour comprendre, resituer un fragment de la chronologie de cette affaire dramatique.
Marisol Touraine, dans l’après-midi du 15 janvier, lors d’une conférence de presse tenue à Rennes, a fait les déclarations suivantes:
«Selon les informations qui m’ont été transmises, ces personnes auraient commencé à prendre le médicament le jeudi 7 janvier. Des premiers symptômes seraient apparus dimanche 10 janvier sur une première personne. Les cinq autres ont été hospitalisées progressivement depuis. Le laboratoire a indiqué avoir interrompu cet essai le lundi 11 janvier. Voilà pour la chronologie des faits telle qu’elle peut être établie à cette heure. Dès que j’ai eu connaissance de l’accident, j’ai engagé les premières actions, indépendamment des procédures judiciaires engagées par le parquet de Rennes et le pôle de Santé publique du parquet de Paris.»
Silence des sources
La ministre de la Santé ne dit malheureusement pas quand elle a, précisément, «eu connaissance de l’accident». Il aura donc fallu cinq jours entre l’apparition des premiers symptômes chez une personne aujourd’hui en état de mort cérébrale (suivie de l’hospitalisation de cinq autres) pour que la presse dispose des premières informations officielles sur cette affaire. Jusqu’à cette conférence de presse, aucune des sources habituellement autorisées à répondre aux questions de sécurité sanitaire ne confirmaient ni n’infirmaient les rumeurs qui commençaient alors à circuler. Seules quelques confidences laissaient entendre que l’affaire était grave et le terme «cannabinoïde» était prononcé.
Dans ce contexte de rumeurs et de portes closes d’autres circuits d’information ont commencé à se développer. Voici un témoignage, publié sur ce blog, du Dr Bertrand Lebeau, addictologue, responsable du CSAPA de l’hôpital de Montfermeil, membre du comité scientifique de SOS Addictions:
«Ce vendredi 15 janvier au matin, un journaliste m’appelle et me demande ce que je pense de ‘’ l’affaire de Rennes ‘’. Je ne sais pas de quoi il parle et lui demande de m’expliquer. Il me dit que dans un essai de phase I portant sur une dizaine de volontaires sains, une personne est en état de mort cérébrale tandis que plusieurs autres sont hospitalisés dans un état inquiétant. Et il ajoute : ‘’ C’est un médicament à base de cannabis ou de cannabinoïdes ‘’.»
Faire la lumière
En fin de matinée, toujours le 15 janvier, le service de presse de Marisol Touraine publie un premier communiqué sur cette affaire :
«Le ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes a été informé hier soir de la survenue d’un accident grave dans le cadre d’un essai clinique de Phase 1, mené sur un médicament pris par voie orale, en cours de développement par un laboratoire européen. (…) Le laboratoire a informé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de l’interruption de l’essai et procède actuellement au rappel de tous les volontaires y ayant participé (…) Marisol Touraine souhaite faire part aux familles des patients de toute sa solidarité et de sa profonde détermination à faire toute la lumière et à établir toutes les responsabilités sur cet accident dramatique. Elle se rendra à Rennes ce jour ; elle y tiendra un point presse.»
Par voie orale
Aucune information, alors, sur «le médicament pris par voie orale en cours de développement». Il faudra attendre le milieu d’après midi et le «point presse» de Rennes :
«Le laboratoire Biotral a déposé le 30 avril 2015 un dossier d’essai clinique de Phase 1 pour une nouvelle molécule développée par le laboratoire BIAL. Cette molécule vise à traiter les troubles de l’humeur et de l’anxiété, et les troubles moteurs liés à des maladies neurodégénératives. A ce stade, les indications d’un médicament restent très générales. Contrairement à ce que j’ai pu lire, ce médicament ne contient pas de cannabis, n’est pas un dérivé du cannabis. Il agit sur les systèmes naturels qui permettent de lutter contre la douleur, c’est ce qu’on appelle le système endocannabinoïde.»
De fait plusieurs médias d’information générale avaient commencé à évoquer un médicament à base de «cannabis» ou de «cannabinoïdes», dérivés du cannabis. Ils auraient dû parler, en toute rigueur, d’ «endocannabinoïdes» (l’humain) et non de «phytocannabinoïdes» (la plante). Dr Bertrand Lebeau :
«Durant l’après-midi, j’écoute les infos qui expliquent que la substance en cause est bien du cannabis ou un cannabinoïde. Et puis un autre journaliste me fait savoir qu’il s’agirait, en réalité, non pas d’un phyto mais d’un endocannabinoïde (EC), ce que confirme Marisol Touraine dans sa conférence de presse. Qui a commis la boulette ? L’ANSM ? Le parquet de Paris ? Les médias ? Mystère.»
Situations de crise
Le mystère reste à lever, la lumière à faire. Il faudra aussi comprendre pourquoi la ministre de la Santé n’a pas prévenu les approximations médiatiques en informant au plus tôt la nature de la molécule en essai clinique; savoir quand cette même ministre a été précisément informée par ses services de cette affaire; établir la chronologie des évènements à compter du dimanche 10 janvier; comprendre pourquoi aucune information ne pouvait plus, dans la matinée du 15 janvier, être donnée à un média spécialisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui renvoyait alors vers le ministère de la santé.
Compte-tenu des vives controverses nourries par le cannabis (et plus encore de celles concernant l’usage thérapeutique qui peut être fait des cannabinoïdes – voir l’affaire Sativex®) ces questions ne sauraient être tenues pour anecdotiques. Elles disent, une nouvelle fois, la difficulté du pouvoir politique et de la puissance publique à gérer les situations de crise dans le champ du sanitaire.