France

Lettre aux défenseurs de La Poste de papa (MàJ)

Temps de lecture : 4 min

Il faut se battre pour le service public postal. Pas pour les bureaux de poste.

Le Parlement a définitivement adopté, mardi 12 janvier, le texte sur le changement de statut de La Poste. Le Sénat s'était prononcé en faveur du texte le 23 décembre. Ce texte, présenté par Christian Estrosi, ministre de l'industrie, transformera dès le 1er mars, La Poste en société anonyme à capitaux publics. Le changement de statut permettra un apport en fonds propres de 2,7 milliards d'euros – 1,2 milliard à la charge de l'Etat, 1,5 milliard venant de la Caisse des dépôts. Le but est de «moderniser et adapter» l'entreprise à l'ouverture totale de la concurrence le 1er janvier 2011. Par un vote à mains levées, les députés ont adopté le texte de la commission mixte paritaire. L'UMP et le Nouveau Centre ont voté pour tandis que les groupes SRC (PS et apparentés) et GDR (PCF et Verts) ont voté contre.
L'opposition, tant à l'Assemblée qu'au Sénat, a défendu en vain dans ce dossier toutes les motions de procédure et déposé de nombreux amendements. Mais le débat a tourné court au Palais-Bourbon, le nouveau règlement de l'Assemblée limitant le temps de parole des groupes. Les socialistes ont annoncé qu'ils saisiraient le Conseil constitutionnel.

En octobre 2009, plus de 2 millions de Français ont participé à une «votation citoyenne». Lors de ce scrutin sans aucune valeur légale, plus de 90% des participants se sont déclarés «opposés» à «toute privatisation». Voilà ce qu'en pensait Eric Le Boucher.

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Allons enfants du service public,

Le jour de gloire est arrivé !

Contre nous de la tyrannie libérale

L'étendard sanglant est levé.

Entendez-vous dans nos campagnes

Mugir ces féroces concurrents?

Ils viennent jusque dans vos bras

Fermer vos bureaux de poste.

Aux armes citoyens!

Formez vos votations

Votons, votons,

Qu'un sang impur

Abreuve nos boites à lettres!

Près de deux millions de Français, dit-on, se seront levés pour dire qu'il fallait «défendre le statut de La Poste», le dernier joyau, le plus pur, le plus beau, des services publics. Le rempart! Valmy! La Marne! Quand la crise a montré toute l'horreur économique, il est temps de dire «non». Non à l'argent, non au profit, non à la concurrence! «Résistons!». Défendons nos bureaux de poste comme des forts, nos facteurs comme nos femmes et nos enfants.

On voudrait, ici, juste vous dire, valeureux soldats, que c'est un peu tard et que c'est sûrement pas le bon «fort» que vous investissez de tant d'importance.

Un peu-beaucoup tard, en vrai. Pour parler «poste», on peut dire que vous n'êtes pas en J + 1, héros de la Garde, mais en J + 4.350, la «directive» européenne qui introduit la concurrence dans le service postal date du 15 décembre 1997, Lionel Jospin était alors Premier ministre comme l'a rappelé, dimanche 4 octobre, ce taquin de Xavier Darcos. Depuis il y a eu des ouvertures progressives à la concurrence en 2003 puis 2006 et tout doit être libéralisé l'an prochain. Mieux vaut se réveiller tard que jamais, direz-vous, mais quand même...

Soyons clair, le service public est une valeur très estimable (quand il fonctionne bien). Il assure (quand il fonctionne) l'égalité de tous devant la santé, l'éducation, les transports, la communication, la culture, autant de «biens communs» qu'il faut chérir. La France a de relativement bons services publics, trop chers mais bons. Il ne peut être question de les supprimer.

Mais La Poste? Ah La Poste! Vous n'avez peut être pas fait attention à l'évolution récente de cette vénérable institution remontant à Louis XI, alors on vous résume.

Le premier léger problème avec la Poste est que le courrier lettre-papier est une activité qui disparaît. Depuis plus de dix ans on observe un «découplage» : auparavant le volume du courrier progressait en parallèle avec le PIB, maintenant c'est fini. Le volume des lettres que vous envoyez à votre jeune grand-mère, chers défenseurs du service public, diminue. Avouez: vous n'écrivez plus et vos enfants encore moins.

Et Internet vous connaissez? L'an passé 7 millions de contribuables, dont vous sûrement chers soldats, ont préféré télé-déclarer leurs revenus au fisc. Un sur huit. Dans cinq ans, ce sera un sur deux, ou deux sur trois. L'assurance-maladie, autre service public, envoie ses relevés de plus en plus souvent par e-mail, faisant perdre à la Poste l'an passé 200 millions d'euros de chiffres d'affaires. Le courrier est tendanciellement en déclin et on ne peut pas vouloir équiper la France entière en liaisons en fibre optique, sans que cela porte, en soit, une formidable accélération de ce déclin.

Autre petit problème, chers camarades, le courrier des entreprises représente 85% du total. La Poste travaille pour les entreprises, en totale concurrence. Les lettres pour les particuliers, ce que vous nommez «service public», ne pèsent plus que 15% à peine du chiffre d'affaires de La Poste, partie en peau de chagrin. C'est d'ailleurs ça qui pose problème dans les campagnes. Car le courrier des entreprises est ramassé par les voitures jaunes ou livré directement aux centre de tris de La Poste, ou de ses concurrents étrangers (par camions jusqu'en Hollande par exemple, vous l'ignoriez?). Les 11.000 bureaux de Poste dont la répartition date de 1914 ne ramassent donc que 15% du courrier à peine ; d'où leur surnombre. Le débat sur la réduction de certains de ces bureaux est ancien et La Poste a, depuis cinq ans, développé 5.600 «points de contacts» en donnant au boulanger ou au buraliste du village le droit de rendre l'essentiel des services postaux: affranchissements, mandats... pour la plus grande satisfaction des clients, pardon des «usagers», selon les sondages qu'elle réalise.

Tout ça pour dire, fiers chevaliers du non-profit, que La Poste n'est plus du tout La Poste telle que vous la rêvez. C'est déjà une entreprise plongée dans un domaine hyper-concurrentiel de la communication. Et, si, en 2003, la Cour des Comptes s'alarmait du retard pris face à la poste allemande ou néerlandaise, des progrès ont été faits.

La Poste française est devenu le 2e opérateur européen, elle a investit en Grande-Bretagne, au Portugal, en Afrique, en Slovénie, en Croatie, en Russie. Partout, elle accompagne les entreprises en les aidant à régler leurs problèmes de courrier. Puisque son cœur de métier fond comme neige au soleil et que la concurrence pince les marges, elle investit en aval: pour devenir l'entreprise qui livre les colis commandés par internet. Et en amont, pour préparer le courrier des entreprises, pour leur proposer des actions marketing et, demain, pour gérer les adresses des clients, réservoir considérable de valeurs.

Rêver de revenir à La Poste de papa est un peu tard. La Poste doit bouger encore, regarder devant et pas derrière, des irréalités et des nostalgies. Il y a honnêtement d'autres institutions plus «service public» à défendre, à commencer par la très dégradée éducation.

Eric Le Boucher

Image de une: «Jour de fête», de Jacques Tati. DR

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