Culture

François de Roubaix, l'éternel jeune homme moderne

Temps de lecture : 8 min

Si l’actu musicale va trop vite pour vous, rendez-vous toutes les deux semaines dans la rubrique «Dans ton casque». Actu, vieilleries, révélations ou underground: vous serez nourris en trois minutes, durée d’une bonne pop song. Aujourd’hui: François de Roubaix, le label Ghost Box et les vagues post-punk d’il y a trente-cinq ans en France et en Yougoslavie.

Détail de la pochette de la compilation «L'essentiel de François de Roubaix»
Détail de la pochette de la compilation «L'essentiel de François de Roubaix»

1.Le buzzFrançois de Roubaix

Dans les notes de pochette, le cinéaste Serge Korber compare sa trajectoire à celle de Rimbaud et James Dean. A leur image, il est «passé comme un ange». Comprendre: sa vie et son oeuvre ont acquis une dimension mythologique, amplifiée par une brutale disparition. Sans un accident de plongée sous-marine survenu au cours de son trente-sixième été, François de Roubaix serait peut-être un compositeur de 76 ans coulant une paisible retraite non loin de Pierre Richard et de ses nombreux amis. Il restera pour l’éternité un personnage unique et météorique dans l’univers de la bidouille sonore et de la culture populaire.

La compilation L’essentiel de François de Roubaix, qui vient de paraître, retrace autant qu’elle le peut dix années de musiques de films et de séries signées par ce génial autodidacte. «Nous avons déjà publié quasiment toute sa musique mais, comme nous l’avions fait pour Georges Delerue en 2012, nous avons réalisé qu’il n’y avait pas de synthèse ou de point d’entrée pour les gens qui n’entendent pas tout explorer film par film», explique Stéphane Lerouge, architecte du disque et des autres rééditions du musicien. Le disque est né de ce vide.

La carrière de François de Roubaix peut se résumer à quatre classiques d’un côté, et une galaxie d’oeuvres singulières de l’autre. Une pépite peut se trouver à chaque carrefour, il suffit de tendre l’oreille. Ces quatre classiques ouvrent la compilation: La Scoumoune, Dernier domicile connu, Le vieux fusil et Chapi Chapo. Toutes racontent quelque chose de capital sur l’esthétique et les évolutions de carrière d’un homme qui gênait les compositeurs plus installés, pour ne pas dire institutionnels. «Il déclenchait chez eux un mélange de fascination et d'agacement, témoigne Stéphane Lerouge. C’était un aventurier. Il cassait les règles, était polyvalent, inventait des trucages et manipulait la vitesse des bandes magnétiques à demi-vitesse. Montrer, avec un look de néo-bab, qu’il n’était pas si difficile d’écrire pour le cinéma, c’était iconoclaste. Il s’est révélé seul à travers les commandes qu’on lui passait.»

La Scoumoune était à la base une démo jouée au synthé pour dessiner une mélodie future. Quand le réalisateur José Giovanni manifesta son souhait de la conserver en l’état, sans réorchestration additionnelle, de Roubaix comprit qu’il pouvait être autonome, tout concevoir et tout produire avec son home studio, construit en 1971 avec trente ans d’avance.


Dernier domicile connu est la cathédrale du compositeur. Ses cascades de cordes, de cuivres et de figures rythmiques, découpées à coups de guitare fuzz, ont fait l’objet de plusieurs samples. Le Vieux Fusil, très écrite, porte une mélancolie qui fut pour beaucoup dans la perception du film. Ce thème aurait pu ouvrir une autre carrière à de Roubaix s’il n’était pas décédé deux mois après sa sortie. Chapi Chapo, du nom du film d’animation pour tous petits, est presque anormalement élaborée pour son public cible. Si le thème principal a traversé les âges, les musiques d’appoint manifestent un degré encore supérieur de sophistication mélodique.

