Chicago pensait frapper un grand coup. Vendredi 2 octobre, à Copenhague, le Comité international Olympique (CIO) a reçu le président Obama, qui s'est déplacé spécialement pour défendre la candidature de la ville pour les Jeux olympiques d'été de 2016. Il était aux côté de son épouse, Michelle, d'Oprah Winfrey et du maire de Chicago, Richard Daley. Mais rien n'y a fait, la ville d'adoption du président américain n'a même pas passé le premier tour de vote. Une défaite consternante alors que Chicago était une des deux grandes favorites.
Dans la «Windy City» (ville venteuse), comme on l'appelle, tout le monde n'est pas déçu de cette élimination. Malgré plus de 50 réunions de quartier et une campagne de promotion de plusieurs millions de dollars visant à convaincre les habitants grâce à un matraquage publicitaire, la stratégie de la ville en vue des J.O. 2016 a commencé à perdre la faveur du des Chicagoans à mesure que l'annonce du CIO approchait. Selon un récent sondage Chicago Tribune/WGN, 47% des habitants soutenaient la candidature de Chicago; ils étaient 61% en février.
Intellos
Les opposants les plus visibles à la candidature de Chicago s'époumonent depuis plusieurs années à dire que les Jeux olympiques accableraient la municipalité de besogne, engendreraient de la corruption politique et achèveraient d'appauvrir une ville dont les caisses sont déjà vides. Face à eux, les défenseurs de la candidature de la ville ont affirmé que les J.O. d'été rehausseraient le statut de la ville, créeraient des emplois et redonneraient le moral aux habitants. En fait, le débat ne consistait pas en un désaccord honnête sur ce qui serait le mieux pour Chicago. Les arguments présentés laissent transparaître un conflit plus fondamental qui oppose, depuis toujours, les amoureux du sport et les intellos.
Pendant deux ans, des intellos bornés comme Ben Joravsky, qui travaille au Chicago Reader, et Tom Tresser, un bénévole du mouvement No Games Chicago, ont dénoncé la candidature de la ville. Ils estiment que sa stratégie est mal pensée et génératrice de gaspillage. Ces piliers de l'opposition acharnée à la candidature de Chicago ont avancé des arguments multiples: chiffres, règles et précédents historiques, et ont fait preuve d'un inlassable scepticisme dans l'espoir de dissuader un maximum de monde.
Joravsky, Tresser et consorts ont notamment fait valoir que, ces dernières années, Chicago n'avait pas réussi à finaliser un projet de construction dans les délais et dans le respect des budgets. Selon eux, on ne pouvait donc pas prendre au sérieux le coût prévisionnel de 3,3 milliards de dollars [2,2 milliards d'euros]. Par ailleurs, la situation financière chaotique de la ville était un obstacle de plus. Le déficit budgétaire de Chicago, qui était de 200 millions de dollars [140 millions d'euros] il y a six mois devrait atteindre les 500 millions de dollars [340 millions d'euros] l'année prochaine. La ville a en outre licencié de nombreux salariés et forcé des employés municipaux à prendre des congés sans solde. Le fiasco lié à la récente affaire des parcmètres (Chicago a vendu ses parcmètres à une société privée pour 974 millions de dollars [667 millions d'euros] de moins que sa valeur estimée) montre bien que la seconde ville des Etats-Unis est incapable de gérer un projet d'envergure, comme l'organisation des Jeux olympiques.
Recettes
Les anti-J.O. ont aussi mis en avant que l'événement ne rapporterait pas du tout les sommes mentionnées par ceux qui désiraient accueillir les J.O. 2016. Selon l'étude d'une société de conseils indépendante, les recettes provenant des Jeux olympiques auraient été de l'ordre de 4,4 milliards de dollars [3 milliards d'euros] en matière d'avantages économiques pour la région, soit beaucoup moins que les 22 milliards de dollars [15 milliards d'euros] constamment évoqués par le maire de la ville, Richard Daley. Ce dernier et le comité de candidature «Chicago 2016» avaient également promis aux contribuables chicagoans qu'ils n'auraient pas à supporter les dépassements de budget. Pourtant, au mois de juin, lors d'un déplacement en Suisse pour soutenir la candidature de sa ville devant le CIO, Daley a accepté de signer un contrat garantissant que la ville prendrait en charge toute perte engendrée par les J.O.
