France

Non, la France ne sera pas aux trois quarts FN ce dimanche

Temps de lecture : 4 min

Les dits et les non-dits d'une impressionnante carte de prospective électorale.

La carte de prospective électorale du Cevipof et de Liegey Muller Pons.
La carte de prospective électorale du Cevipof et de Liegey Muller Pons.

Mise à jour 6/12/15: Ce papier a été mis à jour pour y intégrer les analyses publiées par le cabinet Liegey Muller Pons ainsi que des éléments d'une interview avec Vincent Pons, professeur à Harvard Business School et cofondateur de Liegey Muller Pons.

C’est une carte qui «fait peur» à certains, que d’autres trouvent ressemblante à un «cancer» qui rongerait la France, comme relevé par Rue 89, ou à «un poumon détruit par le tabac». La société Liegey Muller Pons, qui se définit comme une «startup en stratégie électorale», a publié avec le Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, une carte projetant la liste arrivée en tête dans chaque commune aux élections régionales, qui fait beaucoup parler d’elle car elle montre une France aux deux tiers ou aux trois quarts noire, la couleur habituellement utilisée pour représenter l’extrême-droite.

Mais attention aux apparences, et aux interprétations hâtives. Non, la France n’est pas aux trois-quarts FN: elle l’est à près d'un tiers, ce qui est déjà beaucoup au regard de l’histoire du pays, qui n’avait jamais vu la formation frontiste aussi haut dans les sondages. Selon la dernière enquête Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France, 29,5% des Français interrogés ont l’intention de voter en faveur des listes du parti de Marine Le Pen, soit davantage que pour les listes LR-Modem-UDI (28,5%) et les listes PS (23%).

Des projections communales

Cette carte impressionnante occulte deux paramètres. Elle fait fi des densités de population: s'il y a autant de «points noirs» sur la carte, c'est parce que le FN arrive en tête dans beaucoup de petites communes, alors qu'il peine encore dans certaines grandes villes –rappelons qu'environ 28.000 des 36.000 communes françaises comptent moins de 1.000 habitants. Aux européennes 2014, le FN, arrivé en tête avec 25% des voix, avait pris la première place du podium dans 24.401 communes sur 36.812, comme le rapportait France TV Info, soit les deux tiers des communes. Une carte que nous avions publiée à l'époque montrait déjà la France toute noire.

Une carte anamorphosée des résultats, qui rendrait aux communes leur poids réel, serait beaucoup moins noire, car le FN est largement moins présent dans les grandes villes, comme à Paris par exemple, où il avait fait seulement 9,31% aux élections européennes. Nous en avions publiée une à l’occasion du précédent scrutin, où l’on peut voir clairement la différence: sans anamorphose, Paris n’est qu’un point blanc, où le FN est très bas. Avec l’anamorphose, il devient, avec Lyon, l’une des plus grosses zones de la carte:

Le vote FN aux européennes 2014.

Un instrument de mobilisation

La carte publiée par le Cevipof et Liegey Muller Pons ne prend par ailleurs pas en compte les éventuelles fusions de listes qui pourraient avoir lieu entre le premier et deuxième tour, la gauche étant aujourd’hui très divisée. Si ses auteurs avaient choisi de compter le total gauche PS-EELV-Front de gauche-divers gauche, la carte aurait donc sans doute eu un air très différent, notamment dans le Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, une des rares régions où la gauche est encore donnée gagnante, tout en partant encore très divisée au premier tour (une liste PS, une liste EELV-FG, une liste dissidente).

Mais avec un tel visage, cette carte devient aussi un instrument de mobilisation, comme en témoigne ce tweet de Corinne Narassiguin, porte-parole du PS:

Une réserve de voix à gauche et à droite

«C'est le problème de publier des cartes sans analyses», reconnait Vincent Pons, l'un de ses auteurs, que nous avons pu joindre quelques heures après une première version de cet article. Dans le commentaire que son cabinet a publié dans la foulée, on y apprend plusieurs choses intéressantes. D'une part, les personnes sondées pour cette étude sont des personnes qui ont témoigné une intention de vote certaine ou quasi-certaine, soit une note allant de huit à dix sur une échelle de dix. Les autres intentions ont été écartées. Or, les personnes qui expriment une intention moins certaine, explique Vincent Pons, sont aussi des personnes qui sont moins souvent à l'extrême-droite, du moins pour cette élection, comme l'ont montré de précédentes études. «La réserve de voix est donc aujourd’hui à gauche et à droite et l’enjeu du premier tour est aussi et d’abord un enjeu de participation», écrivent les auteurs dans leur note d'analyse.

Autre enseignement des précédents scrutins, et qui nuance les résultats de cette carte. «Le FN progresse très très peu entre les deux tours: il fait le plein des voix dès le premier tour et les autres candidats bénéficient d’un afflux au second». En somme, la mobilisation au deuxième tour joue en faveur des paris dits «républicains» ou classiques, et il y a donc peu de chances que cette carte reste identique au deuxième tour.

Une tripartition de l'espace électoral

Dans cette estimation, le FN est en tête dans un peu moins de 25.000 communes, nous apprend Vincent Pons. Le nombre de communes quais similaires qui semblent obtenues par le FN aux élections européennes et dans cette enquête, alors même qu'il a augmenté de cinq points, montre donc qu'il est possible de bloquer sa progression en restant uni, selon le chercheur. Si le FN ne rafle pas beaucoup plus de communes que l'année dernière, c'est parce que la droite a su rester unie, pense-t-il.

Enfin, phénomène intéressant et qui reste encore à expliquer, les experts du Cevipof et de Liegey Muller Pons constatent une tripartition de l’espace électoral: à l'Est, le FN domine; à l'Ouest, les régions y résistent; et enfin la Bretagne reste le seul vrai bastion socialiste, jusque dans les campagnes.

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