Économie

Le lait «citoyen», une fausse bonne idée

Temps de lecture : 2 min

Censé défendre les producteurs français contre les importations, le nouveau label laitier « produit en France » n'aura qu'un impact limité.

En appelant à «la grève du lait», l'APLI (Association des producteurs laitiers indépendants) avait réalisé un joli coup. Sous la pression des médias et d'une opinion choquée par ces milliers de litres de lait déversé dans la nature, un conseil exceptionnel des ministres européens de l'agriculture a été organisé lundi 5 octobre pour tenter de trouver des solutions à l'effondrement des cours. Sans surprise, il n'en est rien sorti.

Une solution, la Fédération nationale des producteurs laitiers, une branche de la FNSEA, croit en avoir présenté une à la mi-septembre avec un label «Eleveurs laitiers de France». Ce logo garantit un aliment «produit, collecté et transformé en France». Orlait, une filiale du groupe Sodiaal spécialisée dans le lait «premier prix», est le premier industriel à l'adopter. On devrait donc commencer à voir ce label s'inscrire sur les briques UHT les moins chères dans certaines grandes surfaces. C'est en effet le lait à bas prix (un tiers du lait consommé en France) qui est le plus touché par les importations, en majorité venues d'Allemagne. Un pays où le prix est inférieur de 15% à celui pratiqué en France.

A priori, jouer sur la fibre nationale du consommateur n'est pas stupide, surtout sur le créneau du lait basique où tous les produits se ressemblent. A prix égal, on peut imaginer que les ménages opteront majoritairement pour une brique «bien de chez nous» plutôt que pour une autre dont l'origine n'est pas mentionnée. Le lait est un produit sensible, nourricier, naturel ... à tort ou à raison, le «made in France» a un côté rassurant qui peut faire tilt auprès de consommateurs traumatisés par les scandales alimentaires à répétition. Le créneau du terroir n'est pas nouveau mais il fonctionne toujours bien. C'est une valeur refuge face à un futur qui s'annonce incertain.

Le gros hic, c'est que ce label vient s'ajouter à une profusion de signes de qualité, indications d'origine, médailles et autres allégations revendiquées sur les produits. La logomania en devient absurde. Vous connaissez le logo AB, comme agriculture biologique? Depuis cette année, ce dernier cohabite avec un label bio européen. «Cette incroyable addition de signes déroute le consommateur. On n'y comprend plus rien et la plupart des labels ne sont pas crédibles, estime Nicolas Chomette, président d'Interbrand Paris, agence conseil en stratégie de marques. Même si, dans l'absolu, il est légitime, le nouveau logo laitier risque d'être noyé dans la masse». Trop de labels tuent les labels.

Le rayon lait n'échappe à la confusion. On peut même y trouver du lait labellisé «produit en altitude» (plus de 700 mètres). Une idée du Ministère de l'Agriculture afin que l'appellation «de montagne» dans les produits agroalimentaires ne soit pas dévoyée. Les industriels ont également contribué à brouiller les cartes avec des labels privés, plus ou moins fondés. L'objectif consiste grosso modo à «débanaliser» le lait, un produit basique, pour le vendre plus cher et accroître les marges.

Candia (Sodiaal) propose par exemple un lait signé «Oui aux petits producteurs». Une démarche «développement durable», très dans l'air du temps, censée soutenir de petites exploitations isolées du Massif-central par une «rémunération juste». Tout aussi discutable, la mention «lait collecté dans des fermes sélectionnées» que l'on lit sur les bouteilles de «Grand Lait». Une allégation vraiment floue.

Du coup, on voit mal les deux principaux transformateurs français, Lactalis et Sodiaal, s'empresser d'apposer le nouveau logo citoyen sur leur gamme Lactel et Candia. S'il est vraiment visible, il risque de brouiller le message marketing élaboré par ces marques. Au bout du compte, le label risque de se limiter à certaines briques «premier prix», voire à quelques marques de distributeurs, du moins celles qui n'importent pas leur lait d'Allemagne, d'Autriche ou d'ailleurs. Autant dire une goutte dans un océan laitier.

Bruno Askenazi

Image de Une: Producteur déversant du lait Francois Lenoir / Reuters

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