40,55 et 40,64%. Il s’agit des pourcentages de voix, extrêmement proches, obtenus respectivement par Marion Maréchal-Le Pen (Paca) et Marine le Pen (NPCP), lors du premier tour des élections régionales. Les deux grandes figures du Front national, l’étoile montante du parti d’un côté, et sa tante, présidente de celui-ci, de l'autre, ont réussi un score historique et pourraient bien devenir présidentes de région.
Mais malgré les liens politiques et familiaux, leurs destins respectifs ne sont pas tant liés que ça. On peut même dire que si l’une perd, l’autre ne sera pas forcément attristée par son sort. Depuis plusieurs années, un jeu d’influence s’est mis en place entre les deux femmes au sein du parti, mêlant désaccords politiques et querelles familiales. Marine Le Pen, qui domine le FN et vise la présidence de la République, ne peut pourtant pas ignorer la popularité grandissante de sa nièce, comme l’a prouvé un récent sondage Elab pour Les Echos.
Depuis 2012, et le décollage de sa carrière politique, Marion Maréchal-Le Pen s’est ainsi distinguée de son aînée sur de nombreux points sensibles.
Maréchal-Le Pen remet le catholicisme traditionnaliste au goût du jour
L’opposition est d’abord idéologique. Marion Maréchal-Le Pen est considérée comme appartenant à «l’aile dure» du partie, notamment parce qu’elle suit une tendance catholique proche du traditionalisme. «Sa scolarité à l’institution Saint-Pie X, dans les Hauts-de-Seine, l’a durablement marquée», expliquait Europe 1 il y a quelques jours. C’est donc tout logiquement qu’on l’a retrouvée en 2013 et 2014 dans les rangs de la Manif pour Tous afin de marquer son opposition au mariage gay et son attachement à des valeurs «traditionnelles».
Marion Maréchal-Le Pen incarne l’aile économiquement libérale et plus à droite au sein du Front national
Gilles Ivaldi
C’est «La BCBG des beaux quartiers avec l’éducation catho, estimait Julien Aubert, député LR et adversaire de la jeune femme, dans un article des Inrocks. Elle est très différente de Marine Le Pen, qui est beaucoup plus soixante-huitarde qu’elle veut nous le faire croire…» À l’inverse justement, cette dernière était absente des défilés anti-mariage gay, ce qui lui a valu un certain nombre de reproches dans son propre camp.
C’est aussi pour cela que les deux femmes se sont opposées sur des questions comme l’IVG. Fin novembre, la candidate en région Paca, lors d’une rencontre avec la Manif Pour Tous, a évoqué la possibilité de supprimer les budgets destinés aux planning familiaux et aux associations de défense des droits LGBT. «Il faut faire le ménage», avait-elle dit. Là encore Marine Le Pen a montré son opposition quand on lui a demandé si elle comptait faire de même si elle était élu à la tête de sa région. «Non, je vais vous dire, j'ai beaucoup d'autres choses à faire, beaucoup plus importantes que ça, à la tête de ma région […] Ce sont des subventions qui sont très dérisoires par rapport au budget d'une région», avait-elle alors expliqué sur i-Télé, une façon assez directe de recadrer sa nièce.
Dans une interview au magazine Challenges, le chercheur au CNRS et co-auteur des Faux semblants du Front national Gilles Ivaldi relève d’autres différences, notamment économiques. «Marion Maréchal-Le Pen incarne l’aile économiquement libérale et plus à droite au sein du Front national, explique-t-il. Cette divergence de vues recouvre une ligne de division entre Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot [proche de Marine Le Pen] en interne.» En ce qui concerne l’islam, Marion Maréchal-Le Pen «montre une position radicale et incarne au sein du parti les thèses du “choc des civilisations”» défendues aujourd’hui par Aymeric Chauprade, ancien collaborateur de Marine Le Pen et désormais fervent opposant à la présidente du parti.
Jean-Marie, le papi de la discorde
Mais le point de friction le plus important dernièrement, et le plus médiatique, concerne Jean-Marie Le Pen et la place qu’il faut lui donner au sein du parti qu’il a fondé. Ces derniers mois, il a multiplié les propos polémiques en réaffirmant notamment que les chambres à gaz sont un «détail» de l’histoire et en défendant Pétain. Marine Le Pen s’était alors opposée à sa candidature dans la région Paca et après plusieurs affrontement par médias interposés, elle a obtenu la suspension du statut d’adhérent de son père.
La rupture politique avec JMLP est désormais totale et définitive. Sous l'impulsion de Marine Le Pen des décisions seront prises rapidement.
— Florian Philippot (@f_philippot) 8 Avril 2015
Très proche de son grand-père, Marion Maréchal-Le Pen était alors intervenue via un entretien dans Le Parisien pour dire qu’elle avait «honte» de cette querelle. «Je ne suis pas fière du spectacle qui est offert. C'est même franchement l'inverse, j'ai honte. Tout cela a un aspect pathétique, c'est grotesque», avait-elle déclaré avant de soutenir Jean-Marie Le Pen contre les procédures entamées par le parti et sa patronne.
Après l'annonce des résultats du premier tour, Jean-Marie Le Pen n'a eu qu'une cible: Christian Estrosi, l'adversaire de Marion
Et lorsque que cette dernière a lancé sa campagne en Paca, elle a logiquement tenté un rapprochement avec le fondateur du FN, non seulement parce qu’il lance une liste dissidente, mais aussi parce qu’elle estimait qu’elle ne pouvait pas «faire fi de la relation qui est la [leur]». Une attitude qui n’avait évidemment pas plu à sa tante. D'ailleurs, après l'annonce des résultats du premier tour, Jean-Marie Le Pen n'a eu qu'une cible sur Twitter: Christian Estrosi, l'adversaire de Marion.
Aujourd’hui les deux femmes affichent une unité de façade en période de campagne électorale. Mais si l’une d'entre elle venait à perdre, alors l’autre prendrait un ascendant politique et idéologique certain au sein de leur famille politique. Quoiqu'il arrive, et si Marine Le Pen sera évidemment la candidate du FN en 2017, sa nièce pourrait vite devenir une rivale de taille au sein du parti.