Culture

Comment l'Empire de «Star Wars» a gagné

Temps de lecture : 5 min

Si l'on compare l'écho rencontré par la première trilogie au tournant des années 1980 à la campagne médiatique de 2015, on voit bien que quelque chose a changé. Les rapports parents-enfants ne sont sûrement plus les mêmes. Ni notre conception de la politique. Au final, c'est Disney qui a triomphé.

Star Wars, le versant marketing de la force I  OLI SCARFF / AFP
Star Wars, le versant marketing de la force I OLI SCARFF / AFP

En 2015, pour la première fois de ma vie, j’irai peut-être, peut-être voir Star Wars au cinéma. J’irai uniquement pour accompagner mes enfants car, à titre personnel, la saga intergalactique me laisse plutôt indifférente.

J’étais un poil trop jeune quand les trois premiers opus sont sortis, même pour le dernier, en 1983. En fait, j’avais l’âge de mon ainée aujourd’hui mais j’allais beaucoup moins souvent au cinéma. Je me souviens que c’est pour l’anniversaire de mes 8 ans que j’ai demandé à aller au MacDo pour la première fois. Mes parents m’ont concédé ce désir et on est allé à Paris en RER, mais ce restaurant pour ados n’était pas trop leur tasse de thé. Ils n’étaient pas non plus du genre à acheter des jouets sous licence de film.

Élevée avec Barbara et Chaplin

Depuis que j’ai eu des enfants, je me rends compte le concept de parents était un peu différent quand j’étais petite: on n’allait pas voir un film pour enfants tous les mois. Inimaginable. Ce qui était considéré comme bien pour les gosses pour des parents comme les miens qui regardaient «Apostrophes» et écoutaient, au maximum de la variété, Georges Brassens et Barbara, c’était Charlie Chaplin, Buster Keaton ou Laurel et Hardy. Et mes géniteurs chéris auraient déprimé à l’idée d’aller voir un film destiné à plaire à un public de lycéens américains.

Mes parents ne parlaient pas beaucoup de trucs de gosses. Et la société entière était comme ça. Je ne pense pas que Le Monde aurait à l’époque consacré plusieurs pages à ce genre de saga. En revanche, j'ai énormément entendu discuter de la guerre en Afghanistan, de la fin du Programme commun ou des manifs pour l’école «libre».

Une culture mainstream plus franchouillarde

En 1983, il n’y avait pas de chaîne pour enfants, la 3 commençait le soir. Les programmes pour enfants étaient rares et on avait le droit de regarder «Inspecteur gadget» (cinq minutes) avant d’aller se coucher. J'avais des Stan Smith en taille 30 et j'ai longtemps porté un anorak orange que j’ai dû refiler à mon petit frère puisqu'on s'habillait pareil… Mais les jouets Guerre des étoiles ou les jeux qu’on auraient pu inventer autour du film étaient davantage des trucs de garçons. Je ne sais pas si les films de Lucas sont passés à la télé, je les ai sûrement loupé mais j’ai vu quinze fois Rabbi Jacob, La Grande Vadrouille, L’Aile ou la cuisse ou Le Grand Blond avec une chaussure noire. C’est surtout ça le mainstream des enfants des années 1980.

Et quand les jouets sont ressortis, c’est marrant mais ils m’ont fait envie

Après, dans les années 1990, la cinéphilie c’était encore les vieux films et ce qui était cool, c’était de voir des trucs genre Brazil au cinéclub du lycée ou 2001, l’Odyssée de l’espace ou Barry Lyndon. Pas des films pour pré-ados. Les années ont passé et je n’ai pas eu le temps ni l’occasion d’aller voir Star Wars. Un jeune confrère s’en étonnait: Comment? On ne m’avait pas encore imposé une séance de rattrapage? Ben non personne, aucune copine, aucun petit ami ne m’a suggéré l’idée de regarder la première ou la deuxième trilogie. Je suis bien allé voir Hunger Games avec un ex, mais dans le genre films pour ado, c’est à peu près tout.

