Chaque fin d'année en Allemagne, le soir du réveillon, il règne une ambiance digne d'une guerre civile dans les grandes villes. C'est la tradition: entre le 31 décembre et le 1er janvier, les habitants ont exceptionnellement le droit de tirer des «produits d'artifice de catégorie II» (comprenez: pétards, feux d'artifice, fusées éclairantes...) depuis leur balcon ou dans la rue et sur les places publiques –à condition d'éviter les hôpitaux, les maisons de retraites et les églises.
Pour les fêtards, les enfants et les touristes, le spectacle est merveilleux. Si vous voulez vous faire une idée précise de ce à quoi ressemble un réveillon à Berlin, regardez cette vidéo hallucinante tournée l'année dernière à bord d'une voiture circulant durant vingt minutes dans les quartiers de Friedrichshain, Kreuzberg et Neukölln –de préférence à partir de 4'30'', quand la musique s'arrête. Mais pour les personnes âgées, les malades, les personnes qui aiment le calme et les animaux –en gardant l'exemple de Berlin, à chaque réveillon, les cygnes qui vivent sur le Landwehrkanal forment une file indienne affolée à l'itinéraire erratique, rebroussant chemin à chaque explosion en y perdant des plumes; et les Berlinois qui témoignent de la peur panique qui s'empare de leurs animaux de compagnie sont légion, de même que ceux qui, quand ils peuvent se le permettre, quittent tout simplement la ville durant quelques jours pour éviter ce joyeux mais violent chaos de pétarades et de lumières...
Des cas de blessures
Rien que l'an dernier, les Allemands ont dépensé 124 millions d'euros d'explosifs, rapporte l'hebdomadaire Die Zeit. Il n'est pas rare d'économiser toute l'année en vue des festivités. Cette tradition est si ancrée dans la culture allemande qu'elle semble indéboulonnable:
«Près d'une personne sur quatre a déjà été concernée par une blessure causée par un pétard, selon les résultats d'un sondage mené en 2014, mais 53% des personnes interrogées étaient contre une interdiction, une petite majorité.»
Aux Pays-Bas, dont les habitants ont eux aussi pour coutume d'illuminer leur ciel pour célébrer la nouvelle année, 56 des 281 communes que compte le pays ont d'ores et déjà interdit les pétards cette année. Die Zeit commente:
«Ainsi ils protègent les zoos, les jardins d'enfants, les maisons de retraite, les hôpitaux, mais aussi les zones réservées aux piétons.»
Trop bruyants, trop chers
Suivant cet exemple, deux responsables politiques berlinois ont décidé de s'attaquer à ce pilier des traditions festives allemandes. Le député écologiste au Bundestag Hans-Christian Ströbele et le député du Parlement de Berlin Christopher Lauer, transfuge du Parti pirate allemand. Le premier réclame l'interdiction des pétards trop bruyants, avec pour argument que ceux-ci, quelques semaines à peine après les attentats qui ont frappé Paris, pourraient semer la panique parmi la population, le son qu'ils produisent évoquant celui d'une fusillade. Comme Hans-Christian Ströbele l'expliquait récemment à l'hebdomadaire Der Spiegel:
«Les gens ne peuvent pas savoir de quoi il s'agit, ce qui explose d'une façon si effrayante.»
Christopher Lauer dégaine lui un tout autre argument: il estime que les taxes sur les pétards ne sont pas assez élevées, rapportées aux coûts que représentent les interventions des urgentistes et ceux de «l'assurance maladie, qui doit financer une main déchiquetée.»
Consignes de sécurité
En France, on ne retrouve cette tradition pratiquement qu'en Alsace et en Lorraine, un héritage de la présence allemande dans la région. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la ville de Strasbourg possède l'une des meilleurs établissements français spécialisés dans la chirurgie de la main, le Centre de Chirurgie Orthopédique et de la Main (CCOM). Sur son site, la maire de Strasbourg rappelle quelques règles de sécurité de base pour éviter les accidents:
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Ne manipuler que les pétards autorisés et répondant aux normes de sécurité européenne et/ou française (vérifiez que les emballages portent les mentions CE ou NF),
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Faire exploser les pétards le plus loin possible des personnes et des biens,
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Ne jamais garder en main un pétard allumé,
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Ne jamais rallumer un pétard qui n'a pas explosé.
Ailleurs en France, c'est le silence total. Il y a quelques années, l'émission Karambolage, diffusée sur Arte, relatait l'anecdote cocasse de touristes allemands à la recherche du meilleur endroit à Paris pour contempler les feux d'artifice:
«Un ami allemand m'a raconté qu'une année, il s’était rendu à Paris avec des amis pour y fêter la Saint-Sylvestre. Le 31 décembre, ils se sont mis en quête d'un endroit d'où ils pourraient bien voir le feu d'artifice. Un peu avant minuit, ils sont montés tout en haut de la butte Montmartre, jusqu'au Sacré Coeur. Et là, rien, pas la moindre fusée. En revanche, il y avait là tous les autres touristes allemands, eux aussi en quête de la belle bleue…»