Tenez-le-vous pour dit, François Hollande, en ce moment, est ju-pi-té-rien. Pas parce que l’horoscope présidentiel 2015-2016 afficherait «la conjonction de Mars et Jupiter en Vierge», mais parce qu’il est décidé à camper sur ce style de communication. «Le président veut rester jupitérien, dans un registre de gravité, le plus longtemps possible», expliquait un conseiller élyséen au Figaro avant le premier tour des régionales. Le journaliste François Bazin pariait alors sur un prochain lancer de foudre, «modèle jupitérien», tandis que, dans Challenges, Bruno-Roger Petit estime que, «plus que jamais, c’est le sphinx jupitérien de l’Élysée qui tient les clés du destin de la gauche. Signe de la mutation qui s’opère, depuis le début de la campagne des régionales, François Hollande est muet sur le sujet».
En septembre, Challenges évoquait déjà la volonté présidentielle de coupler deux styles de communication, l’un proche et accessible (par la PQR, par exemple), l’autre «un peu jupitérien», via l’exercice de la conférence de presse. En janvier, Alba Ventura de RTL faisait le portrait d’un Hollande «très jupitérien» après les attentats contre Charlie Hebdo. Et, en juillet 2014, le député vallsiste Eduardo Rihan Cypel estimait que la France avait vu François Hollande, à l’occasion des cérémonies des 70 ans du Débarquement en Normandie, «dans le rôle jupitérien de président de la Ve République».
Bref, le qualificatif est récurrent depuis un an, et plus largement dans la vie politique française. Il renvoie, en fait, aux deux présidents les plus marquants de la Ve République. Charles de Gaulle, d’abord, son fondateur, sous le mandat duquel la France réalisa ses premiers essais nucléaires, en 1960. «Dans une France inviolable, un De Gaulle inégalable. Voilà réalisé le rêve absolu, écrit Jean Lacouture dans sa biographie du général. Pas de Jupiter sans foudre. Sans Jupiter, que serait la foudre?» Le jour de passation de pouvoirs, le président sortant transmet à son successeur les codes de l’arme nucléaire («La pièce maîtresse de la dissuasion, c’est moi», a un jour dit François Mitterrand), dont, détail significatif, le poste de commandement est installé au sous-sol de l’Élysée dans ce qu’on appelle... le «PC Jupiter».
Éclairs depuis l’Olympe
La doctrine de la dissuasion faisant reposer tout l’intérêt de l’arme nucléaire sur le fait de ne pas l’utiliser, le mot a très vite pris une signification métaphorique, celle d’un président laissant la gestion ordinaire et la basse politique à son Premier ministre et à sa majorité pour lancer de temps en temps la foudre depuis son Olympe. Ne parler rarement, ne parler que pour dire des choses importantes: l’exact inverse, en somme, de l’omniprésidence. Le thème est devenu à la mode au milieu des années 1980, quand les communicants Jacques Pilhan et Gérard Colé ont repris en main la stratégie de François Mitterrand: l’idée était alors, écrit François Bazin dans sa biographie de Pilhan, de réinstaurer le chef de l’État, très impopulaire, dans une forme de «verticalité», de l’arracher aux jeux quotidiens du PS et du gouvernement:
«À l’approche d’une cohabitation qui paraît hautement probable, Jacques Pilhan dessine, ni plus ni moins, le visage d’un président “jupitérien”, capable, entre de longues phases de silence, de lancer la foudre au moment opportun. [...] C’est à cette époque que le président inaugure un pupitre en forme de proue. [...] C’est un “Jupiter”, commente une collaboratrice de l’agence lorsqu’on lui le présente.»
François Mitterrand faisant figure de référence pour François Hollande, le retour du président jupitérien était sans doute inévitable en cette année de toutes les crises, mais dissimule plusieurs questions. L’adéquation entre ce mode de communication et une société où les canaux de communication se sont démultipliés depuis trente ans. L’harmonie entre ce fonctionnement jupitérien et un président longtemps jugé «si peu jupitérien», lui qui fut frappé par la foudre le jour de son entrée en fonctions. Et la manière dont François Hollande peut encore lancer des éclairs, car cela peut rater –Jacques Chirac en sait quelque chose.