Beaucoup d’entre vous n’ont sûrement jamais goûté le chocolat Mast Brothers. Il est vendu à Paris au Bon Marché et dans quelques concept-stores branchouilles. La tablette vaut un peu moins de 10 euros...
Cette marque, dont l’une des principales usines est dans le quartier en vue de Williamsburg à Brooklyn, s’est lancée en 2007. Avec ses fondateurs trentenaires barbus, leurs tablettes de chocolat n’allaient pas tarder à devenir l’objet de convoitises des jeunes hipster new-yorkais. Il faut dire que les emballages sont très propices aux belles photos (idéalement publiées sur Instagram).
Mais quel est le scandale? Que des hipsters achètent du chocolat trop cher parce que l’emballage est beau? Non. Tout commence avec une enquête en quatre parties publiée en décembre sur Dallasfood.org –un site qui avait déjà démonté le processus de fabrication d’une autre marque de chocolat (à raison) en 2006. Scott Craig, le blogueur derrière DallasFood.org, qui a l’air d’accorder beaucoup d’attention au fait de manger du chocolat de qualité, argumente aujourd’hui que les frères Mast ont commencé en 2007 en faisant fondre du chocolat industriel. Pour mieux le vendre dans de beaux papiers, et contre leur promesse d’un chocolat artisanal.
Chocolat de couverture
La marque de fabrique des frères Mast, du moins ce qu’ils défendent, c’est de produire le chocolat directement depuis le cacao dans leur usine. En 2008, le magazine Time les décrit comme les seuls à New York à faire du chocolat à partir des fèves de cacao. La plupart des chocolatiers utilisant ce que l’on appelle un «chocolat de couverture» –souvent des pastilles de chocolat, qu’ils font fondre et mêlent selon leurs goûts à des ganaches–, qui leur évite d’avoir à transformer le cacao.
Le scandale, ce n’est pas que des hipsters achètent du chocolat trop cher parce que l’emballage est beau
Sur leur site internet, voilà comment les frères Mast décrivent leur démarche: «Fondé par les novateurs Rick et Michael Mast en 2007, Mast Brothers veut faire découvrir au monde un chocolat qui résulte à la fois d’une attention minutieuse au détail, d’un savoir-faire méticuleux, d’une innovation avant-gardiste et d’une simplicité inspirante.» Rien que ça.
Or les informations avancées par DallasFood.org remettent complètement en cause cet esprit et cette belle politique puisque le «savoir-faire» des Mast Brothers n’est pas celui qu’ils prétendent avoir. L’enquête du site se base sur les tests répétés de goûteurs de chocolat reconnus aux États-Unis, qui affirment que certains des chocolats Mast qu’ils ont mangés avant 2009 ne pouvaient en aucun cas être des chocolats fabriqués directement depuis des fèves de cacao. Dans la quatrième partie de l’enquête, on apprend que les frères Mast ont admis en privé qu’ils avaient employé du «chocolat de couverture» à leurs débuts. Quartz a ensuite vérifié ces informations et confirmé que du chocolat Valrhona avait été utilisé.
Écran de fumée de l’authenticité
Mais pourquoi la presse américaine en a-t-elle autant parlé? Les Américains sont-ils à ce point amateurs de chocolat?
Le problème n’est pas tant le chocolat que les clients qui ont dépensé une somme substantielle pensant acheter un produit de qualité et qui se sont fait avoir. Le problème, c’est que le marketing a fait vendre un chocolat pas meilleur que ceux vendus en supermarchés jusqu’en 2009. Et que personne n’a senti la différence ensuite. Que le consommateur s’est laissé tromper par l’écran de fumée de l’authenticité, du local et d’emballages chiadés. Et si, aujourd’hui, autant d’articles sont publiés et que certains parlent de «scandale», cela en dit plus sur la société de consommation que sur la fabrication du chocolat aujourd’hui.
Ils sont passés aux yeux de tous de convoyeurs modestes d’authenticité (louable) à d’affreux vendeurs de produits marketés (déplorable)
Helen Rosner, journaliste du site américain Eater
Une journaliste du site américain Eater résume parfaitement ce que dit cette large couverture à propos de révélations sur un processus de fabrication de chocolat:
«Ce que le plaisir que nous retirons à observer leur chute révèle avant tout, c’est que, en tant que société consommatrice, nous nous mentons sur notre condition même de société consommatrice.»
Elle continue sur les frères Mast:
«Ils sont passés aux yeux de tous de convoyeurs modestes d’authenticité (louable) à d’affreux vendeurs de produits marketés (déplorable).»
Une journaliste du Guardian aux États-Unis admet encore sur Twitter: «Les révélations sur Mast Brothers ne font que renforcer mon autosatisfaction à détester leur chocolat. Cette histoire est la version hipster d’un serpent qui se mord la queue.»
The exposés of the Mast Brothers only make me more self-satisfied about hating their chocolate. The story is a hipster ourobouros.
— Michelle Dean (@michelledean) 20 Décembre 2015
Il n’y aurait ainsi pas de «scandale» si les consommateurs ne se doutaient pas déjà que les marques augmentent les prix grâce au packaging et à des arguments de vente un peu trop beaux pour être vrais. Et s’ils ne sentaient pas coupables de savoir que l’histoire était fausse. Les fans de la première heure sont obligés de s’avouer qu’ils se sont fait avoir, qu’ils ont marché face à un marketing ciblé –le chocolat vendu comme produit de luxe et branché. Et que Mast Brothers a réussi sur un mensonge.
En attendant, l’entreprise continue de grandir: des boutiques ont été ouvertes à Londres (le jour de la Saint-Valentin en 2015), Tokyo et une nouvelle est prévue à Los Angeles pour le printemps 2016.