«C’est fait avec soin, avec respect, relevait l’artiste Sébastien Teillier dans un documentaire paru en 2014, François de Roubaix au présent. Ce n’est pas parce c’est de la musique pour enfants qu’il va saloper le tintouin. Se moquer des enfants?! Je veux bien qu’on arnaque les parents, mais pas les enfants.» François de Roubaix n’arnaquait en réalité personne. Il prenait son travail tellement au sérieux que les refus le minaient. Il jouait de trente instruments mais prétendait n’en maîtriser aucun. Il dirigeait des orchestres mais poussait l’autoproduction aussi loin que possible. Il possédait une collection d’instruments acoustiques tous plus bizarres les uns que les autres. Plus bizarres que ses propres synthés, premiers du genre.

En privé, le beau gosse à la barbe fine disait vouloir rattraper son retard dans la compréhension du solfège et les techniques des professionnels de l'écriture. Ses proches surent l’en dissuader. Son rapport à la musique était ludique, en avance sur son temps et profondément démocratique. «Pour moi, disait-il, la musique contemporaine, c’est la musique vivante, c’est la musique des Beatles, des Pink Floyd, c’est une musique qui a un dialogue avec le public qui existe, qui vit, qui progresse quotidiennement. Ce qu’on appelle musique contemporaine, c’est une musique de recherches qui dialogue avec le public.»


Le disque compte aussi deux raretés jamais publiées jusqu’ici. Far From Dallas n’était jamais parue sur aucun support. Les bandes du Samouraï viennent d’être retrouvées et font elles aussi l’objet d’une première édition.

L’histoire de François de Roubaix n’est pas exactement celle d’un artiste maudit qui aurait eu besoin de l’ère numérique pour faire scintiller ses trésors. Un César de la meilleure musique a été remis à son père en 1976, quelques mois après son décès. A la fin des années 1970, la parution de trois vinyles successifs de ses meilleures musiques a exercé un effet de fascination sur des futurs musiciens de la French Touch. Nous vous parlions il y a un mois de la relecture convaincante proposée par le musicien Fred Pallem. La musique de François de Roubaix bénéficie du temps qui passe: pas mal, pour des petits travaux faits à la maison.

2.Le coup de pouceGhost Box

Tentez l’expérience: écouter à la chaîne du François de Roubaix et In a moment… Ghost Box, la compilation parue –uniquement au Royaume-Uni– il y a presque deux mois. La continuité entre les deux univers est sidérante. Ils n’ont en réalité rien de commun par leur origine, leur propos et leur époque.

Le micro-label britannique Ghost Box partage avec le musicien français un goût pour le défrichage de sons nouvaux, si ce n’est l’étrangeté. Il l’a conduit à éditer des dizaines d’artistes aussi inconnus au bataillon que touchants par leur singularité, voire leur radicalité. Jim Jupp et Julian House, les fondateurs, voulaient au départ simplement donner vie à leurs projets Belbury Poly, Eric Zann et The Focus Group. L’histoire prit un autre court quand Simon Reynolds, journaliste de référence dans l’univers de l’indie et de l’electronica, exposa toute sa bienveillance dans les colonnes de Wired.

Joliment qualité de «florilège d’activités paranormales» par la revue Magic, ce disque peut vous permettre de faire connaissance avec The Advisory Circle (8 sur 10 sur l’échelle de François de Roubaix), Belbury Poly (même note, avec un potentiel certain pour de nouveaux épisodes de Chapi Chapo), The Focus Group (le mieux doté pour faire la «chasse aux fantômes» promise par le label), Mount Vernon Arts Lab (les Godspeed You! Black Emperor britanniques) ou The Soundcarriers (comme si Syd Barrett avait été invité par Tame Impala).

3.Le vinylePaket aranžman

Il se deale entre 25 et 60 euros. Même la version CD, d’ailleurs. C’est le prix d’un disque culte. Evoquer son nom revient à toucher le nerf vital des «Yougoslaves», ceux qui avaient l’âge d’apprécier la new wave au moment de son éclosion, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. La période correspondait aussi à l’âge d’or de la Yougoslavie titiste et non alignée, sur la voie de la guerre civile européenne la plus violente de la deuxième moitié du XXe siècle. Leurs enfants, devenus Serbes ou Croates, connaissent aussi ce disque et y adhèrent. Des diggers d’Europe de l’Ouest s’y sont attachés au point de prêcher son bon souvenir. Ce que nous faisons ici.

