La percée du Front national au premier tour des élections régionales fait beaucoup de dégâts dans un paysage politique désormais triangulaire. Les socialistes au pouvoir sont les premiers atteints par ce vote de rejet particulièrement virulent. Mais les Républicains sortent, eux aussi, affaiblis d’un scrutin dont ils escomptaient d’éclatantes victoires.
Les résultats définitifs publiés par le ministère de l’Intérieur montrent que les listes de la droite républicaine (alliance LR-UDI à 26,7% des suffrages exprimés) ont nettement devancé celles du PS et de ses satellites (23,1%). Mais celles du FN sont arrivées en tête (27,7%). Et les amateur d’additions auront remarqué que le total des voix de gauche (35,6%) est supérieur à celui des voix de droite (31,7%).
C’est dire si la droite s’est trouvée prise en sandwich entre la dynamique frontiste et la résistance de la gauche. Méfions-nous toutefois de ce type de calculs. Ce n’est pas sans raison que la gauche et les écologistes sont partis si divisés à cette bataille. Les retrouvailles de second tour autour du PS ne seront pas automatiquement validés par tous ceux qui ont voté pour les listes écologistes ou issues du Front de gauche.
Le scrutin du 13 décembre s’annonce d’autant plus ouvert que l’abstention a été particulièrement élevée dimanche dernier (50% des inscrits), même si elle a été un peu moindre qu’en 2010 (53,6%). Le caractère incertain de l’issue finale dans nombre de régions, ainsi que la menace de l’extrême droite dans certaines d’entre elles, pousseront certainement vers les bureaux de vote beaucoup de nouveaux électeurs.
D’un tour à l’autre, les isoloirs ne sont pas fréquentées par le même public. Leurs candidats éliminés au premier tour, certains se retirent du jeu démocratique, tandis que d’autres viennent arbitrer le match final. Tout ceci ajoute à l’incertitude du résultat du 13 décembre. Rarement premier tour aura-t-il été moins prédictif du second que cette fois-ci.
Espoirs FN dans trois régions
À l’issue du scrutin de 6 décembre, le FN peut encore nourrir l’espoir de l’emporter dans trois régions. Il s’agit d’abord de ses bastions du Nord et du Sud où il est représenté par des membres de la famille Le Pen. Dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les listes frontistes passent de peu la barre des 40% (40,6% dans les deux cas).
En règle générale, franchir ce seuil au premier tour laisse présager la victoire au second. Cette règle ne vaut pas forcément en l’espèce. Le retrait des listes socialistes dans ces deux régions créé les conditions d’un «barrage républicain», selon l’expression de Jean-Christophe Cambadélis.
En Auvergne-Rhône-Alpes, le total des voix de droite est à peu près équivalent à celui de la gauche, mais la dynamique est ici du côté des Républicains
Le résultat est ici difficilement prévisible. La puissante dynamique FN dans ces deux régions continuera à faire sentir ses effets dimanche prochain. À l’inverse, nombre d’électeurs se mobiliseront pour barrer la route du pouvoir régional à l’extrême droite.
Le FN pourrait être en position plus favorable dans la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine si la liste du socialiste Jean-Pierre Masseret (16,1% des voix) se maintenait contre la décision du bureau national du PS. La liste du frontiste Florian Philippot (36,1%) a largement distancié celle du LR Philippe Richet (25,8%). Le total des voix de droite (30,6%) comme de gauche (25,9%) est inférieur au score du FN.
La droite favorite dans deux régions
Au vu des résultats du premier tour, la droite républicaine ne semble assurée de l’emporter que dans deux régions. Dans les Pays de la Loire, LR (33,5%) a largement devancé le PS (25,8%) et le FN (21,4%) et le total des suffrages de droite est supérieur à celui de la gauche.
En Auvergne-Rhône-Alpes, la droite est également en position très favorable. La liste du LR Laurent Wauquiez (36,2%) a distancié celle du socialiste Jean-Jack Queyranne (25,5%). Le total des voix de droite est à peu près équivalent à celui de la gauche, mais la dynamique est ici du côté des Républicains.
