L'appel de quelques intellectuels et dirigeants issus des différents courants de la gauche et des écologistes à organiser «une primaire des gauches et des écologistes» est aussi sympathique que vain. Il est certes de bon ton de prôner des «échanges exigeants» en refusant que «la menace du FN, le risque terroriste et l’état d’urgence permanent servent de prétexte pour refuser de débattre».
On comprend aussi que les responsables de EELV accueillent avec intérêt une initiative qui permettrait à leur parti d'échapper à la redoutable alternative qui se profile pour lui à l'horizon 2017: soit se lancer dans une candidature présidentielle qui a toutes les chances de se solder par un résultat pitoyable; soit devoir se ranger, sans débat et dès le premier tour, derrière un candidat socialiste dont les orientations ne lui conviennent guère.
«La gauche» n'existe plus
Pour autant, la très belle idée d'une primaire de toute la gauche et des écologistes a le léger défaut de n'avoir aucune consistance réelle. Elle supposerait d'abord que «la gauche» existe en tant que telle. Ce n'est plus aujourd'hui le cas tant les forces et les personnalités que l'on regroupe commodément sous ce vocable sont diverses et éminemment contradictoires.
Les initiateurs de la pétition «Notre primaire» parlent d'ailleurs significativement «des gauches». Le problème est que cette pluralité politique atteint désormais un tel niveau d'incompatibilité qu'elle interdit une candidature commune à l'élection présidentielle. Jean-Christophe Cambadélis n'a pas tort d'observer que l'on voit mal le champion qui pourrait fédérer «de Macron à Mélenchon». Par parenthèse, le premier secrétaire du PS inclut désormais le ministre de l'Economie dans «la gauche» alors qu'il en faisait, il y a peu, un «ministre d'ouverture».
Qu'on le veuille ou non, la gauche française est aujourd'hui brisée. Sa composante gouvernante s'aventure chaque jour plus loin sur des terrains inconnus de la tradition de gauche. Et cette dérive a pour effet la radicalisation d'une «opposition de gauche», elle-même en proie à de multiples rivalités et divisions.
«Au fond, qu’ai-je en commun avec Clémentine Autain?», se demandait récemment Manuel Valls. «Au fond, qu'ai-je en commun avec Manuel Valls?», lui a vertement répondu la dirigeante d'une des composantes du Front de gauche. Le premier ministre se sentait, de son propre aveu, plus proche de Jean-Pierre Raffarin avec qui il était prêt à définir une politique de l'emploi. C'est ainsi que le concept de «gauche» se vide de sens.
Hollande se veut «père de la nation» plus que de gauche
La proposition d'une primaire de toute la «gauche» est d'autant plus irréelle que le président de la République sortant, qui entend bien se représenter en 2017, n'appartient plus vraiment à ce camp.
Au nom de la lutte contre le terrorisme, le chef de l'Etat a largué les dernières amarres qui le rattachaient encore à «la gauche».
François Hollande mise toute sa réélection sur l'avantage institutionnel qui est le sien, surtout en période de tension marquée par le terrorisme et les engagements militaires. Ce calcul de la présidentialisation régalienne est totalement contradictoire avec la compétition au sein d'une «primaire». Un de ses proches le dit sans ambages: «Vous le voyez être président le jour et aller faire l'andouille le soir avec Benoît Hamon et compagnie?»
Le refus total de la primaire par Hollande a aussi une dimension idéologique. Cet exercice le resituerait inévitablement dans un espace de gauche dont il a pris soin de s'évader. Au nom de la lutte contre le terrorisme, le chef de l'Etat a largué les dernières amarres qui le rattachaient encore à «la gauche».
Hollande se veut désormais «père de la nation» en attendant de camper en candidat de la raison et de la modération face à l'extrémisme du Front national et à l'agitation sarkozyenne (en priant pour que l'ancien président soit à nouveau candidat). Ce positionnement objectivement centriste interdit de passer par une compétition au sein des gauches.
Mélenchon candidat autoproclamé
Jean-Luc Mélenchon ne veut pas plus de cette irénique primaire de gauche que François Hollande. L'ancien candidat du Front de gauche a clairement et immédiatement exclu sa participation à une bataille qui pourrait l'obliger à se ranger, in fine, derrière un président sortant désormais aux antipodes de ses convictions.
Mélenchon ne croit pas plus à une petite primaire limitée aux candidats de «l'opposition de gauche» à Hollande. Il est vrai que ce camp manque, pour le moins, de cohérence. EELV hésite toujours sur sa stratégie. Emmanuelle Cosse a estimé que cette «opposition de gauche» était une impasse et le parti écologiste n'est pas favorable à l'organisation d'une telle primaire. Quant au PCF, il se dit prudemment «prêt à tout discuter».
Dans ces conditions, Mélenchon prépare d'ores et déjà sa future candidature. «Sans attendre que la cathédrale gothique soit terminée», dit-il avec une belle ironie. L'ancien candidat se sent porté par les enquêtes d'opinion qui le situent actuellement entre 10 et 12% des intentions de vote au premier tour. Il parie que sa force d’entraînement imposera sa candidature aux petits appareils de «l'autre gauche».
La primaire socialiste, le vrai sujet
L'opération «notre primaire» n'est, en réalité, pas pour déplaire à Hollande et à la direction du PS. Cambadélis a d'autant plus facilement accueilli l'idée d'une «primaire de la refondation» ouverte à toute la gauche qu'il la sait irréalisable. Elle permet d'occulter le vrai sujet qui est celui de la primaire que ce parti se doit d'organiser selon ses propres statuts, qu'un des siens soit devenu président de la République ou pas.
L'impossibilité d'une primaire de toute la gauche risque ainsi d'être utilisée pour enterrer l'organisation d'une primaire réservée aux socialistes et à leurs alliés
Le candidat Hollande avait d'ailleurs explicitement affirmé, en 2011, que des primaires auraient lieu avant 2017 s'il était élu président de la République: «C'est un principe désormais inscrit dans le temps et l'espace politique.» Aux États-Unis, pays qui a servi de modèle pour l'importation des primaires dans la vie politique française, les présidents sortants se soumettent sans difficulté à l'exercice des primaires.
Celui-ci est parfois formel, lorsque le président est peu contesté. Il l'est évidemment moins lorsque son bilan n'est pas fameux. C'est encore l'une des raisons qui expliquent l'attitude de Hollande. Sa future candidature n'a, en réalité, rien d'évident. Le chef de l'Etat perd déjà l'essentiel de la popularité acquise lors de la réaction patriotique consécutive aux attentats de novembre. Et la courbe du chômage, sur laquelle il avait lui même indexé une nouvelle candidature de sa part, n'est toujours pas significativement inversée.
L'impossibilité avérée d'une primaire de toute la gauche risque ainsi d'être utilisée par l'Elysée et la rue de Solférino pour enterrer l'organisation d'une primaire réservée aux socialistes et à leurs petits alliés, comme ce fut le cas en 2011. Celle-ci aurait pourtant le plus grand intérêt tant son piètre bilan expose le candidat Hollande à mener son parti à une cuisante défaite en 2017.