Le disque s’appelle Paket aranžman (comme «valise de tournée»). Paru en février 1981, il concentre en 35 minutes la crème de la nouvelle scène rock yougoslave underground de l’époque. Entre ska, rock, new wave, post-punk et reggae, le serbo-croate s’y fait entendre comme une langue rock n’roll aussi naturelle que l’anglais. Les guitares énervées déversent des mélodies à l’ADN slave. Difficile d'y résister très longtemps.


C’est l’ami Simon Rico qui nous a incité à ressortir ce petit trésor avec sa série «I go yougo», diffusée il y a deux semaines sur France Culture. Journaliste (notamment au Courrier des Balkans), spécialiste de la musique aussi bien que de la région, il avait ouvert le deuxième épisode de sa série (sur quatre) avec un morceau d’Električni Orgazam («orgasme électrique»), qui a conquis d’emblée un statut d’oeuvre culte dans les Balkans.

«I go yougo» est un programme de 3 heures 30 cumulées qui va beaucoup plus loin dans son exploration. Il part de la naissance de la Yougoslavie et la suite jusqu’à sa chute, des chants traditionnels aux musiques nées sur les centres de la guerre. Un magnifique numéro est consacré à la musique tsigane.

4.Le lienDes jeunes gens modernes

Dans la semaine, sur France 3, vous avez peut-être visionné Rock’r Rennes, documentaire consacré à la scène rennaise d’où, il y a quarante ans, sont nées les Transmusicales. Ou comment, à partir de Marquis de Sade, ont émergé des vocations qui se matérialiseraient plus tard par les carrières d’Etienne Daho, Niagara, Pascal Obispo, Miossec, Jean Seberg. Vous avez le droit de rayer les mentions inutiles, car il y en a.

Marquis de Sade et son chanteur Philippe Pascal écrasent ce doc, comme ils écrasent Des jeunes gens modernes, autre film documentaire à paraître le 9 décembre et dont la sortie est joliment orchestrée par cette page Facebook que nous vous conseillons d’explorer. Sous-titre: Post punk, cold wave et culture novö en France 1978–1983. Des jeunes gens modernes tire son nom d’une compilation du même nom parue en 2008 chez Born Bad Records, laquelle s’était elle-même baptisée sur le souvenir d’une couverture d’Actuel passée à la postérité: «Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans». Traduction: ce sont des rockers inspirés, créatifs, cultivés, futuristes, mais pas destructeurs, eux (et là, les oreilles des punks sifflent). A l’image, Marquis de Sade pose avec père et mère.


Des Jeunes gens modernes cherche avec érudition et chaleur le fil rouge entre des groupes apparus à la même époque avec beaucoup de différences esthétiques. Il y a ces grands écarts entre rock brut à guitares et sons synthétiques, entre anglais et français, entre scènes orageuses et souci manifeste de créer une carrière discographique. Partout, une même aspiration à la poésie, au modernisme, au DIY, à une autre musique et à une forme de postérité. Cette contre-culture est racontée par elle-même pendant 82 minutes, sans passer sous silence les pièges dans lequel le mouvement a pu tomber: alcool et défonce, poses artificielles, embourgeoisement absolu.

5.Un copier-collerDes jeunes gens modernes (bis)

«Il y a quelque chose de l’ordre de l’élégance, de la nonchalance propre à ces groupes, ils n’avaient pas de plan de carrière et même si l’article d’Actuel de 1980, "Les jeunes gens modernes aiment leur maman", les présente comme des yuppies, je ne pense pas que c’était le cas. Il y a des gens qui ont fait des carrières magnifiques. Etienne Daho par exemple, qui était à la fois la queue de la comète et le petit frère de tous ces gens-là.»

Jean-François Sanz, réalisateur de Des Jeunes Gens modernes (2014) et commissaire de l’expo du même nom (2008), dans un entretien à TroisCouleurs.fr

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