Selon ce récent sondage Chicago Tribune/WGN, 84 % des Chicagoans ne sont pas favorables à l'utilisation de fonds publics pour les Jeux olympiques. Et pourtant, près de 50 % des habitants de la ville voulaient que les Jeux se déroulent dans le Midwest. Tous ces gens en faveur des J.O. à Chicago avaient été convaincus par le comité de candidature «Chicago 2016», un groupe piloté par le PDG d'Aon Corporation et l'un des propriétaires des Chicago Bears, Pat Ryan. Ces passionnés de sport ont délivré un message plus simple que celui de leurs contradicteurs: les Jeux olympiques de 2016 représentent une occasion unique de montrer au monde entier à quel point Chicago est une ville fantastique. Pour eux, ces J.O. d'été allaient stimuler le tourisme et faire grandir la stature internationale de la ville.
Emotion
Bien que le comité de candidature «Chicago 2016» ait élaboré pour le CIO un plan détaillé avec toute la logistique derrière le financement et l'organisation des J.O., son message aux Chicagoans mettait l'accent sur le côté émotionnel. Un article récent du Huffington Post signé du président du comité de candidature Pat Ryan ne comporte aucun chiffre. Au lieu d'expliquer le plan financier du comité de candidature, Ryan s'est contenté de le qualifier de «solide» et a prié les lecteurs de ne pas s'acoquiner avec les pessimistes, qui ont peur de relever le défi de l'organisation d'un événement de cette ampleur. Au fond, son message voulait dire: «Les intellos, taisez-vous. Les Jeux olympiques vont être extraordinaires!»
Les concepts difficiles à discréditer, tels que «la scène internationale» ou la «réputation mondiale» d'une ville, parlent à une grande partie du public. En même temps, ils irritent beaucoup les intellos pessimistes, car ils ne disposent d'aucun élément chiffré à contester. Difficile ne pas en conclure que les deux camps tiennent chacun des discours qui trouvent un écho auprès de leur propre public. Ils ne parlent pas le même langage.
D'ailleurs, ce conflit entre les amoureux du sport et les intellos férus de chiffres se manifeste à chaque fois qu'une équipe de sport professionnelle menace de quitter une ville si les contribuables ne financent pas la construction d'un nouveau stade. Les opposants à ce genre de projets sont généralement des types se réclamant d'un bon gouvernement, qui soutiennent que l'impact économique annoncé est tout à fait exagéré (et pensent que cet argent serait plus utile s'il était consacré à l'éducation). Les partisans du projet jouent la carte de la fierté de la ville et assurent que l'équipe locale adorée souhaite vraiment rester dans la ville. Et, en général, on finit par construire le stade (mais ce n'est pas toujours le cas).
Qui aux Etats-Unis a le pouvoir et la bonne foi pour mettre un terme à cette perpétuelle guéguerre entre les optimistes et les pisse-vinaigres. S'il y a une personne capable de le faire, c'est bien le président Obama. Avec sa passion des bandes dessinées et ses prouesses sur un terrain basket, il sait parler à la fois «intello renfrogné» et «sportif ouvert». Et comme il a accepté in extremis de partir à Copenhague pour tenter de faire venir les J.O. à Chicago, il s'est placé au cœur de ces querelles locales.
Finalement, même «la plus grande célébrité du monde» n'a pas réussi à convaincre le CIO. Maintenant, il va pouvoir s'atteler à des dossiers finalement peut-être moins complexes (la réforme du système de santé, l'Afghanistan) que ces éternelles disputes.
Brad Flora
Traduit par Micha Cziffra
Image de Une: Chicago, Phil Romans, Flickr, CC