Princesse Leïa, fille de Chantons sous la pluie

Je me souviens d’avoir demandé un jour à ma mère si elle avait été fan de Johnny Hallyday et des yéyés dans sa jeunesse. En effet, il y avait une sorte de revival des sixties dans les années 1980 et dans les émissions de variété de mon enfance, tout le monde semblait avoir adoré ces chanteurs. Elle avait rigolé, bien sûr que non. Et j’y ai repensé parce qu’aujourd’hui, alors que sort un nouveau Star Wars, nous sommes tous censé avoir vu les précédents numéros. Le marketing nous réinvente un passé commun mais nous sommes nombreux à avoir vécu les dernières décennies sans voir ces films et sans y penser.

Le plus troublant c’est que malgré cette lacune dans ma culture, je connais le nom de tous les personnages principaux. Je peux imiter Dark Vador (et oui, je sais de qui il est le père). Je sais comment parle Chewbacca et que l’actrice qui joue Princess Leïa (dont j’ai déjà chercher à imiter la coiffure sans jamais y parvenir) est la fille de Debbie Reynolds qui joue dans Chantons sous la pluie vu, pour le coup, 147 fois avec mes parents et mes enfants.


Une chips Star Wars, tu achèteras

Et quand les jouets sont ressortis, c’est marrant mais ils m’ont fait envie. J’ai acheté le porte clé maitre Yoda Lego et… Dieu sait ce que le père Noël va apporter à mes enfants. Je constate que plein de trucs qui auraient semblé parfaitement débiles à mes parents il y a trente ans font partie de mon quotidien.

Par exemple, j’ai acheté un calendrier de l’avent Star Wars à mon fils et des chips Star Wars parce que je trouvais le paquet rigolo, un magnifique rouleau de Sopalin Dark Vador qui fait la joie de nos repas familiaux et j’avoue, je lui ai forcé la main pour choisir des Talkies walkies pour les 6 ans d’un copain à lui. Je les trouvais mignons.

Et puis fille est revenue du centre de loisir avec un sabre laser en carton pas très ressemblant (sauf si on fait le bruit du laser).

Star Wars plus fort que la Bible

Les animateurs les ont fait jouer toute l’après-midi à un grand jeu d’équipe sur le thème du film, et répondu à des quizz sur le film. Enfin, mon fils a reconstitué la mélodie au piano tout seul (mais j'attendrai encore un peu avant de porter la mesure de son talent à la connaissance du monde).

Surtout, la vérité c’est qu’à ce stade, mes enfants connaissent davantage de personnages de Star Wars que de la Bible. À mon avis, ils ne sont pas les seuls, faites le test autour de vous pour voir.

On trouve ça marrant d’aller voir des films Pixar avec les enfants, on s’est habitué à consommer les mêmes produits d’entertainment qu’eux

Depuis trente ans, le monde a changé, les parents ont changé. On trouve ça tellement marrant d’aller voir des films Pixar avec les enfants, on s’est habitué à consommer les mêmes produits d’entertainment qu’eux. Je ne me pose pas du tout les mêmes questions politiques ou éthiques que mes parents. Très peu de gens se les posent. Et jamais je ne penserais dire à mes enfants que c’est nul d’aller voir des films dont les producteurs ont pour principale ambition de vendre des millions de produits dérivés et que ça n’a rien à voir avec la culture. Dans le même temps, même l'Éducation nationale s'y est mise:

De l'impérialisme au «soft power»

Nous pouvons constater tous les jours dans nos propres pratiques, à l’instar de sociologue comme Bernard Lahire, qu’en quarante ans la notion de culture s’est énormément transformée. La culture populaire, ou la culture pop, est devenue celle d’une part grandissante de la population, même si chacun ne fonctionne pas avec les mêmes échelles de valeurs. Dans la même période, les bénéfices économiques de cette industrie globalisée n’ont cessé de s’accroître et de se diversifier.

Reste que pour parler de domination culturelle aujourd’hui les médias utilisent le terme de «soft power». Quand j’étais petite, en 1983, dans les émissions de Polac, on appelait ça la société de consommation et l’impérialisme américain. Cet empire culturel et commercial n’a jamais été menacé ni attaqué et, même si ce n’est sûrement pas ce qui se passe de plus grave dans le monde, il a bel et bien triomphé.

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