Derrière les mastodontes Vice Versa (Disney/Pixar), Hôtel Transylvanie 2 (Sony) ou Les Minions (Universal), trois longs métrages d’animation qui ont cartonné en salle cette année, réunissant à eux trois plus de 12 millions de spectateurs, existe une galaxie de films pour enfants. Collages, figurines en stop-motion, dessins, tous les supports possibles et imaginables sont explorés, affranchissant les plus jeunes des représentations univoques et stéréotypées des grands studios. Petit voyage au cœur de cette animation trop méconnue du grand public, de la Pologne au Japon, de l’Uruguay à la Russie en passant par la France.
De la neige
Noël oblige, la neige joue un rôle important dans l’imaginaire des enfants, quand bien même elle se raréfie dans nos contrées. Corollaire du vieux monsieur barbu, terrain des jeux hivernaux, la neige inspire encore cette année de nombreux films. Dans L’Hiver féérique, sept courts métrages revisitent les contes qui entourent ce phénomène climatique quasi magique pour les têtes blondes. Un pêcheur qui récupère opportunément une étoile avant que sa mère la Lune vienne la délivrer ou une famille de lapins pistée par un loup affamé dans la toundra et qui rivalise d’ingéniosité pour semer le prédateur, telles sont deux des histoires contées dans L’Hiver féerique, qui porte parfaitement son nom tant la créativité plastique et la poésie des univers sont probantes.
Moins homogène mais traversé de moments de grâce, Neige et les arbres magiques invite des Inuits dans une ville assiégée par une formidable tempête de neige ou suit le parcours d’un arbre bien décidé à s’amuser et à voyager. Encore une fois, la multiplication des techniques d’animation démontre que le cinéma pour enfants n’est pas cantonné à une gémellité visuelle, que l’imagination des créateurs peut sans mal se transmettre aux plus jeunes, stimulant leur propre imaginaire, leur faisant découvrir que le monde peut être vu par de nombreux prismes et que le «bricolage» n’a rien à envier aux techniques modernes de modélisation.
Des animaux
Le cinéma pour enfants n’est pas cantonné à une gémellité visuelle: le «bricolage» n’a rien à envier aux techniques modernes de modélisation
Les vampires et les émotions n’ont qu’à bien se tenir car les personnages qui trustent incontestablement l’animation sont et demeurent les animaux. Disney l’avait bien compris: une bestiole qui parle et interagit avec un humain fascine d’emblée les enfants. Si cette recette vaut pour la firme aux grandes oreilles, elle nourrit le cinéma pour enfants aux quatre coins du monde et depuis des décennies. Zdenek Miler, le père de Taupek, la petite taupe tchèque des années 1960 a, cette année, eu les honneurs d’une ressortie d’un autre bijou de son cru: Sametka, la chenille qui danse. Dans ce double programme, on suit le retour au pays du lion Boniface, en vacances de son cirque, ou l’ascension fulgurante de Sametka, une chenille dansante véritable star internationale. Par l’entremise d’un dessin naïf, mais d’une profondeur inattendue, les deux dessins animés se passent de parole, universellement compréhensibles.
Outre un lion et une chenille, l’année 2015 a charrié sur les écrans des souris, des grenouilles et des crocodiles (Le Petit Monde de Leo), des lapins (Les Nouvelles Aventures de Gros-Pois et Petit-Point) et des renards (Les Fables de Mr Renard, florilège d’histoires de goupils aussi bien européennes qu’asiatiques). Parmi ce déferlement animalier, Lili Pom et le voleur d’arbres (florilège franco-iranien) adjoint à son bestiaire une sensibilisation aux thématiques écologiques (la déforestation, la pollution des océans), n’oubliant pas que les futurs citoyens du monde ne seront que plus respectueux de la nature si l’écologie leur paraît couler de source depuis leur plus tendre enfance.
