France

Le gouvernement saisit le Conseil d'État sur la mise en place de centres d'internement préventif

Temps de lecture : 3 min

Bernard Cazeneuve à l'Assemblée nationale, le 19 novembre 2015 | REUTERS/Charles Platiau
Bernard Cazeneuve à l'Assemblée nationale, le 19 novembre 2015 | REUTERS/Charles Platiau

Après la proposition formulée au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis par Laurent Wauquiez, secrétaire général des Républicains, de placer les personnes «fichées pour terrorisme» (fichées S, en fait) dans des «centres d’internement anti-terroristes spécifiquement dédiés», le gouvernement de Manuel Valls s'interroge sur la compatibilité de cette mesure avec la loi française. Une démarche conforme à l'engagement pris par François Hollande, quelques jours après les attentats, de laisser au Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative française, le soin d'apprécier la validité des mesures proposées par l'opposition.

Le site Lundi Matin a dévoilé, mercredi 9 novembre, une «demande d’avis» envoyée au Conseil d'État par le gouvernement. Dans ce document, celui-ci s'interroge sur la «constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux» d'un internement administratif à titre préventif de personnes fichées S qui n'ont jamais été condamnées.

Voici un extrait du texte envoyé par le gouvernement au Conseil d'État:

«Pour prévenir la commission d’actions violentes de la part de personnes radicalisées, présentant des indices de dangerosité et connues comme telles par les services de police, sans pour autant avoir déjà fait l’objet d’une condamnation pour des faits de terrorisme, la loi peut‑elle autoriser une privation de liberté des intéressés à titre préventif et prévoir leur rétention dans des centres prévus à cet effet?»

Dans son document, le gouvernement se questionne également sur la conformité d'autres formes de privation de liberté: un placement sous rétention administrative des personnes déjà condamnées à un emprisonnement pour des actes de terrorisme ayant purgé déjà leur peine ou bien, faute de condamnation, un placement «sous surveillance électronique» ou une assignation à résidence. Une proposition qui avait été formulée par Nicolas Sarkozy après les attentats du 13 novembre.

Un «Guantanamo français»?

La mise en place d'une telle mesure sur le territoire français ferait évidemment fortement débat, notamment chez ceux qui y voient les contours d'un «Guantanamo à la française», en référence à la prison militaire américaine controversée, située à Cuba, où sont détenues des personnes suspectées de terrorisme. Sauf que, dans l'hypothèse d'une mise en place de tels centres de rétention à destination des personnes fichées S, la France irait plus loin que les États-Unis, dans la mesure où le camp de Guantanamo ne concerne pas les citoyens américains, rappelle Le Monde.

Si certains y voient une volonté du gouvernement français d'élargir son arsenal sécuritaire et de muscler sa lutte contre le terrorisme, d'autres rappellent. que l'hypothèse la plus probable est que cette consultation du Conseil d'État s'inscrive dans une stratégie politique de l'exécutif visant à contrer les pressions de l'opposition en faisant invalider ses propositions. Au-delà des «centres d’internement anti-terroristes» souhaités par Laurent Wauquiez, Nicolas Sarkozy avait lui aussi évoqué, dans un entretien au Monde, la «rétention de sûreté» pour «les criminels condamnés à de longues peines pour terrorisme une fois leur peine achevée».

Une mesure controversée

Ce n'est pas la première fois que l'idée (et l'expression) d'un «Guantanamo français» est avancée. Le 24 novembre, Nicolas Dupont-Aignan, président du parti Debout la France, avait réaffirmé sa volonté de créer un «Guantanamo bis» à Cayenne, en Guyane, pour les djihadistes de retour de Syrie.

L'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic estime que la mise en place de tels centre de rétention serait une mauvaise idée, notamment parce qu'elle répondrait à la volonté de l'organisation État islamique de pousser les autorités à s'en prendre à la communauté musulmane du pays. «N'arrêtons pas n'importe qui! Ne faisons pas de Guantanamo à la Française! Restons dans nos principes tout en étant efficaces», a-t-il prévenu dans une interview accordée à La Voix du Nord, au lendemain des attentats.

Même son de cloche chez Anne Giudicelli, spécialiste du monde arabo-musulman et directrice du cabinet de conseil Terr(o)risc. Dans une interview aux Échos, elle mettait en garde contre une «Guantanamoïsation» d’une partie de la société française:

«Cette idée de désigner des individus comme déjà coupables alors qu’ils ne sont même pas encore suspects, est à la limité de la légalité. À chaque attentat, on grignote davantage sur ce qui nous constitue, ce qui est ciblé par ceux qui nous en veulent. On fait leur jeu finalement. Je ne pense pas qu’il faille faire ce Guantanamo-là.»

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