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Conséquence de la crise, les hommes seront davantage disponibles pour les corvées ménagères

Temps de lecture : 4 min

Mais ils ne feront rien.

CC Chelseacharliwhite/flick
CC Chelseacharliwhite/flick

La récession apporte son lot de tracas bien concrets, comme les mensualités de l'emprunt immobilier qu'il faut honorer chaque mois. Mais il est des tracas plus métaphysiques, et non moins affolants, quand la femme de la maison ou plutôt, l'homme, se retrouve au chômage. Le fait [qu'aux Etats-Unis] les hommes représentent 82 % des actifs touchés par une suppression d'emploi suggère en effet que nous vivons une mutation culturelle inattendue: la désagrégation du marché du travail s'accompagne d'une désagrégation des frontières entre les sexes.

Pour les féministes, la perspective de voir davantage de femmes au travail et davantage d'hommes au foyer prouve «qu'à quelque chose malheur est bon», comme le note Lisa Belkin dans son blog du New York Times. L'an dernier, environ 25% des femmes gagnaient plus que leur mari. Et si, avec la récession, cela devenait le cas dans un tiers ou plus des ménages? A partir de quelle proportion le fait ne serait-il plus quelque chose de notable? Si les pères au chômage se mettent à aller chercher les enfants à l'école et à préparer le dîner, la répartition des rôles n'en sera-t-elle pas plus harmonieuse?

Voire. Il n'est peut-être pas si réjouissant que l'égalité des sexes s'instaure avec la crise. Aussi louable soit le but, le chemin emprunté pour l'atteindre est semé d'embûches. Dans son article, Belkin avance que pendant la Seconde Guerre mondiale, les femmes américaines s'étaient mises à travailler car les temps l'exigeaient - mais à la fin du conflit, elles avaient dû retourner à leurs fourneaux. Cela n'augure rien de bon pour l'époque qui nous occupe, si ce n'est de voir les femmes au labeur pendant que les hommes balancent des CV à droite à gauche ou se tiennent prostrés, le regard rivé au fond de leur tasse à café sale. (J'avoue qu'à mes yeux, les mâles ne sont pas les plus rapides pour laver les tasses.)

Au début du mois, j'ai demandé aux lecteurs de me raconter comment leur couple traversait la récession. Les messages que j'ai reçus, qu'ils soient emplis de tristesse ou de colère, ont confirmé mes craintes: le malheur que nous vivons n'a pas grand-chose de bon. Une lectrice d'Atlanta, mariée depuis 20 ans et ayant connu, de même que son mari, quatre licenciements dans ce laps de temps, explique ainsi que lui est toujours plus affecté qu'elle: «A chaque fois, il vit cela comme la fin du monde.» Or, les hommes déprimés à l'idée de rester à la maison ne sont pas les plus à même de résoudre le grand problème du «deuxième service», ce moment de la journée où la femme active rentre chez elle pour assurer la plus grande partie des tâches ménagères et s'occuper des enfants. De fait, les études les plus récentes sur le sujet montrent que les hommes ne s'occupent pas plus des enfants quand ils perdent leur emploi. Non, «ils consacrent davantage de temps à dormir, à regarder la télévision et à chercher du travail.» D'où l'image de la tasse à café sale.

Les messages m'ont par ailleurs démontré que nombre d'individus n'ont pas leur place dans le scénario actuellement en vogue. Ainsi Cecily m'écrit-elle qu'elle est toujours sous le choc de son licenciement, en octobre dernier, mais que son mari l'est plus encore. En poste dans la société dont elle a été évincée, «il semble croire que les dirigeants auraient dû se rendre compte qu'en me remerciant, ils risquaient de le perdre lui, au cas où nous déciderions de tenter notre chance ailleurs, et que de ce fait, en le licenciant, ils l'ont personnellement insulté.» Ce n'est pas gagné.

Il y a également les témoignages d'un homme et d'une femme confrontés, aux deux bouts de la chaîne, à l'inversion des rôles établis. Dans les deux cas, c'est la femme qui a perdu son emploi. Paul me dit ainsi que son épouse «se reproche d'être un 'parasite' et une 'bonne à rien' parce qu'elle ne rapporte pas d'argent à la maison». Il a beau la rassurer, rien n'y fait. De son côté, Beth, licenciée en décembre dernier, remarque que son mari est «de plus en plus distant et presque rancunier.» Son travail le met sous pression, d'autant qu'il se retrouve seul gagne-pain du foyer, et il regrette de ne pas pouvoir passer plus de temps avec sa fille, ce que Beth peut maintenant s'offrir. «Le présent est si sombre qu'il est difficile d'être optimiste pour l'avenir», conclut-elle.

Tout cela a le mérite de rappeler que dans de nombreuses familles, il est aujourd'hui naturel que la femme travaille. Même quand son emploi est un complément, le couple compte sur les revenus qu'il génère. En bref, la récession révèle l'importance qu'a pris le travail des femmes, que le licenciement les touche elles ou leur conjoint.

Pour en revenir aux bons côtés du malheur, du point de vue féministe du moins, l'économiste du Center for American Progress Heather Boushey souligne que ces tendances «confirment que le débat sur le renoncement volontaire» — comme quoi les femmes diplômées seraient très nombreuses à renoncer volontairement à leur carrière — «n'a aucune pertinence». Voilà au moins cette querelle assagie et, avec elle, toutes les mises en cause entre femmes qu'elles suscitaient. Cependant, il est une autre observation préoccupante: les femmes sont moins touchées par les suppressions d'emploi en partie parce qu'elles touchent des salaires moins élevés. Les femmes continuent d'être employées dans des secteurs moins lucratifs et à des postes subalternes.

Ce qui me laisse avec l'image d'une famille dont l'homme, perturbé par la perte de son emploi, tournerait en rond dans la maison, pendant que la femme continuerait à travailler pour un revenu inférieur à la moitié de ce que le couple gagnait auparavant. Ce qui inquiète Boushey, c'est que la situation risque de durer, car les perspectives d'embauches restent fort moroses dans les semaines et les mois à venir. L'économiste espère toutefois que les hommes pris dans la tourmente économique finiront bien par participer à la vie du ménage: «Il y a un tas de couches à changer», ironise-t-elle. «Nous attendons de voir comment les rôles évolueront au sein de la famille.» J'attends moi aussi. Mais je ne suis pas sûre que ce sera si joli à voir.

Emily Bazelon

Cet article, traduit par Chloé Leleu, a été publié sur Slate.com le 22 février.

Image de Une: CC Chelseacharliwhite/flick

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