Si Petites casseroles et Les Animaux farfelus piochent eux aussi leurs héros parmi le règne animal (chien, lapins, poules…), les deux programmes font montre d’une incroyable originalité. Dans Les Animaux farfelus, le challenge plastique de chaque court métrage est remporté haut la main. 5,80 mètres, qui ouvre le film (la piscine parisienne des Halles comme vous ne l’avez jamais vue), et Le Lapin et le Cerf, une histoire de 2 et 3D, rivalisent d’ingéniosité, de drôlerie et de poésie. Et que dire de La Petite casserole d’Anatole, qui suit le quotidien difficile d’un jeune personnage qui traîne une casserole au pied, risée de ses camarades jusqu’à ce qu’il entrevoie les possibilités que lui offre cet handicap? En usant de l’animal comme d’un véhicule réflexif, aussi bien sur le monde que sur soi, l’animation prouve son utilité pédagogique et son incroyable vivacité créative.
En usant de l’animal comme d’un véhicule réflexif, aussi bien sur le monde que sur soi, l’animation prouve son utilité pédagogique et son incroyable vivacité créative
Et des aventures
Un panorama des films pour enfants ne serait pas complet si l’on oubliait une dimension très prisée des plus jeunes: l’aventure. Celle de Tom Pouce, revisitée dans le programme Le Voyage de Tom Pouce, ou celle plus imaginaire de l’auteur de Tom Sawyer dans Les Aventures de Mark Twain, long métrage réalisé par Will Vinton (le ponte de la claymation), invitent à des voyages extraordinaires, peuplés de créatures fantastiques, rythmés par des rebondissements inattendus, ingrédients immersifs pour le jeune public. On retrouve cette appétence dans Minopolska (sorti en 2014) et Minopolska 2 (sorti en 2015), deux programmes qui mettent à l’honneur l’animation polonaise des années 1960. Dans Le Chapiteau sous les étoiles (1954), des figurines animées entreprennent un voyage lunaire, tandis que Le Petit western (1960), dessins peints à même la pellicule, rejoue les grandes heures du Far West et des chercheurs d’or. Malgré leur grand âge, ces propositions demeurent d’une malice et d’une maestria de réalisation bluffantes, prouvant l’influence de l’animation polonaise (et plus largement des pays de l’Est durant la Guerre froide) dans le monde du dessin animé.
Mais comme la petite histoire peut servir à illustrer la grande, les petites aventures du quotidien ont souvent en leur sein tous les éléments constitutifs des grandes épopées propres à faire rêver les enfants. Anina, long métrage colombo-uruguayen narrant l’étrange punition scolaire d’une petite fille au nom palindromique, tisse un récit à hauteur d’enfant dans lequel chaque petit écolier se projette, où chaque recoin, chaque situation lui rappelle sa vie personnelle. Faire de l’immense avec du minuscule est aussi l’ambition du Château de sable, programme qui se clôt par le chantier mirifique d’un palais de sable, édification complexe et éphémère si familière aux bambins.
Ainsi, si les histoires de dinosaure de Pixar ou les complaintes de La Reine des neiges semblent faire une OPA sur l’imaginaire des petits, une créativité débordante, insolite, singulière et poétique se cache dans leur sillage. Au diapason du cinéma pour adultes, les blockbusters de l’animation squattent les salles obscures mais des indépendants, plus intimistes et pas moins intéressants existent, proposant une alternative réjouissante. Vous savez ce qu’il vous reste à voir.
À partir de 3 ans: L’Hiver féerique, Sametka, la chenille qui danse, Le Petit Monde de Leo, Les Fables de Mr Renard, Petites Casseroles, Les Animaux farfelus, Minopolska 1 et 2.
À partir de 4 ans: Neige et les arbres magiques, Les Nouvelles Aventures de Gros-Pois et Petit-Point, Lili Pom et le voleur d’arbre, Le Voyage de Tom Pouce, Le Château de sable.
À partir de 5 ans: Les Aventures de Mark Twain, Anina.