À Munich, l'université technique (TUM) et l'université Louis-et-Maximilien (LMU) font partie des premières universités allemandes qui proposent des cours en ligne –dans le jargon, on appelle ces cours magistraux filmés disponibles en VOD sur internet des «Moocs», soit l'abréviation de «Massive Open Online Courses». Interviewé par le quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung, le vice-président de l'université technique de Munich, Hans Pongratz, se félicite qu'un cours auquel seule une dizaine d'étudiants avaient assisté ait été consulté par 25.000 internautes issus de 170 pays une fois mis en ligne. Comme l'affirme le quotidien sur un ton incantatoire, paraphrasant sans doute les propos enthousiastes du vice-président:
«Aucun d'entre eux n'a dû se rendre à Munich. Aucun d'entre eux n'a dû s'inscrire à la TUM. C'est la démocratisation du savoir portée par le numérique.»
Mais d'après les recherches menées par le quotidien, les dirigeants des deux universités devraient plutôt se faire du souci. La plateforme d'apprentissage en ligne à laquelle elles ont recours pour la diffusion, Coursera, est une start-up californienne qui, selon le droit américain, a la possibilité d'utiliser à sa guise les données qu'elle collecte sur les étudiants inscrits sur son site. Le quotidien y voit un potentiel danger vis-à-vis de la protection des données personnelles des étudiants et de leurs perspectives d'embauche sur le marché du travail:
«D'un côté, Coursera gagne de l'argent avec les étudiants qui payent pour participer aux cours. D'un autre, les données des étudiants peuvent également être vendues, par exemple, aux employeurs qui veulent savoir comment un candidat a mené ses études.»
Référence au «Safe Harbor»
Un reportage coréalisé par des journalistes des chaînes de télévision allemande Norddeutscher Rundfunk (NDR) et suisse SRF, diffusé au JT de la première chaîne allemande, Das Erste, pousse ce raisonnement plus loin en prenant l'exemple d'une des utilisatrices de la plateforme d'apprentissage en ligne:
«Quand s'est-elle inscrite et depuis où? Quelles vidéos a-t-elle regardées? Les a-t-elle regardées jusqu'à la fin ou interrompues? Quelles parties du cours a-t-elle regardées plusieurs fois? Quels résultats a-t-elle obtenu aux tests? Quelles questions a-t-elle posées? Avec qui s'est-elle entretenue? À quel sujet? Un vaste profil est désormais sans doute enregistré sous le nom de Monika Rösler: données personnelles, données relatives aux communications, preuves de son assiduité –et peut-être même est-il enrichi de données issues de son utilisation d'internet.»
Interrogée par le SZ, NDR et SRF sur l'utilisation qu'elle fait de ces données, la direction de l'entreprise n'a pas donné suite. Dans les contrats que Coursera a signé avec les universités allemandes, qui comportent une clause de confidentialité, il est inscrit qu'avec l'accord des utilisateurs, Coursera «autorisera les employeurs ou les recruteurs à interroger les données sur les utilisateurs». Dans les mentions légales en ligne sur le site, l'entreprise américaine se réfère à «Safe Harbor», cet accord sur le transfert des données personnelles de l’Europe vers les États-Unis. Mais cet accord a été invalidé en octobre 2015 par la Cour de justice européenne, comme le rapportait Le Monde, notamment au motif que «les recours possibles pour les citoyens européens estimant leurs droits malmenés étaient beaucoup trop faibles».
L'argument dégainé par les directions des deux universités munichoises face aux questions insistantes des journalistes est que l'inscription sur Coursera n'est pas obligatoire. Mais la Süddeutsche Zeitung se demande combien de temps encore cela restera ainsi:
«Si cette offre [de cours en ligne] s'impose […] l'apprentissage en ligne fera partie du quotidien des étudiants et va devenir un paquet de données sur le comportement d'apprentissage auquel les employeurs auront accès.»