Le prix Nobel de médecine 2009 de médecine a été attribué lundi 5 octobre aux Américains Elizabeth Blackburn, Carol Greider et Jack Szostak (1). Il récompense des travaux novateurs, prometteurs autant que troublants et problématiques concernant l'espérance de vie.
Officiellement le trois chercheurs sont distingués «pour avoir résolu un problème majeur de la biologie: comment les chromosomes peuvent être copiés de façon complète lors de la division cellulaire et comment ils sont protégés de la dégradation». Officiellement encore l'Institut Karolinska qui décerne le prestigieux prix ajoute: «Les lauréats du Nobel ont montré que la solution est à chercher aux extrémités des chromosomes: les télomères; et dans l'enzyme qui les forme: la télomérase».
Les «télomères», donc; et la «télomérase». Attention: ces deux termes ne doivent pas ici déclencher des anticorps dirigés contre la suite de la lecture de ce texte. Bien au contraire: ils se situent au croisement de la biologie moderne et des mythes éternels; ils nous disent -et le Nobel le consacre- que la lecture moléculaire du vivant nous rapproche des margelles de la fontaine de Jouvence.
Résumons au plus vite et au plus juste, autant que faire se peut l'apport des travaux distingués par le jury de l'Institut Karolinska. Le maximum du potentiel de la durée de la vie humaine serait de 125 ans. Et le secret des inégalités dans ce domaine (mais aussi celui des perspectives de dépassement) se situe dans nos chromosomes, et plus particulièrement à leurs extrémités. Depuis quelques décennies les spécialistes des sciences du vivant sont ainsi littéralement fascinés par les télomères sur lequel s le Nobel 2009 vient de braquer ses projecteurs planétaires; «télomères» nés - du grec «telos», la fin, et «meros», la partie - et dont tout indique qu'ils constituent la clé de la pérennité de notre organisme.
L'affaire -on le sait et c'est heureux-, ne passionne pas que les hommes et les femmes de science. «Il subsiste quelques humains de l'ancienne race, en particulier dans les régions restées longtemps soumises à l'influence des doctrines religieuses traditionnelles. Leur taux de reproduction, cependant, diminue d'année en année, et leur extinction semble à peu près inéluctable. Contrairement à toutes les prévisions pessimistes, cette extinction se fait dans le calme, malgré quelques actes de violence isolés, dont le nombre va décroissant. On est même surpris de voir avec quelle douceur, quelle résignation, et peut-être quel secret soulagement les humains ont consenti à leur propre disparition.» Ainsi écrivait, quatre ans avant la fin du XXe siècle, Michel Houellebecq dans l'épilogue de son roman «Les Particules élémentaires». L'ouvrage avait alors fait (et continue de faire) grand bruit notamment parce que -formidable provocation- il prophétisait l'avènement conjoint de l'immortalité et de la disparition de l'espèce humaine. Les télomères et la télomérase sont omniprésents dans ce paysage.
Thème rêvé des auteurs de science-fiction, la victoire définitive sur la mort est aujourd'hui bel et bien progressivement entrée dans le champ du rationnel et de la maîtrise non seulement du vivant mais bien de sa durée. Et les travaux fondamentaux sur les mécanismes du vieillissement profitent depuis déjà longtemps de la génétique moléculaire et des entreprises de décryptage des patrimoines héréditaires. Ainsi, loin de se borner à l'identification des changements survenant dans les cellules âgées, le biologiste dispose aujourd'hui de multiples outils qui lui permettent de déterminer quelles régions des chromosomes ou quels fragments du patrimoine héréditaire sont directement impliqués dans ces processus.
Depuis plus d'un demi-siècle les biologistes sont fascinés par une région particulière des chromosomes: leurs extrémités. Dans les années 1930, des biologistes américains et britanniques démontrèrent que ces les télomères étaient indispensables à la stabilité de la structure chromosomique et donc à la survie de l'organisme. Orphelins de leurs télomères les chromosomes semblent brutalement privés de raison: ils fusionnent contre nature, présentent diverses anomalies qui menacent la survie des cellules qui les contiennent et celle de l'individu que ces cellules constituent.
Ce n'est toutefois que dans les années 1970 que l'on commença à déterminer la composition exacte des télomères. Puis plus tard, on identifia la substance (une enzyme, baptisée télomérase) qui assure leur synthèse. On mit aussi alors en lumière un étonnant phénomène: le raccourcissement régulier des extrémités des chromosomes au fil du temps et des divisions cellulaires. Tout se passe, depuis toute éternité comme si ces télomères, séquences monotones et répétitives d'ADN, étaient le siège microscopique d'une forme d'énergie vitale qui, progressivement, de la naissance à la mort, ne ferait que s'épuiser.
Ajoutons, argument supplémentaire que les cellules normales perdent très tôt, au cours du développement, leur possibilité de synthétiser la télomérase tandis que les cellules cancéreuses conservent cette possibilité qui leur confère une capacité infinie de multiplication. En l'absence de thérapeutique efficace, cela condamne paradoxalement à mort l'organisme au sein duquel elles ont acquis une apparence d'immortalité. Et ajoutons encore que c'est en usant de tels mécanismes que l'on parvient, à des fins scientifiques et médicales, à rendre «immortelles» des cellules cultivées in vitro.
Question centrale, réactivée par le Nobel 2009: la modification de ce système permettra-t-elle d'atteindre sinon l'immortalité, du moins de prolonger de manière majeure la durée de l'espérance de la vie humaine mais aussi de trouver de nouvelles thérapeutiques anticancéreuses. De nombreux biologistes imaginent que l'on pourrait bientôt trouver les voies permettant d'atteindre le premier objectif même si télomères et télomérase ne constituent pas l'unique clavier sur lequel on pourrait ici jouer. Différents gènes et la privation chronique de nourriture sont autant de cibles potentielles sur lesquelles on pourrait agir pour mourir beaucoup plus tard que prévu.
Imaginons que l'on puisse demain dépasser cette frontière. Il faudrait alors parvenir à prévenir la somme des effets délétères du temps sur l'ensemble des tissus de l'organisme, qu'il s'agisse des os, des articulations, du système hormonal, des fonctions sensorielles et, au premier chef, du système nerveux central. La tâche est sans doute encore ardue; pour autant, comme nous le suggère le Nobel de médecine 2009, elle semble être de moins en moins irréelle.
Jean-Yves Nau
(1) Elizabeth Blackburn, qui détient la double nationalité américaine et australienne, est née en 1948. Elle enseigne depuis 1990 à l'Université de Californie, à San Francisco. Carol Greider est née en 1961. Elle travaille au département de biologie moléculaire et de génétique à la Johns Hopkins
University School of Medicine de Baltimore depuis 1997. Jack Szostak, né en 1952 à Londres mais de nationalité américaine, travaille depuis 1979 à la Harvard Medical School et enseigne la génétique au Massachusetts General Hospital de Boston.
Image de Une: Doucle hélice d'ADN National Human Genome Research Institute Flickr