Nous publions une série de cinq articles sur le soixantième anniversaire de la naissance de la Chine communiste. A lire aussi, «Les hommes de la révolution chinoise», «La mémoire perdue», «La Chine est redevenue une puissance mondiale», «le Parti s'accroche».
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Le plus important, c'est l'image. Les dictateurs l'ont toujours compris et en ont joué. Construire habilement son culte de la personnalité permet de devenir incontournable auprès de son peuple, d'écarter les zones d'ombre et d'étouffer ses éventuels adversaires. Il faut exister, passer à la télé, ou dans, sa version moderne, sur YouTube comme le dictateur guinéen Dadis Camara, dans les journaux, des T-shirts. Jusqu'à parfois devenir une icône et voir son image reprise par des artistes.
Aujourd'hui, évidemment, ce phénomène ne touche pas que les dictateurs, mais tous les politiques, même dans les pays les plus démocratiques. Barack Obama est sans conteste l'icone politique de 2008, son image a été détournée de mille et une manières. Avant même d'arriver au pouvoir, il était déjà une référence pop. Nicolas Sarkozy l'est aussi, dans une moindre mesure.
Mais tous les deux sont encore bien loin de la plus grande icône du XXe siècle, toutes civilisations confondues: Mao. Le 1er octobre, le Parti Communiste Chinois et une grande majorité des Chinois ont célébré les 60 ans de la proclamation de la République Populaire de Chine par Mao Zedong. Il allait garder le pouvoir jusqu'à sa mort, emportant avec lui entre 30 et 100 millions de morts. Grâce à un grand travail d'acculturation de la part des dirigeants suivants et une période d'amnésie des moments noirs, Mao reste le Grand Timonier. Il n'est pas rare de retrouver son portrait encore accroché aux murs des villes ou des maisons dans les campagnes reculées.
Pour comprendre comment Mao a construit son culte de la personnalité, le photographe Guy Gallice et le sinologue Claude Hudelot publient aux éditions Le Rouergue un bel ouvrage intitulé «Le Mao». Par des textes explicatifs, et une abondante iconographie (la plupart des objets photographiés venant de leurs collections personnelles, chinées pendant 20 ans à travers tout le pays), ils éclairent la stratégie du Grand Timonier. Les quelques images évoquées dans cet article sont une sélection subjective mais en quelques points clés elles retracent les grandes lignes stratégiques.
Un Mao convaincu dès sa jeunesse
Cette image est sans doute l'une des plus célèbres de l'ère Mao. C'est aussi l'iconographie qui a été le plus diffusée au monde selon les auteurs du livre: à plus d'un milliard d'exemplaires! Le tableau intitulé «Le Président Mao en route vers Anyuan» (1967) représente Mao, jeune, répondant à un appel des mineurs en grève en 1921 à Anyuan. L'artiste, Liu Chunhua écrira, au moment de la révolution culturelle: «Dans cette composition, nous avons placé la silhouette du président Mao dans une posture plus proéminente. Grand et imposant, le Président Mao vient à notre rencontre et lorsqu'il marche vers nous, il apparaît devant nos yeux telle la lumière aveuglante du soleil levant, nous apportant l'espoir et la promesse d'un avenir radieux. » Cette démarche christique, alors que l'auteur est totalement ignare de cette religion, en a trompé plus d'un, comme le raconte Claude Hudelot: «La légende veut que l'affiche tirée du tableau a échoué au Vatican où l'on était persuadé qu'il s'agissait d'une image christique d'un jeune missionnaire chinois allant évangéliser les païens. Une fois l'icône sacrilège repérée, elle fut prestement retirée.»
La longue Marche, ce mythe fondateur
Pas de culte sans mythe fondateur évidemment. «Toutes les armes sont bonnes pour accentuer la propagande maoïste : les slogans et les dazibao, les œuvres d'art, les spectacles, L'histoire elle-même fait partie de la panoplie. Et quelle histoire», raconte Claude Hudelot. La Longue Marche (1934-1935) remplit parfaitement cet office. Là aussi, le peuple vaillant qui doit fuir mais qui ne meurt pas, emmené par un guide, est une image classique et permettra d'introduire une idée qui ne partira jamais de la tête des gens: «L'armée rouge est une armée de héros». Ce bas relief en résine représente un des épisodes les plus dramatiques de la Longue Marche, «le passage dans les steppes marécageuses où de nombreux soldats rouges périrent». Selon Claude Hudelot, «le fait qu'aucune image fixe, aucun film n'ait été tourné lors de ce qui fut d'abord, selon l'expression même de Mao, un "sauve qui peut", a permis d'amplifier encore le mythe naissant ».
