France

On a revu le débat Hollande-Sarkozy après les régionales 1998

Temps de lecture : 4 min

Les deux futurs présidents de la République étaient confrontés l'un à l'autre au lendemain d'un relatif succès de la gauche, sur fond de montée du FN.

Nicolas Sarkozy et François Hollande au débat télévisé du 16 mars 1998. (Capture d'écran)

Le premier tour des élections régionales a enclenché la traditionnelle valse des analyses par les éditorialistes, des réactions politiques, des réflexions à plus ou moins longue ou courte vue, des débats enflammés. C'est le lot des soirées politiques: elles vont rarement sans un désagréable sentiment de lassitude et de déjà vu.

En fouillant dans les archives de l'INA, l'électeur de 2015 peut tomber sur un débat de l'après-régionales 1998 qui a toutes les raisons de susciter son intérêt. Le 16 mars, François Hollande, alors premier secrétaire du PS depuis moins d'un an, et Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR sous la présidence de Philippe Séguin, débattent des enseignements à tirer d'un vote qui a alors lieu en un seul tour de scrutin.

Ces images invitent bien sûr à la comparaison entre les deux scrutins régionaux, distants de dix-sept ans, et prennent une saveur particulière à l'aune du destin respectif des deux hommes.

Les élections régionales de mars 1998 amènent un résultat plutôt bon pour la «gauche plurielle» alors au pouvoir, dans des circonstances à la fois porteuses et difficiles pour elles. Porteuses, car neuf mois auparavant en juin 1997, elle a remporté les législatives découlant de la dissolution décidée par Jacques Chirac. Et difficiles... justement car elle constitue la majorité du moment. Malgré tout, elle obtient la majorité relative dans dix régions et la majorité absolue dans une onzième, le Limousin (la France métropolitaine en compte encore 22).

Invité à débattre à la télévision publique, François Hollande a donc tout lieu de se réjouir et Nicolas Sarkozy de faire grise mine. Comme pendant longtemps, un rendez-vous politique n’en était pas vraiment un sans Arlette Chabot et Alain Duhamel, ce sont ces deux journalistes qui sont chargés d'animer le débat.

Les abstentionnistes sont des casseurs de bus qui s’ignorent

La conversation roule d’abord sur l’abstention, qui est montée à 41,9% des inscrits, ce qui inquiète alors beaucoup les journalistes autour de la table. Elle est pourtant moins importante que celle que nous avons connue ce 6 décembre (50,09% des inscrits). D’ailleurs, François Hollande en relativise alors l’importance: «Le vrai problème, ce sont les 30% d’abstention aux élections législatives de 1997.»

Nicolas Sarkozy, qui a poliment, dimanche soir dernier, demandé aux Français de «se mobiliser» en faveur des listes Les Républicains au second tour, était bien plus offensif vis-à-vis des abstentionnistes après les élections de 1998. Il va jusqu'à mettre sur le même plan casseurs de bus et abstentionnistes:

«Ce qui me préoccupe, c’est surtout une tendance qui consiste à vouloir tout expliquer, même l’inexplicable. Prenons un exemple: on démolit un autobus, ça ne choque plus personne, on fait une brève dans les journaux, on réunit trois intellectuels autour d’une table. Le sujet c’est: "Pourquoi les autobus?" C’est en essayant d’expliquer pourquoi certains cassent des autobus qu’on excuse le phénomène. Pareil pour l’abstention. On dit: "Ah, oui! Si les gens s’abstiennent, c’est parce qu’il n’y a plus un homme politique capable de leur parler. [...] Voter c’est un devoir, et s’abstenir, c’est pas bien, quelque soit la raison".»

Front régional

L’autre trait saillant de la soirée est la montée du Front national, qui flirte avec les 15% des suffrages exprimés, confirmant son score des législatives de 1997. Franz-Olivier Giesbert, présent sur le plateau avec d'autres personnalités (dont l'écrivain Philippe Sollers, qui semble un peu perdu), remarque que le FN se retrouve en «arbitre dans onze régions sur vingt-deux». Pas mal en 1998, mais un peu petit joueur si l’on compare à sa position de leader dans six régions sur treize en 2015.

La droite se perd alors dans des abîmes de réflexion. De nombreux conseils régionaux sont encore dans l’incertitude après les résultats de la veille et certains responsables en viennent à lorgner vers le Front national local pour constituer une majorité (alliance qui se concrétisera quelques jours plus tard lors du «vendredi noir» de la droite). Pour ne rien alléger de leur dilemme, Bruno Mégret, second de Jean-Marie Le Pen (pour quelques mois encore), propose des alliances ponctuelles en région contre les «socialo-communistes».

La question du caractère fréquentable ou non du FN se pose déjà et le débat s’oriente rapidement sur la question des accointances possibles entre le RPR et le mouvement frontiste. Nicolas Sarkozy est radicalement opposé à cette idée: «Nous ne serons les otages de personne, et surtout pas des gens du Front national.» Et François Hollande lui rend hommage: «Nicolas Sarkozy est, avec quelques autres, parfaitement clair là-dessus.» Pas sûr qu'il tienne le même discours aujourd'hui...

On ne peut cependant pas dire que le discours de Nicolas Sarkozy ait changé du tout au tout entre cette controverse et 2015 car, à la fin des années quatre-vingt dix, le Nicolas Sarkozy de la «droite décomplexée» et de la ligne Patrick Buisson perce déjà sous celui qui est encore le premier des balladuriens:

«La droite républicaine, c’est s’aligner sur le FN? C’est tout le contraire. C’est quand on n’a pas le courage d’assumer ses idées qu’on est obligé d’en rajouter quelques mois avant de manière caricaturale.»

Le premier secrétaire du parti socialiste, quant à lui, a aussi sa stratégie pour juguler la progression du Front national: il propose déjà ce qu’il est aujourd’hui courant d’appeler le «désistement républicain»: «Dans une élection, si une majorité relative se dégage pour la gauche ou pour la droite, l’autre doit se retirer» pour éviter de laisser l’extrême-droite s’installer.

Les promesses de l’aube

En 1998, François Hollande a 44 ans et Nicolas Sarkozy 43 ans. Le futur vainqueur de 2007 a le cheveu plus brun qu’aujourd’hui et celui de 2012 a gardé quelque chose de juvénile. Hollande est déjà député, en plus d'être premier secrétaire du PS, et Nicolas Sarkozy est l’indéboulonnable maire de Neuilly-sur-Seine, a été élu plusieurs fois député, a été ministre du Budget et porte-parole du gouvernement...

Mais à l'époque, qui aurait pu prédire qu'ils se retrouveraient face à face pour l'Elysée en 2012, avant une possible revanche en 2017? Dans ce contexte, certaines des paroles échangées lors de ce face-à-face prennent en tout cas un tour prophétique. A un François Hollande goguenard devant les tourments du RPR, Nicolas Sarkozy rétorque ainsi: «Le succès vous va mal. Il va finir par vous rendre autiste.»

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