Culture

Le disque de l'année est signé Kendrick Lamar (mais c'est plus compliqué)

Temps de lecture : 7 min

Si l’actu musicale va trop vite pour vous, rendez-vous toutes les deux semaines dans la rubrique «Dans ton casque». Actu, vieilleries, révélations ou underground: vous serez nourris en trois minutes, durée d’une bonne pop song. Pour le dernier numéro de 2015, nous avons exploré tous les tops de fin d’année, ressorti un trésor des cartons, déniché une playlist de trente heures et remonté le temps jusqu’aux années 1980. Assez pour terminer l’année ensevelis par le bon son.

Kendrick Lamar, le 3 juillet 2015 I . REUTERS/Simon Laessoee/Scanpix Denmark
Kendrick Lamar, le 3 juillet 2015 I . REUTERS/Simon Laessoee/Scanpix Denmark

1.Le buzzEt le meilleur disque pop de l’année est…

Agaçant mais incontournable. Insensé mais attendu. Le jeu du classement des albums de fin d’année est presque aussi vieux que la presse musicale, mais il se porte à merveille. En rendant la musique plus accessible que jamais, internet aurait pu mettre fin à cette habitude fatigante. Personne ne peut tout écouter ou prétendre posséder le bagage suffisant pour hiérarchiser artificiellement une masse plus vaste que jamais de propositions artistiques. La Toile n’a fait qu’amplifier le phénomène en multipliant le nombre d’émetteurs de ces «Tops». Voilà que des listes de 50 ou 100 must listen ordonnées comme à l'époque du Top 50 nous parviennent-elles quasi quotidiennement depuis le début du mois.

Cette année, ils ont délivré la médaille du bon goût à To Pimp A Butterly du rappeur Kendrick Lamar. Il devance From Kinshasa de Mbongwana Star, Carrie & Lowell de Sufjan Stevens, No Cities to love de Sleater-Linney et I love you Honeybear de Father John Misty.

En réalité, aucune rédaction n’a promu ce quinté dans cet ordre. Mais grâce à la magie des algorithmes utilisés sur le site albumoftheyear.org, les pouces levés par des dizaines de médias anglo-saxons fusionnent pour ne faire qu’une liste unique: la synthèse ultime de 2015 scientifiquement échantillonné. Pitchfork, la Pravda de la musique cool, fit à son tour allégeance cette semaine après Spin, BillBoard, Entertainment weekly, Rolling Stone et quelques autres.

Kendrick Lamar mérite probablement cet égard même si, vu de France, son impact n’est pas comparable aux quelques hystéries collectives à l'échelle internationales que le passé a pu connaître avec Björk ou Radiohead dans les années 1990, Arcade Fire ou Sufjan Stevens dans les années 2000. L’artiste de Compton, en Californie, a au moins l’immense mérite de marier réussite commerciale éblouissante et reconnaissance critique quasi unanime. Sa musique porte en elle un propos sur «l'accablante négritude» comme fait social persistant dans l'Amérique du XXIe siècle (Slate en a parlé ici et ici). Elle a l'architecture des grands disques de l'histoire de la musique populaire: complexe, sans single évident, au croisement de multiples tensions, avec ce goût de «reviens-y" sans lequel il n'y a pas de «disque de l'année» possible.

Le fan le plus connu de Kendrick Lamar s’appelle Barack Obama. Que l’artiste et quelque potes aient posé devant la Maison blanche pour la pochette du disque n’entre, visiblement, pas en ligne de compte. Ce qui fait autorité, c’est le son. «How much a dollar cost», le morceau préféré du President, porte certes un message politique subliminal. Il incarne surtout l’équilibre entre hip-hop, R&b et jazz qui fait émerger sa musique comme l’une des plus inventives du moment.


En France, Les Inrocks et Magic ont coup sur coup délivré leur verdict. Les premiers misent gros sur Tobias Jesso Jr, un garçon attachant mais dont le travail nous inspire plus de scepticisme. Magic! s’en remet à The Apartments, accueilli plus chaleureusement dans ces pages. Le groupe de Peter Milton Walsh fait partie, avec Julia Holter, Tame Impala, Sufjan Stevens et Father John Misty des noms qui émergent dans les Tops de chaque côté de l’Atlantique et de la Manche. On va les réécouter pour être sûr. C’est à ce petit plaisir, beaucoup moins pompeux, que servent probablement les tops de fin d’année.

2.Le coup de pouceSeabuckthorn


Il faut sauver des eaux l’album They Hanted most thickly. Ce disque de l’artiste Seabuckthorn, paru en milieu d’année, ne ressemble à rien de ce que vous connaissez. Les premiers albums de Colleen sont probablement ce qui s’en rapproche le plus, et il a fallu bien chercher pour trouver une comparaison valable.


La notion de folk panoramique a été citée un jour dans un chronique. Il n’a pas été possible de remonter à la source de cette tentative de définition, mais elle correspond à quelque chose de juste. Sous le nom de Seabuckthorn, l’artiste anglais Andy Cartwright débite une musique sans parole, portée par des guitares à 6 ou 12 cordes qui déversent une pluie de notes, d’harmoniques, de résonances et de tapis de cordes. Ce sont des berceuses pour endormir les grands ; mais les berceuses d'une époque tourmentée.