Tenir fermement la barre du Pays: Être son capitaine
La Chine est un grand navire difficilement gouvernable. Seul un capitaine habile est capable de tenir fermement la barre. Mao fut photographié des centaines de fois en position de capitaine/guide/penseur, notamment par la photographe Hou Bo. Le tableau, «Lutter contre le vent et les vagues » (dont la capture d'écran ci-contre ne représente qu'une partie) de Tang Xiaohe représente remarquablement cette idée. L’œuvre est inspirée d’une photo culte prise après la traversée de Mao du fleuve Xanghi. Mao, déjà âgé, veut montrer qu'il peut toujours contrôler les éléments, et donc le pays. Le 16 juillet 1966, à Wuhan, une grande ville du centre du pays, il décide donc de se lancer dans la traversée du fleuve boueux et tumultueux.
Pour Claude Hudelot, «le geste a valeur de symbole». Son médecin personnel expliquera plus tard que «les bains de Mao étaient des défis lancés à la direction du Parti. C’était le signal que la bataille allait s’engager». Un an plus tard, des milliers de personnes l'imiteront à travers tout le pays pour saluer cet « exploit». Nul besoin de remonter à César et au petit fleuve du Rubicon pour mesurer toute la portée de ce geste. Aujourd'hui encore, sortir vaillamment des eaux, reste un moment fort que les politiques ne se privent pas d'utiliser, de Vladimir Poutine à Dominique de Villepin.
Une Bible: le petit livre rouge
Le petit Livre rouge fut sans doute l'arme la plus efficace de Mao. Avec sa première édition, il avait voulu récupérer la majorité dans son Parti alors qu'il était en difficulté. L'icône représentée ci-dessus est une plaque de céramique. Avec Mao bienveillant derrière, des soldats brandissent le petit livre. Le texte explique: «L'Armée Populaire de la Libération est la Grande Ecole de la pensée de Mao Zedong ». Les enfants apprenaient des chansons à la gloire du Grand Educateur. Tout le monde était formaté, des villes aux campagnes les plus reculées.
En 1966, à sa sortie en Europe, «Le Monde» écrivait alors, un brin lyrique:
«Tout rouge, du rouge éclatant de sa couverture de plastique; le voilà arrivé de Pékin, le fameux petit livre des citations de Mao Zedong, le petit livre des Gardes Rouges, qu'on les voit brandir dans les manifestations géantes de la capitale chinoise.(...) C'est le livre de la Chine des Gardes Rouges, celui qui vole au-dessus des milliers de garçons en treillis bleu et de filles aux mèches courtes dans les grands défilés. (...) C'est le "best-seller" universel et obligatoire».
La reprise par les artistes pour maintenir le culte
Sans eux, le culte autour de Mao n'aurait pas la même vigueur aujourd'hui. En se jouant des codes de l'art propagandiste chinois et en adaptant et déformant l'image de Mao à l'infini, ils ont contribué (et contribuent) à son culte de la personnalité et à l'oubli de ses crimes. Erró fut le premier artiste non chinois à s'emparer du thème de Mao. De nombreux artistes furent attirés par le dictateur, de Warhol à Godard en passant par Gérard Fromanger, un inventaire à la Prévert ne suffirait pas pour tous les énumérer. Ce n'est qu'au début des années 90 que les artistes chinois eurent le droit de commencer à s'emparer de l'image de Mao. L'un des artistes ayant le plus joué avec l'image du dictateur se nomme Yu Youhan, mais on peut citer aussi les Luo brothers ou, évidemment, Yan Pei-Ming. Chinese vermilion no. 5 (en extrait ci-contre) est l'une des toiles les plus chères. La plupart arrivent à détourner très habilement l'art chinois de propagande et ont gagné (gagnent) des fortunes.
Quentin Girard
Crédits des imagesLe président Mao en route vers Anyuan.
Liu Chunhua. DR.
Extrait de Lutter contre le vent et les vagues de Tang Xiaohe
Bas relief en résine (p242/243 du Mao, éditions du Rouergue), @Guy Gallice
Plaque de Céramique (p327 du Mao, éditions du Rouergue), @Guy Gallice
Extrait de Mao. Chinese vermilion no. 5 de Yan Pei-Ming