France

Derrière le «féminisme» de Marine Le Pen, le vote déterminant des femmes

Temps de lecture : 4 min

Même s'il progresse, le vote des femmes pour le FN est encore instable, ce qui explique que la dirigeante du parti cherche à s’attirer les voix de celles qui pourraient être séduites par l’équation «immigration égale menace contre les femmes».

Marine Le Pen après l'annonce des résultats à Henin-Beaumont, en France le 6 décembre 2015. REUTERS/Pascal Rossignol
Marine Le Pen après l'annonce des résultats à Henin-Beaumont, en France le 6 décembre 2015. REUTERS/Pascal Rossignol

Voilà quelques jours que la tribune de Marine Le Pen, qui fustige dans L'Opinion les violences à Cologne, fait parler d’elle. A raison: on y découvre une responsable politique en apparence «féministe», citant Elisabeth Badinter et Simone de Beauvoir et prenant tout à coup la défense des femmes, à rebours de l'image que le Front national a longtemps offerte. Certaines phrases semblent tout droit sorties d’un dépliant du Collectif national pour les droits des femmes ou d’Osez le féminisme. «C’est comme femme française libre, qui a pu jouir toute sa vie durant des libertés très chères, acquises de haute lutte par nos mères et nos grands-mères, que je tiens à alerter [...]»: jusque là, ne croirait-on pas entendre Joan W. Scott ou Françoise Héritier? Il faut évidemment lire jusqu’au bout le texte, où Marine Le Pen tape sur la crise migratoire, pour comprendre qu’il ne s'agit que d'une contrefaçon.

Il ne suffit pas de citer les «droits des femmes» dans une tribune, de se dire préoccupée par «la situation de la Femme» pour être féministe. Le féminisme s’inscrit, de nombreux textes universitaires l’ont démontré, dans une tradition progressiste, tolérante à l’égard des opprimés, et donc à l’égard des immigrés qui fuient la guerre ou la pauvreté. Parmi les migrants, il ne faut pas l’oublier, se trouvent des dizaines de femmes, elles-mêmes soumises à des viols et à diverses atteintes aux droits humains dans leur pays, qui viennent trouver refuge ailleurs. Il ne peut être question pour le féminisme, tel qu’il s’est conçu pendant de décennies, de mettre tous les migrants dans le même sac, comme le fait Marine Le Pen en demandant tout bonnement à la France de renoncer à sa tradition d’accueil en «cessant d’accueillir les migrants».

«Un vote déterminant» pour le FN

La tribune du Front national est une pure récupération et son féminisme n’a qu’une «valeur instrumentale», comme l’a souligné Dominique Albertini dans Libération:

«Le FN est-il libéral, laïc et féministe? Dans l’exacte mesure où cela lui permet de condamner l’islam et l’immigration, et pas au-delà. Ces accents libéraux (comme d’ailleurs le programme économique du parti) n’interviennent que pour servir des objectifs plus élevés: stopper l’immigration, rétablir les frontières, promouvoir une identité nationale homogène.»

Claire Serre-Combe, porte-parole d'Osez le féminisme, ne dit pas autre chose dans Le Parisien:

«C'est de la récupération à des fins politiques, racistes et xénophobes. Un beau jour de janvier 2016, Marine Le Pen a découvert qu'il y avait des attaques faites aux femmes, alors qu'elle s'illustre depuis des années avec ses prises de position contre les femmes, notamment sur la question de l'avortement.»

Mais ce féminisme en trompe-l’œil ne doit pas nous faire oublier une chose: s’il n’est utilisé que dans la mesure où il peut être articulé à une pensée xénophobe, Marine le Pen s’intéresse véritablement au vote des femmes. Elle se fiche sans doute de l’oppression que subit le «deuxième sexe», mais elle ne l'oublie pas comme cible électorale. Sa tribune doit être interprétée comme une tentative de stabiliser voire d'augmenter le vote des femmes en sa faveur, en dents de scie aux trois dernières élections. Et devrait alerter les partis, car comme le faisait remarquer la politologue Nonna Mayer dans Le Monde, le vote des femmes est «un vote déterminant, car les femmes s’inscrivent un peu plus que les hommes sur les listes électorales et représentent plus de la moitié du corps ­électoral mobilisable».

Un soutien qui fluctue

Historiquement, les femmes ont moins voté que les hommes pour le Front national, phénomène qui ne s’observe pas qu’en France. Dans toute l’Europe, il existe un radical right gender gap qui s’explique par de nombreuses raisons, détaillées par Nonna Mayer: différences de statut professionnel («les femmes occupent plus souvent des emplois non manuels, moins exposés à la concurrence internationale»); facteur religieux («les femmes, surtout âgées, sont plus pratiquantes, donc plus imprégnées des valeurs chrétiennes universalistes»); facteur de genre («l’image de violence physique et verbale qui entoure les partis extrêmes, tout comme leur côté outsider, rebuterait plus particulièrement les femmes») notamment. Lorsque Jean-Marie Le Pen était candidat, le fossé entre hommes et femmes était béant. En 1988, le vote des femmes en faveur du FN était de 7 points inférieur à celui des hommes; en 2002, l'écart était encore de 6 points; en 2007, de 3 points. Il s’est encore réduit depuis: il n’était plus que de 2 points en 2012, année où, pour sa première candidature présidentielle, Marine Le Pen a augmenté de un point le score record de son père en 2002, avec 17,9%.

Mais ce soutien fluctue. «Des votes à la dernière élection présidentielle, il serait toutefois imprudent de ­conclure que l’effet du genre a purement et simplement disparu», explique Nonna Mayer. Aux élections européennes de 2014, l’écart était de 5 à 8 points selon les différentes estimations. Et il était de quatre points au premier tour des dernières élections régionales.

Une politique par ailleurs misogyne

Marine Le Pen, si elle veut obtenir le soutien des minorités pour passer le fameux «plafond de verre» qui empêche quasi-constamment son parti de l'emporter au second tour, doit conquérir le vote de davantage de femmes. Le raisonnement vaut aussi pour le vote des homosexuels, qui peuvent être tentés de tomber dans le piège raciste du Front national en raison de la persécution des homosexuels par les intégristes islamistes.

Mais il ne faut pas s’y méprendre. Le Front national défend par ailleurs des thèses combattues de longue date par les féministes. Les exemples sont nombreux, que nous ne pourrions pas résumer tous ici. L’eurodéputé FN Dominique Martin a par exemple avancé en mai 2015 que le rôle de la femme était de «s’occuper de son foyer». Marion Maréchal-Le Pen s’oppose à l’avortement et veut couper –elle l'a encore affirmé lors de la campagne des régionales– les subventions du Planning familial. Marine Le Pen elle-même avait déclaré en avril 2012 que si elle était présidente, elle dérembourserait l'avortement en cas de besoins budgétaires, comme le rappelle justement Metronews. Le FN a voté au Parlement européen contre deux textes sur l’égalité hommes-femmes et à l’Assemblée nationale, les députés Marion Maréchal Le Pen et Gilbert Collard, se sont opposés à la loi sur le harcèlement sexuel et à la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui comprend des dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes. Le FN n’aime pas les femmes, mais il aimerait très fortement que celles-ci l’aiment.

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