La gauche gardera au moins deux régions…
Deux régions sembles assurées de rester à gauche. Tout d’abord, la Bretagne, ancienne terre de droite qui a basculé à gauche au cours des dernières décennies du XXe siècle. La liste du ministre socialiste de la Défense Jean-Yves Le Drian arrive largement en tête (34,9%) et son élection semble acquise.
Le suspense n’est pas plus fort en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Dans cette région qui regroupe beaucoup de zones historiquement marquées à gauche, la liste socialiste d’Alain Rousset part grande favorite pour le second tour après avoir recueilli 30,4% des suffrages au premier.
…et pourrait en remporter trois de plus grâce au FN
Dans pas moins de trois régions, les socialistes peuvent espérer l’emporter grâce à la présence d’un puissant Front national au second tour. C’est d’abord le cas dans le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées où la liste LR de Dominique Reynié enregistre un très mauvais score (18,8%) mais refuse de se retirer en accord avec les consignes sarkozystes.
En Centre-Val de Loire, une victoire finale de l’extrême droite n’est pas totalement exclue
Le FN (31,8%) est arrivé nettement en tête dans cette région mais le total des voix de gauche du premier tour (40,5%) laisse présager une victoire de ce camp, le total des voix de droite n’étant ici que de 23,5% des exprimés.
Les socialistes pourront également peut-être remercier l’extrême droite en Normandie. La liste LR (27,9%) a obtenu un score nettement supérieur à celle du PS (23,5%) mais le total des voix de gauche (37,5%) est plus élevé que celui de la droite (32,1%). Si les reports de suffrages sont de bonne qualité à gauche –ce qui est loin d’être acquis–, le PS et ses alliés l’emporteront dimanche prochain en raison de la présence du FN (27,7% des voix au premier tour).
La configuration est assez proche dans le Centre-Val de Loire. Le FN (30,5%) a décroché la première place dans cette région dimanche et la liste LR (26,3%) devance celle du PS (24,3%). Mais la gauche dispose théoriquement d’un potentiel de voix supérieur à la droite (35,5% contre 30,8%). Encore une victoire finale de l’extrême droite n’est-elle pas totalement exclue dans cette région.
Situation très ouverte dans deux régions
Dans deux régions continentales, enfin, l’issue du second tour s’annonce très incertaine. C’est le cas dans la région symbolique de l’Ile-de-France. Le socialiste Claude Bartolone, qui craignait visiblement d’essuyer un résultat plus sévère, avait le sourire dimanche soir.
Sa liste (25,2%) est pourtant arrivée nettement derrière celle de la LR Valérie Pécresse (30,5%). Et le total des voix de gauche du premier tour (39,9%) n’est que de peu supérieur à celui de la droite (38,5%). C’est dire si la probabilité d’une alternance dans la région de la capitale reste forte.
La stratégie de reconquête des électeurs frontistes du président des Républicains ne fonctionne pas
L’arbitrage final des électeurs est également difficile à prévoir en Bourgogne-Franche-Comté. Le FN a rassemblé dimanche 31,5% des suffrages exprimés et LR (24%) ne devance que d’un point le PS (23%). La droite (32,4%) a néanmoins un potentiel électoral légèrement supérieur à celui de la gauche (31,5%). Là encore, l’opposition pourrait l’emporter, surtout si une partie des électeurs frontistes rallient LR au second tour par rejet de la gauche au pouvoir.
Abnégation républicaine
Au total, la campagne de l’entre deux tours s’annonce décisive dans nombre de régions. Le «sacrifice» de ses élus décidé par le PS dans trois régions –et appliqué dans deux pour l’heure– lui permet de transformer de piteuses contre-performances en un geste d’abnégation républicaine. Il renvoie également à la droite républicaine la responsabilité d’éventuels succès du FN.
Cette posture anti-frontiste ne saurait pourtant masquer que les socialistes sauveront sans doute quelques régions grâce au maintien d’influentes listes d’extrême droite. Le parti de Nicolas Sarkozy sortira sans doute gagnant de ces élections régionales mais de manière moins éclatante qu’il ne l’espérait. Preuve est, en tous cas, administrée que la stratégie de reconquête des électeurs frontistes du président des Républicains ne fonctionne pas.