L’album est disponible en ligne sur Bandcamp, pour une somme inférieure à 7 euros. Un vinyle est possible, même si sa livraison est sans cesse reportée, conséquence directe de la grosse tension qui s’exerce sur les presses du monde entier. La gravure est enfin annoncée pour janvier 2016. Tant mieux, finalement. On pourra mettre Seabuckthorn dans deux tops de fin d’année.

3.Un lien2015 en musique par la NPR


Si vous n’avez jamais eu peur de l’indigestion lors des agapes de fin d’anée, NPR a construit la page qu’il vous faut. NPR, c’est la radio publique américaine. «Songs we love 2015» sera votre premier festin.

La page rassemble une trentaine d’heures de musique sous la forme de onze playlists stylistiques ou thématiques. À ce stade, nous n’en avons pas fait le tour. Mais nous en avons assez pour vous recommander de vous y abandonner corps et âme. Si nous prenons, au hasard, la liste «rock», un enchaînement merveilleux dessine le meilleur patchwork musical de l'année, sans le moindre temps faible ou le début de concession à la paresse.

On y retrouve des noms connus (Blur, Tame Impala, Wilco, Björk) mais ceux-ci sont noyés dans une masse de groupes à la notoriété quasi nulle en Europe et dont l’anonymat nous semble, dès la première écoute, particulièrement injustifiable. Parmi eux, Palehound Molly, All Dogs, Gun Outfit ou Makthaverskan. Afin d'éviter le name dropping sans relief qui nous tend les bras, voici deux noms qui nous ont sidéré pour des raison très différentes. Circuit Des Yeux est un groupe dont la musique est construite autour de samples de musique laotienne, ce qui ne l’empêche pas d’émerger avec un son très contemporain.


The Prettiots est un girl band beaucoup plus pop: une blonde, une brune, une rousse, des guitares et la fraîcheur des années lycée. L’album Funs Cool, prévu pour février, a visiblement plus qu’une petite culotte à proposer à notre curiosité - la pochette est immanquable et pourrait faire hurler les féministes. «Boys (That I date in my school)», l'un des trois singles parus cette année, est un délice de pop insouciante. Dans la playlist de la NPR, les chroniques en une phrase des journalistes sont une autre forme de régal. Celui de Kate Drozynski sur Boys est un modèle du genre: «Intelligente, honnête, drôle et bien monté –ce morceau possède tout ce que mon mec des années lycées n’avait pas.» The Prettiots feront aussi hurler quelques machos.

4.Un vinyleCâblé, France Chébran, French Boggie 1980-1985


En tennis ça s’appelle un Grand Chelem. Nous avions aimé Des Jeunes gens modernes, nous avons adoré Wizz, nous avons promu Mobilisation générale, nous ne pouvions pas finir l’année sans évoquer « France Chébran, French Boggie 1980-1985 », dernier né des entreprises défricheuses de Born Bad Record, le label des musiques françaises pas comme les autres.


Sur la pochette, un comic de François Mitterrand précise, en clin d’oeil à une vieille interview avec Yves Mourousi d’avril 1985: «Vous auriez dû dire câblé». C’est toujours le même principe : Born Bad est allé ressusciter les groupes que les radios, les tops 50, les grosse maisons de disque voire le public avaient oublié de chérir en dépit du bon sens.

Le French boogie est un genre récréatif, conçu pour flamber en boîte au coeur des années Tapie et Gym Tonic. Les sons sont synthétiques, les basses en font des tonnes, les thèmes sont très légers et les costumes probablement fluo. Pour ces raisons, l’ensemble est moins attachant que les disques cités en ouverture, malgré l’existence d’authentiques documents comme «À mon âge, déjà fatigué» de Pierre Édouard, premier morceau rappé en français et sommet du disque. Il faut aussi tendre l’oreille pour trouver plus de dureté: «La Fourmi» de Bianca relate un viol et son déni («Pour une fois qu’il se passe quelque chose dans ma vie, je suis en plein milieu»).

Les notes de pochette, très documentées comme d’habitude, font partie de la malle au trésor. Le package contient deux vinyles et –chose rare chez Born Bad– enfin, un lien de téléchargement. On y apprend que des noms comme Alain Chabat, François Feldman, Stéphane Collaro ou Phil Barney ont fait partie de ce courant exempt de tubes véritables en de hors de «Chacun fait ce qui lui plaît» de Chagrin d’amour ou «Vacances j’oublie tout», d’Elégance, absents de la compilation.

5.Un cop-col«Des mots qui vont très bien ensemble»

Paul McCartney, sur la sensation d’être deux:

«Pour être honnête, je n’ai pas du tout envie d’être une légende vivante. J’ai commencé ce métier pou éviter d’en avoir un vrai. Et pour séduire les filles. Au final, j’en ai séduit plus d’une, et j’ai échappé au boulot, et voilà où j’en suis encore aujourd’hui. Et puis c’est devenu un boulot, un boulot sacrément difficile, vu la façon dont je le fais, diriger une entreprise et ce genre de choses, mais j’adore ça, c’est tout ce que je peux dire. Si les gens me prennent pour un mégalomane, s’ils me trouvent pingre, je ne vois pas ce que je peux y faire. Je dis juste que moi, je sais qui je suis.»

Paul McCartney à Paul du Noyer, dans l’ouvrage à deux mains passionnant qui vient de paraître aux Editions BakerStreet

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